Titre - Moonage Daydream
Genre - Documentaire
Réalisateur-trice - Brett Morgen
Casting - David Bowie
Durée - 2h15
Le documentaire musical se porte bien. Nouvelle démonstration avec Moonage Daydream, de Brett Morgen, plongée kaléidoscopique dans l’univers et la carrière de David Bowie.
Que rock et cinéma aient plus que des accointances, ce n’est certes pas un scoop, illustré par le nombre de films que le second ne cesse de consacrer au premier. Le film rock est devenu un genre à part entière, qu’il se présente sous la forme d’essais plus ou moins biographiques –Velvet Goldmine, convoquant l’ombre de David Bowie, Lou Reed et Iggy Pop devant la caméra de Todd Haynes, I’m Not There, voyant ce même Haynes tenter un portrait diffracté de Bob Dylan, ou encore Last Days, de Gus Van Sant, revisitant les dernières heures de Kurt Cobain-, ou de biopics à géométrie variable, dans un spectre pouvant aller du jeu de miroir astucieux orchestré autour de Brian Wilson par Bill Pohlad dans Love & Mercy, au film luxuriant que consacrait tout récemment Baz Luhrmann à Elvis. Sans oublier le documentaire musical qui, longtemps destiné aux “happy few” -avec de rares exceptions, comme Woodstock de Michael Wadleigh, ou The Last Waltz de Martin Scorsese- a depuis quelques années largement gagné en visibilité, inondant les écrans de cinéma comme ceux des plateformes d’ailleurs.
Filmo-discothèque éclectique
Moonage Daydream, de Brett Morgen (qui n’en est pas à son coup d’essai, lui qui signait en 2015 Cobain: Montage of Heck, l’un des docus consacrés au leader de Nirvana, qu’avait précédé trois ans plus tôt Crossfire Hurricane, réalisé pour les 50 bougies des Rolling Stones), vient ainsi s’ajouter à un corpus n’ayant cessé de s’amplifier depuis quelques années, des cinéastes toujours plus nombreux s’étant engouffrés dans le sillage de D.A. Pennebaker, auteur en 1967 du légendaire Dont Look Back, autour de Dylan, avant de signer quelques années plus tard le non moins culte Ziggy Stardust and the Spiders from Mars. Films de niche pour certains (Punk the Capital, sur la première vague punk de Washington, par exemple) ou résolument mainstream pour d’autres (The Beatles: Eight Days a Week, de Ron Howard), il y en a pour tous les goûts à vrai dire dans une filmo-discothèque éclectique où les Talking Heads (Stop Making Sense, de Jonathan Demme) côtoient les Stones (Gimme Shelter des frères Maysles); Led Zeppelin (The Song Remains the Same de Peter Clifton et Joe Massot), Amy Winehouse (Amy de Asif Kapadia); Daniel Darc (Pieces of My Life de Marc Dufaud et Thierry Villeneuve), les Sex Pistols (The Filth and the Fury de Julien Temple).
Cinéaste-vidéaste biberonné au punk, Temple a d’ailleurs consacré une part significative de sa filmographie au mouvement et sa périphérie, et à certaines de ses figures les plus illustres: Joe Strummer, frontman de Clash, dans The Future Is Unwritten, Shane MacGowan, le chanteur édenté des Pogues, avec Crock of Gold: A Few Rounds with Shane MacGowan, ou encore Wilko Johnson, le génial autant qu’halluciné guitariste de Doctor Feelgood, sujet de The Ecstasy of Wilko Johnson. Certes pas étranger à l’usage massif de rock et de blues dans les bandes originales de films, Martin Scorsese l’a aussi abondamment documenté, produisant pour la télévision la minisérie The Blues, dont il a réalisé l’épisode Feel Like Going Home, ou consacrant des films à Dylan (No Direction Home) et George Harrison (Living in the Material World), quand il ne filmait pas les Stones le temps d’un concert (Shine a Light). Après avoir fait appel à lui pour le soundtrack de Dead Man, Jim Jarmusch consacrait pour sa part Year of the Horse à Neil Young & The Crazy Horse, le cinéaste new-yorkais à l’élégance toute No Wave repiquant au docu musical en 2016 avec Gimme Danger, libérant l’énergie de Iggy and the Stooges.
Et l’on pourrait continuer à alimenter la liste à l’envi: du concert filmé au portrait plus ou moins décalé d’un artiste emblématique, voire à la tentative d’embrasser une scène dans son ensemble (D.O.A., de Lech Kowalski, sur le mouvement punk, parmi d’autres), il y a là une manne virtuellement inépuisable. Et, partant, des films à l’intérêt inégal: tout le monde ne s’appelle pas Todd Haynes -décidément!- revisitant l’histoire du Velvet Underground dans l’électrisant film éponyme pour capter aussi l’effervescence créative de l’époque. Ni Andrew Dominik consacrant, à six ans de distance, un diptyque à son ami Nick Cave, One More Time with Feeling puis This Much I Know to Be True accompagnant ce dernier dans le deuil consécutif à la mort accidentelle de son fils. Voire, dans un registre différent, Peter Jackson s’attelant avec Get Back à une mini-série de référence sur le processus créatif des Fab Four pour Disney+. À l’époque où la musique se consomme surtout en streaming, il n’y avait pas de raison, il est vrai, que les plateformes n’aient pas, elles aussi, leur part du gâteau…
L’homme qui allait ailleurs
Brett Morgen consacre un documentaire kaléidoscopique à David Bowie, plongeant le spectateur dans un tourbillon d’images et de musique. Un film-trip euphorisant.
Des documentaires sur David Bowie, il y en a déjà eu de nombreux. Celui que lui consacre aujourd’hui le cinéaste américain Brett Morgen (auteur notamment de Cobain: Montage of Heck) ne ressemble pourtant à aucun autre. Par son ampleur d’abord: adoubé par le David Bowie Estate, le réalisateur a eu accès à l’ensemble de ses collections, manne dont il a pu tirer -le fruit de quatre ans de travail quand même- quantité d’images, inédites pour certaines, qu’il s’agisse d’archives personnelles, d’enregistrements live ou d’interviews, documentant le parcours de Bowie en nomade de la création artistique, à l’ancrage musical s’ajoutant ses incursions dans la peinture, la vidéo expérimentale ou le théâtre notamment. Manière de rappeler combien celui-ci n’a cessé de se réinventer, se mettant en scène au gré de ses personnages successifs, dans une démarche qu’il ne manque d’ailleurs pas d’éclairer tout au long d’un film où sa parole trouve un écrin à sa mesure.
Ce qui fait aussi de Moonage Daydream une odyssée singulière, c’est la forme qu’a adoptée Morgen. Refusant le carcan de la stricte chronologie comme celui de l’impossible exhaustivité (sans pour autant jamais escamoter l’essentiel), le cinéaste propose un film immersif, plongeant le spectateur dans un tourbillon d’images et de musique, pour en dégager un portrait kaléidoscopique de Bowie et de son œuvre, qu’il relève de rares incursions dans la sphère privée. Un parti pris esthétique qu’il affirme d’entrée, le film tenant du collage visuel où l’on découvre Bowie invariablement charismatique, et non moins fascinant, qu’il philosophe sur l’existence et s’aventure en terrain spirituel ou qu’il soit l’invité du Dick Cavett Show en un échange hilarant; qu’il parle de sa vie itinérante ou qu’il dévoile ses toiles -des portraits que l’on ne saurait mieux qualifier que de remarquables-; qu’il électrise les scènes ou aimante les foules. Le tout, sur une bande-son rêvée, les Space Oddity, Heroes, Aladdin Sane ou autre Diamond Dogs qui, remixés par Tony Visconti et Paul Massey, achèvent de transporter dans un ailleurs intemporel. Ce que raconte encore cet essai par chacun de ses plans en effet, c’est Bowie en homme qui allait ailleurs, l’exploration permanente comme mantra pour poser une œuvre à l’influence inépuisable. “J’ai eu une vie fantastique, j’aimerais la revivre”, observe-t-il. Il fallait bien un film comme celui-ci, explosant les formes du documentaire musical, pour donner à la partager. Saluant le génie mutant de Bowie, Moonage Daydream réussit ainsi à se profiler en film-trip musical hors normes et euphorisant. Play It Loud, comme l’on dit.
En marge de la sortie de Moonage Daydream, le CineFlagey, à Bruxelles, consacre jusqu’au 02/10 un cycle à David Bowie à l’écran, reprenant Absolute Beginners de Julien Temple, The Prestige de Christopher Nolan, Labyrinthe de Jim Henson, et Velvet Goldmine de Todd Haynes
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