Peter Sarsgaard, à l’affiche de Memory: « Je n’ai pas eu à gagner la confiance de Jessica Chastain, je l’ai reçue »
Après avoir impressionné dans The Batman et dans la série Dopesick, Peter Sarsgaard donne la réplique à Jessica Chastain dans Memory, le nouveau film du réalisateur mexicain Michel Franco, connu pour sa vision misanthrope de la nature humaine.
Peter Sarsgaard est l’un de ces acteurs que l’on reconnaît immédiatement. Après ses débuts dans Dead Man Walking, il a confirmé son talent dans Shattered Glass (Le Mystificateur en VF), Blue Jasmine et The Batman. En 2022, il a été nommé pour un Emmy Award pour son rôle dans la série Dopesick, dans laquelle il chasse les requins qui ont plongé l’Amérique dans la crise des opioïdes. On peut actuellement le voir dans Présumé innocent, dans le rôle du procureur rancunier qui poursuit Jake Gyllenhaal. La minisérie d’Apple TV+ est presque une affaire de famille pour Sarsgaard: il est le mari de la sœur de l’acteur principal, l’actrice et réalisatrice Maggie Gyllenhaal.
On discute avec lui via Zoom. « Je dévore les livres les uns après les autres. Il suffit de regarder la bibliothèque derrière moi. » Confirmation à l’image. » Récemment, je me suis demandé combien de ces livres je pourrais encore raconter. Pas beaucoup, je pense. Je me souviens sans problème de mon texte dans une pièce de théâtre de quatre heures, mais ne me demandez pas ce que j’ai fait exactement ce matin car je ne m’en souviens pas. Je vis beaucoup dans l’instant présent. C’est pour ça que je suis acteur.«
Aux côtés de Jessica Chastain, Peter Sarsgaard est à l’affiche de Memory, un drame du réalisateur et scénariste mexicain Michel Franco (lire la critique page 88) sur le rapprochement inattendu entre Saul, un homme atteint de démence précoce, et Sylvia (Jessica Chastain), une assistante sociale traumatisée qui ne laisse plus entrer les hommes dans sa vie. Sarsgaard incarne ce personnage désorienté de manière si attachante qu’il s’est vu décerner la coupe Volpi du meilleur acteur à la Mostra de Venise l’an dernier. « Je n’aime pas être sous les projecteurs. Mais quand ça attire l’attention sur un petit film comme Memory, j’en profite volontiers.«
Michel Franco dénonce dans ses films la cruauté et le manque de compassion des êtres humains. Connaissiez-vous son travail? Qu’est-ce qui vous a incité à collaborer avec lui?
Peter Sarsgaard: Je connaissais déjà son travail. Je me souviens le mieux de Después de Lucía mais aussi de la fin de Sundown, particulièrement dure. Pour moi, plus que l’histoire ou mon personnage dans Memory, l’important est d’avoir la chance de travailler avec Michel Franco. J’ai même insisté -en riant à moitié, parce que c’est évidemment son film- pour une fin différente, encore plus sombre. Ma version aurait fait de Memory un film qui ressemble encore plus à du Michel Franco. Peut-être pas aussi brutal que ses autres œuvres, mais tout de même un sacré coup de massue (rires). Les choix esthétiques et les méthodes de travail de Michel Franco correspondent parfaitement à mes compétences d’acteur.
De quelle manière?
Peter Sarsgaard: Michel aime les prises de vues en temps réel et à long terme. Tout comme la merveilleuse réalisatrice Kelly Reichardt. Lorsque j’avais vu Wendy et Lucy, son film avec Michelle Williams, j’avais dû me retenir de lui écrire pour la supplier de travailler avec elle. Des années plus tard, elle m’a spontanément demandé de jouer dans Night Moves. Lorsque vous tournez un film en une seule prise et que vous laissez le temps s’écouler, il est impossible par la suite de raccourcir ou d’allonger les scènes. On ne peut pas couper, on ne peut pas accentuer les expressions faciales ou les gestes. Tout le pouvoir et la responsabilité reposent sur les acteurs. ça rebute de nombreux réalisateurs. Mais des cinéastes comme Kelly Reichardt et Michel Franco ne prémâchent rien, ils demandent au spectateur de faire un effort. Au contraire des films grand public qui vous disent très précisément ce que vous devez penser et ressentir à chaque seconde. Comme si le spectateur était un enfant qui avait besoin d’être tenu par la main.
Pas terribles comme films…
Peter Sarsgaard: Pas nécessairement. Si c’est bien fait, je peux aimer ce genre de films. Mais en tant qu’acteur, vous n’avez pratiquement rien à dire. Tout est prédéterminé dans le storyboard. Vous devez rester immobile et bouger au bon moment. Parfois, même l’expression du visage est fixée. ça peut être difficile de jouer de manière aussi technique. Même les grands noms y sont confrontés. Plusieurs des meilleurs acteurs de ma génération ont réalisé leur pire performance dans un film Marvel.
Dans Memory, Jessica Chastain n’est pas seulement l’antagoniste, elle est également productrice. Vous a-t-elle surpris dans ce rôle?
Peter Sarsgaard: Même en tant qu’acteur, c’est difficile de saisir à quel point Jessica Chastain peut incarner des personnages très différents dans des registres qui le sont tout autant. Son « détecteur de conneries » est particulièrement bien réglé. Elle n’est pas intéressée par le blabla ou les discussions sur le temps qu’il fait. Elle va toujours droit au but. Mais ça je le savais déjà. Ce qui m’a surpris, c’est la rapidité avec laquelle elle m’a fait confiance. Memory est un film très intime. Normalement, il faut travailler dur pour gagner la confiance de son partenaire de jeu. Mais ici je n’ai pas eu à gagner sa confiance, je l’ai reçue. Je devais juste faire de mon mieux pour ne pas la décevoir. Michel Franco affirme qu’elle m’a recommandé pour le rôle parce qu’elle voulait quelqu’un en qui elle pouvait avoir une confiance aveugle. Je suis fier d’être cette personne. J’espère que d’autres collègues penseront la même chose (rires).
Votre personnage est très empathique, tout comme vous semlez l’être. L’empathie est souvent admirée, mais est-elle parfois aussi un fardeau?
Peter Sarsgaard: Oh, oui. Je suis très empathique et il m’arrive d’être agacé par la façon dont on en abuse. Le monde se divise en deux catégories: les pleurnichards, qui se plaignent constamment de leurs problèmes, et les gens comme moi, qui s’en inquiètent constamment. Au bout d’un moment, ça m’agace et parfois je commence même à les détester (rires). L’empathie ne conduit pas nécessairement à la sympathie pour les gens. Je suis quelqu’un qui mesure immédiatement la température d’une pièce et qui scrute les autres en permanence pour savoir comment chacun se sent. Ce n’est pas particulièrement amusant (rires). S’intéresser aux autres est une qualité positive, mais qui comporte aussi des inconvénients.
Votre épouse Maggie Gyllenhaal vous a dirigé dans son premier film, The Lost Daughter. Vous jouez également dans son deuxième film attendu à l’automne 2025, The Bride, une variation sur La Fiancée de Frankenstein. Pouvez-vous nous en parler?
Peter Sarsgaard: Avec grand plaisir. The Bride sera la superproduction la plus originale depuis des années. Je sais que vous allez prendre ça avec des pincettes parce que c’est ma femme qui a réalisé le film. Mais je suis sincère. Je suis très heureux que Warner Bros. lui ait donné les ressources et la confiance nécessaires pour réaliser l’œuvre qu‘elle avait en tête. The Bride sera plus qu’un film populaire ou un remake. C’est du punk rock. C’est la version Patti Smith et Iggy Pop de La Fiancée de Frankenstein, mais avec Christian Bale et Jessie Buckley. Vous allez être surpris.
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