Pop philo (3/6): Où est la liberté?

© DR
Laurent de Sutter
Laurent de Sutter Professeur à la VUB

Chaque semaine, le philosophe Laurent de Sutter planche sur une question existentielle posée par un film. Cette semaine: Où est la liberté?

L’Italie est le pays de la cruauté -une cruauté qui se déploie comme les rayons du soleil sur une terre qui aurait besoin d’eau, et y multiplie les craquelures et les fêlures jusqu’à ce que les arbres finissent par s’effondrer. Mais, comme Salvatore Lojocano (le grand Totò) en fit l’expérience en sortant de prison, où il avait purgé une peine de vingt ans pour un crime passionnel, il peut y avoir une douceur à la cruauté, pour autant qu’on puisse la choisir.

Car à la férocité des murs de l’établissement pénitentiaire où il avait passé tant de temps s’opposait terme à terme l’hypocrisie et la veulerie de ses anciennes connaissances et des membres de sa famille. Sous les apparences de la bienveillance, de la modestie ou de la pudeur, ceux du dehors, constata Lojocano, ne valent pas mieux que ceux de l’intérieur -et même sans doute pire, tant leur ignominie est sans structure.

Au moins, en prison, il y a des murs; il y a la certitude d’un temps qui s’écoule, et qui a vocation à s’achever; il y a la connaissance intime de la différence qui existe entre le dedans et le dehors, l’enfermement et ce qui se donne l’apparence de la liberté. Tandis qu’en fait de liberté, celle des habitants de Rome, d’où vient Lojocano, relève davantage de la danse de marionnettes prises d’épilepsie -ou abandonnée sur scène une fois le marionnettiste parti boire une bière.

Du moins, telle était la morale que Roberto Rossellini voulait laisser les spectateurs de Où est la liberté? méditer, en une interrogation sèche, hantée par la possibilité d’un Dieu absent, remplacé par les rayons sans conscience du soleil. Pourtant, il s’agissait d’une morale qui ne pouvait naître que de l’Italie -une morale qui voulait ajouter sa propre cruauté à celles que nourrissait le monde, et, ce faisant, en tirer la substance d’une obscure jouissance.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content