L’actrice césarisée Nina Meurisse soulève des montagnes dans Julian: «J’ai trouvé magnifique le fait que l’amour soit le sujet politique dans le film»

Julian (Laurence Roothooft à gauche) et Fleur (Nina Meurisse, à droite) décident de se marier dans tous les pays où leur union est possible.

A l’affiche de Julian, premier long métrage de la jeune cinéaste flamande Cato Kusters, la comédienne française Nina Meurisse se confie sur ce rôle exaltant, et sur son rapport au cinéma.

Juliande Cato Kusters

Avec Nina Meurisse, Laurence Roothooft, Peter Seynaeve. 1h31.

La cote de Focus: 3,5/5

Fleur et Julian s’aiment et veulent se marier dans tous les pays qui le leur autorisent. Mais juste après l’une des cérémonies, Julian s’effondre, prise de vertiges. Le verdict tombe: la jeune femme n’a plus que quelques mois à vivre. Le couple se retrouve dans ce temps en sursis, avant que face à l’insupportable absence, Fleur ne se mette en marche pour faire vivre la mémoire de Julian. Cato Kusters dresse le portrait en pointillé et en mouvement d’une histoire d’amour et de deuil poignante. Si l’amour de Fleur et Julian est aussi pur que militant, le film ne se focalise pas sur le combat politique, mais sur l’amour comme puissance motrice. Il mêle les images, celles du récit biographique, et celles intradiégétiques tournées par les protagonistes, toutes ces textures concourant à partager avec une belle puissance d’évocation ce qu’est une mémoire en devenir.

Le 28 février dernier, Nina Meurisse recevait le César de la meilleure actrice dans un second rôle pour L’Histoire de Souleymane de Boris Lojkine. Elle y interprétait une fonctionnaire de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui, le temps d’une scène, venait insuffler de l’humanité, et une écoute salvatrice, dans un film âpre et ultraréaliste sur le parcours plus qu’accidenté d’un jeune livreur à vélo sans papiers. Le cinéaste l’avait révélée en 2019 en lui offrant le premier rôle de Camille, biopic d’une jeune reporter de guerre en Centrafrique. Puis on a vu Nina Meurisse dans des seconds rôles chez Sólveig Anspach, Céline Sciamma, Agnès Jaoui ou Stéphane Brizé. Dans Julian, elle inonde l’écran de sa lumière et son intrépidité, prête à soulever des montagnes pour clamer son amour pour sa femme, et accompagner cette dernière, gravement malade, dans ses derniers jours.

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Power of love

«Quand j’ai commencé à lire le scénario, je n’ai pas pu m’arrêter, ce qui est toujours bon signe, confie l’actrice, dont le regard pétille alors qu’elle se remémore sa première rencontre avec l’histoire. Il y avait ce pouvoir de l’amour, que j’ai trouvé tellement solaire. Evidemment, le film parle d’un sujet très difficile, mais il n’est pas traité sous le prisme de la douleur. J’ai incarné beaucoup d’héroïnes préoccupées par des questionnements politiques, et j’ai trouvé magnifique le fait que l’amour soit le sujet politique dans le film, comme un pied de nez à la colère, et surtout la violence infligée par la société.»

Adapté des mémoires de Fleur Pierets, Julian raconte l’histoire d’un amour entre deux femmes qui décident de se marier dans tous les pays du monde qui l’autorisent (il y en avait 22 à l’époque), mais qui sont rattrapées par la maladie. Quand Julian meurt, Fleur lutte pour entretenir sa mémoire, et leur amour. Le film restitue avec délicatesse ce qu’est un souvenir en train de se constituer, l’éclatement, le morcellement de la chronologie. «C’est comme ça que fonctionne la mémoire, quand quelqu’un disparaît, des souvenirs surgissent comme des pop-up, grâce à une musique, une odeur. Cet éclatement est aussi au service de la narration. Cato Kusters a réussi brillamment à faire en sorte que le rapport au passé nourrisse la relation au présent.»

«Côtoyer son personnage en vrai, c’est assez particulier.»

Par bribes, le récit se penche sur des instantanés de leur vie à deux: le coup de foudre, la fascination de l’amour qui naît, la félicité de la vie à deux, la complicité, même quand le corps fait défaut. Les moments de doute, aussi. «Même dans les plus belles histoires d’amour, il y a de la difficulté, souligne Nina Meurisse. Pour Fleur, assumer qui elle est dans sa famille n’est pas un problème. Alors que pour Julian, c’est un combat intime. Faire le deuil de la reconnaissance de ses parents, c’est le combat le plus difficile qu’on peut avoir à mener. Même si Julian a envie de se laisser porter par la joie et l’enthousiasme de Fleur, elle sait la détresse qu’on ressent quand partager son identité est une violence, elle a traversé ça. La facilité parfois déconcertante avec laquelle Fleur aborde le militantisme peut être violente pour elle. J’ai aussi été très touchée par la façon dont Cato traite le rapport à la maladie et à la mort, qui reste très tabou dans nos sociétés. Pourtant, plonger profondément dans ces moments, en parler, y mettre de l’humour, permet de garder la vie très « vivante ».»

Secouer le spectateur

Pour construire son personnage, Nina Meurisse a pu s’appuyer sur le scénario et les indications de la cinéaste, bien sûr, mais aussi sur la vraie Fleur. «Ce qui est génial, c’est qu’il y avait énormément de matériel biographique –le livre, mais aussi des interviews filmées, les réseaux sociaux. Quand j’ai rencontré Fleur, j’étais très nerveuse à l’idée de ce qu’elle allait penser de moi. Mais elle nous a tout de suite donné sa confiance, avec une grande générosité. Je lui ai beaucoup demandé ce qui, pour elle, serait une erreur. Je voulais surtout qu’elle ne puisse pas se dire qu’on s’était trompé. Côtoyer son personnage, c’est assez particulier; je ne dirais pas que ça contraint, mais plutôt que ça oriente, ou que ça encadre. Parfois, quand le trait est bien dessiné, on a plus de liberté qu’avec une page blanche.»

Si Nina Meurisse a tellement été touchée par le projet et les rencontres, ce n’est sûrement pas un hasard. Sa filmographie est parcourue d’œuvres qui abordent des questionnements politiques forts. «J’ai l’impression que ça se fait un peu malgré moi, je veux faire des films qui me bouleversent, qui secouent les spectateurs. Depuis quelque temps, je me dis que faire des films est très politique. Je ne pourrais pas jouer une histoire dont le discours est à l’opposé de ma pensée politique, mais ça ne signifie pas que je ne tournerai que des films de gauche (rire). Il n’empêche que faire des films, c’est une responsabilité. Certains ont changé ma vie, et je me suis sentie autorisée à agir après les avoir vus. La force de représentation du cinéma me semble plus importante que jamais.»

Dans la «vraie» vie, Nina Meurisse a récemment  témoigné devant l’Assemblée nationale sur la question des violences sexuelles et sexistes. «Je me suis rendu compte de la violence que j’avais accumulée, et j’ai compris que j’alimentais l’omerta en me taisant, confie-t-elle. Quand j’ai entendu Adèle Haenel, Judith Godrèche, ces histoires de domination terribles qui peuvent casser des gens, je me suis dit qu’il fallait parler, et agir. On ne peut pas laisser les violences et la domination pourrir ce qu’on crée. Quand j’ai entendu que les lois étaient passées, j’ai pleuré. On va pouvoir arrêter de parler mal aux gens, de se retrouver dans des situations où on nous considère comme de la viande. Enfin un cadre sera posé pour protéger les gens, et j’espère qu’il nous laissera l’opportunité de nous concentrer sur ce qu’on aime faire, raconter des histoires.»

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