Critique | Cinéma

Nicolas Philibert réalise un film rare et généreux sur la psychiatrie: « J’avais envie qu’on entende ces gens qu’on n’entend jamais »

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Nicolas Philibert © Getty images
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Titre - Sur l'Adamant

Genre - Documentaire

Réalisateur-trice - Nicolas Philibert

Sortie - En salles

Durée - 1h49

Critique - Jean-François Pluijgers

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Pour Sur l’Adamant, Nicolas Philibert est allé à la rencontre des patients et soignants d’un centre de jour installé sur une péniche à Paris. Il en a ramené un film rare et généreux.

En février dernier, au moment de remettre l’Ours d’or de la Berlinale à Nicolas Philibert pour son documentaire Sur l’Adamant, Kristen Stewart, la présidente du jury, avait ce discours fort: “Depuis des milliers d’années, on tourne en rond pour essayer de définir ce qui peut être considéré comme de l’art. Qui est autorisé à le faire et ce qui en détermine la valeur. (…) Ce film place la réflexion, le sentiment, le son et l’image relatifs à ces questions à un niveau profond, à un niveau humaniste, qui nous a tous touchés et submergés au sein du jury. C’est la preuve cinématographique de la nécessité vitale de l’expression, et c’est magistralement réalisé…Éloge nullement usurpé: avec ce film, où il renoue avec la psychiatrie 25 ans après La Moindre des choses, le réalisateur français, auteur notamment de Être et avoir et La Maison de la radio, touche à quelque chose d’essentiel en effet. De fragile également, comme il s’en ouvrait récemment, de passage à Bruxelles.

Qu’est-ce qui vous a incité à renouer avec le monde de la psychiatrie?

J’ai fait deux films en psychiatrie, et je crois qu’il y a quelque chose d’inépuisable, au sens où c’est une porte ouverte sur l’âme humaine, nos fragilités, nos tourments, nos difficultés à être au monde, nos angoisses, c’est tout ça. C’est l’humanité exacerbée qu’on rencontre en psychiatrie, la violence du monde, la violence des rapports sociaux, familiaux… Et au-delà, la rencontre avec des personnes qui ont beaucoup à nous apprendre ou à nous dire sur nous-mêmes et sur notre monde. Des gens qui sont touchants et vulnérables, fragiles, bien souvent très lucides, et qui témoignent d’une hypersensibilité, d’une porosité à la violence du monde.

L’Adamant, un centre de jour établi sur une péniche à Paris, est un lieu d’accueil très singulier…

Ce lieu n’est pas représentatif parce que la psychiatrie publique, en France, est vraiment très mal en point, elle semble quasiment abandonnée. Notre système de santé est ô combien en difficulté, et à l’intérieur de ce contexte, la psychiatrie est vraiment le parent pauvre, avec un manque crucial de moyens, humains en particulier. Quand le manque d’infirmiers est criant, ceux qui restent sont débordés et n’ont plus le temps de s’occuper des patients parce qu’ils croulent sous les tâches administratives, ce n’est pas du tout attractif. L’Adamant, et d’autres lieux heureusement, y échappent, parce qu’il y a encore des équipes qui résistent, restent dynamiques, inventives, qui arrivent à faire des ateliers et d’autres choses, avec cette différence que l’Adamant est en plus un bel endroit, très réussi du point de vue de son architecture…

Nicolas Philibert: “J'avais envie de privilégier la parole des patients, qu'on entende ces gens qu'on n'entend jamais.”
Nicolas Philibert: “J’avais envie de privilégier la parole des patients, qu’on entende ces gens qu’on n’entend jamais.” © National

Ce centre fonctionne sur le principe de l’échange, patients et soignants confondus. Comment avez-vous procédé pour vous fondre dans cet environnement?

La Moindre des choses a beaucoup circulé, c’est presque un film culte dans le monde de la psychiatrie. Les gens parmi ceux et celles qui y travaillent le connaissent, s’en servent parfois pour travailler comme un outil de réflexion. Et certains patients le connaissent aussi. Il y a sept, huit ans, j’avais été invité sur l’Adamant pour venir parler de mon travail de cinéaste devant un petit groupe de patients et de soignants, comme ils le font régulièrement: ils invitent des artistes, des philosophes, toutes sortes de gens qui viennent rencontrer ceux qui sont là. Je n’étais donc pas un parfait inconnu, et ça m’a aidé à être accueilli. Après, je suis arrivé il y a trois ans avec ce projet, et j’ai expliqué aux uns et aux autres comment je voyais un peu les choses. Et notamment que tout un chacun pouvait très librement dire oui ou non à la caméra, que cette caméra n’était pas là pour juger, et que le film, je ne l’avais pas dans ma tête. Je n’arrivais pas avec une idée toute faite de ce qu’il faut dire ou pas sur ce lieu et sur la psychiatrie, je fais des films pour apprendre et aller à la rencontre des gens. Avec quand même quelques intentions: j’avais, par exemple, envie de privilégier la parole des patients, qu’on entende ces gens qu’on n’entend jamais, qui sont toujours stigmatisés, victimes de préjugés, et qu’ils nous racontent un peu des choses. J’ai fait ce film avec mes oreilles, très à l’écoute: l’Adamant, c’est un lieu où il y a encore un peu d’écoute, ce n’est plus tellement fréquent dans le monde dans lequel on est, où chacun parle et s’intéresse à sa petite personne.

L’un des éléments moteurs du projet est la pratique artistique…

Il y a plein d’ateliers: couture, lecture, écriture, maroquinerie, radio, cinéma, dessin et peinture, musique, des sorties au théâtre ou en forêt, une grande diversité de perches qui sont tendues à ceux qui fréquentent cet endroit pour essayer de les accrocher et les aider à retrouver un lien avec le monde. Parce qu’au fond, c’est ça, soigner sur l’Adamant. Et moi, j’invite les spectateurs à aller à la rencontre de ce lieu où on essaie de faire une psychiatrie humaine encore aujourd’hui, alors que c’est de plus en plus difficile: tout ce qui est humain est de plus en plus écrasé par l’économie, bientôt remplacée par l’intelligence artificielle, les robots, etc.

Vous terminez d’ailleurs votre film sur une note inquiète, “jusqu’à quand?”. Cela ne s’applique-t-il pas également au genre de cinéma que vous pratiquez?

Absolument, un cinéma très artisanal, qui se veut à l’écoute, et proche. Mais en même temps, le documentaire aujourd’hui résiste tout de même un peu, en France en tout cas. Il y a plus de documentaires qu’avant en salles, ça montre que les esprits ont un peu évolué, et qu’on commence, ici et là, à se dire que le documentaire, cela peut être du cinéma. Alors que moi, pendant des années, on m’a demandé: “Quand est-ce que tu feras un vrai film?” (rires)

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