Portrait: Anthony Nti, un Belgo-Ghanéen dans la shortlist des Oscars

Anthony Nti, l'an dernier, au prestigieux festival du court métrage de Clermont-Ferrand, d'où il est reparti auréolé du Grand Prix. © EC
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

On saura ce lundi 15 mars si Da Yie, le court métrage shortlisté pour les Oscars de ce jeune réalisateur belgo-ghanéen, figure dans le quintette final dans la course pour la statuette dorée.

À l’autre bout du fil, Anthony Nti raconte combien Un prophète, le film de Jacques Audiard, a impacté son imaginaire. « L’histoire de cet homme qui part de rien pour se faire tout seul me fascine. C’est un film que je peux voir et revoir, et qui m’a beaucoup influencé. » C’est que lui aussi, en un sens, est parti de rien pour se faire tout seul…

Né au Ghana au début des années 90, Anthony Nti arrive en Belgique à l’âge de dix ans. Il vit à Anvers quand, à l’adolescence, il se découvre un peu par hasard un sens de l’image et un talent certain pour raconter des histoires au cours d’un atelier créatif organisé en fin de parcours scolaire. Il décide alors de venir étudier le 7e art au RITCS, école située rue Antoine Dansaert à Bruxelles. Mais son désir premier de cinéma, il le fait remonter à l’enfance. « Chaque dimanche, quand j’étais gamin, j’allais voir un film chez mon oncle. Je me souviens d’un jour où on avait regardé Fresh de Boaz Yakin, l’histoire d’un jeune garçon noir qui tente de soustraire sa soeur à l’emprise de la drogue et des dealers de son quartier. À un moment du film, l’un des gangsters meurt à l’écran. La semaine suivante, il se trouve que je vois un autre film avec l’acteur qui jouait le gangster tué. Je me retourne alors vers mon oncle, interloqué, et je lui demande: « Comment est-il possible que cet homme soit à nouveau vivant? » Il me dit qu’au cinéma, c’est comme ça, que ce n’est pas la réalité. C’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué. »

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À tel point que Da Yie, aujourd’hui, semble emprunter plusieurs de ses éléments constitutifs au film de Yakin. Signifiant « Bonne nuit » en français, Da Yie, court métrage d’une vingtaine de minutes qui est en fait le travail de fin d’études de Nti, raconte en effet comment deux jeunes enfants de la côte ghanéenne, Prince et Matilda, se retrouvent embarqués par un adulte inconnu pour une journée faussement complice au terme de laquelle ce dernier projette de les livrer à son gang afin qu’ils accomplissent une dangereuse mission. Peu à peu, pourtant, le doute commence à s’immiscer dans le coeur de cet homme amené à réévaluer ses intentions initiales… « Enfant, j’étais très naïf, se souvient Anthony Nti. J’adorais le football, m’éclipser de la maison pour jouer. Plusieurs fois, je me suis retrouvé entouré de gens plus âgés que moi, dans des contextes qui me dépassaient un peu. Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que je m’étais parfois fourré dans des situations qui auraient pu mal tourner. L’idée de Da Yie part de là. C’est une fable universelle sur l’innocence des enfants menacée par le monde corrompu des adultes. »

L’enfance en danger

Tourné comme l’un de ses précédents courts métrages, Kwaku, dans son pays natal, Da Yie a été réalisé en équipe réduite et conçu à la manière d’une expérience très immersive qui entend se brancher directement sur l’énergie en clair-obscur circulant entre les enfants, les adultes et le cadre environnant. « C’est moins l’idée du crime en tant que tel qui m’intéressait que l’idée de faire ressentir une tension très forte. Je ne cherche pas à faire peur mais à créer une prise de conscience sur les menaces qui peuvent peser sur des enfants livrés à eux-mêmes. »

Enjeux moraux réduits à leur plus simple expression, ralentis en musique, images léchées, montage syncopé… Dans ses travers les plus tape-à-l’oeil qui évoquent les attributs d’une espèce de pub de sensibilisation sur l’enfance en danger, Da Yie dénote assez limpidement les obsessions esthétisantes d’Anthony Nti, qui s’est aussi formé au clip et a déjà signé plusieurs vidéos musicales. Mais le film, sincère, touche au coeur. Preuve en est la véritable razzia de récompenses opérée sur les rendez-vous majeurs de courts métrages ces derniers mois. Grand vainqueur du prestigieux festival de Clermont-Ferrand en 2020, le film a ainsi décroché dans la foulée plusieurs dizaines de prix de par le monde, de Melbourne à Indianapolis en passant par Prague, Gand ou Berlin. Mieux: le 9 février dernier, on apprenait que Da Yie faisait partie des dix courts shortlistés pour les Oscars. « C’est fou. Pour moi, c’est complètement fou. Jamais je n’aurais pu espérer aller aussi loin avec ce court métrage. Vous savez, Da Yie est vraiment un tout petit film au regard de la production internationale. Nous l’avons fait à quelques-uns et, à la base, il m’a surtout servi à obtenir mon diplôme. Je suis tellement heureux et reconnaissant. »

On saura ce lundi 15 mars si le film d’Anthony Nti est l’un des cinq heureux nommés pour prétendre officiellement à l’Oscar du meilleur court métrage cette année. En attendant, le jeune cinéaste se concentre sur son premier long métrage, Postcard, sur lequel il travaille d’arrache-pied. « Le scénario du film, qui sera tourné entre la Belgique et l’Italie, s’inspire d’un livre de Chika Unigwe, une écrivaine nigériane qui a longtemps vécu à Turnhout: On Black Sisters’ Street . Il s’intéresse au destin de prostituées africaines vivant et travaillant en Belgique. » Soit une nouvelle histoire d’innocence menacée par la folie des hommes…

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