Mobile Home: sur la route?

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Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Partir ou ne pas partir… Telle est la question, pour les héros attachants et drôles d’un « Mobile Home » révélant le talent d’un jeune cinéaste belge, François Pirot.

Ils ont 30 ans ou presque, et apprécient leurs retrouvailles. Simon était parti à la ville, avait un travail, une compagne. Mais il est revenu dans son village natal, que n’a jamais quitté Julien. Amis d’enfance et d’adolescence, ces deux-là se rappellent avec bonheur des années d’insouciance, du groupe rock qu’ils ressusciteraient bien. Sans attache réelle, même si Julien se sent profondément lié à son père vieillissant, sortant d’une maladie, l’idée va leur venir de se faire la belle, de partir en voyage et de vivre leur liberté à l’aide d’un mobile home qu’ils achèteront avec l’avance sur héritage qu’a reçue Simon. L’argent donné pour « s’installer » servira au décollage, au grand départ. Le véhicule est bientôt leur, et les préparatifs sont vite expédiés. Mais si les deux amis s’en vont, ils n’iront pas forcément très loin. Enfin pas tout de suite…

Remarquablement joué par Arthur Dupont (Simon) et Guillaume Gouix (Julien), Mobile Home est le premier long métrage réussi, attachant et drôle, du jeune réalisateur belge François Pirot. Lequel avait précédemment signé un court sujet intitulé Retraite, et qui anticipait un peu la situation de… départ de Mobile Home. « C’était déjà l’histoire d’un jeune qui rentrait dans son village natal après avoir abandonné ses rêves de carrière musicale, et qui croyait que son désir profond était de vivre à la campagne… avant de se rendre compte que ce n’était pas le cas. » Le cinéaste se souvient avoir vécu lui-même un épisode comparable. « Je crois qu’à l’époque, avant de me lancer dans l’aventure du cinéma, j’avais un peu peur, confie-t-il, alors j’en ai tiré une fiction qui m’a appris que je ne devais plus avoir peur! » Pirot rit rétrospectivement de cette anecdote vécue, à laquelle s’ajoute une autre. « A la fin de nos études, avec quelques amis, nous avions eu le projet de partir faire un long voyage ensemble, se souvient-il, nous ne le savions pas mais c’était une espèce de fuite, par panique de devoir mettre le pied dans la vraie vie. Alors un soir d’ivresse, on est parti à 3, 4 heures du matin dans la voiture d’un ami, après avoir été chercher chez nos parents quelques paires de chaussettes en cachette. Nous n’allions peut-être jamais revenir… sauf qu’au matin, on s’est réveillés dans une zone industrielle du nord de la France, avec une sacrée gueule de bois. Et on est revenus piteusement… « 

Tragi-comédie

François Pirot éclate de rire en relatant ce souvenir tragi-comique, dont la trace se retrouve d’évidence dans un Mobile Home aussi drôle que touchant. Un road-movie (presque) immobile au ressort comique fabuleux et aux accents émouvants quand les fantasmes des deux protagonistes sont « confrontés à l’épreuve du réel » au fil de séquences pleines d’humour et souvent de tendresse. « Ce qui m’intéressait aussi, explique le réalisateur, c’est la dimension régressive que prennent les retrouvailles de ces deux amis renouant immédiatement avec leur relation adolescente… alors qu’ils frisent tout de même la trentaine. » Interrogé sur l’aspect générationnel de son film, Pirot n’hésite pas à se présenter lui-même en « produit assez extrême de cette génération dont font aussi partie les amis qui m’entourent, et qui évolue dans un espèce d’entre-deux qui se prolonge entre la fin des études et le début d’une vie où on se positionne un peu plus précisément. Cette période de flottement devient de plus en plus longue, élastique. Elle connaît des interruptions, des allers-retours… »

« Il y a eu un changement énorme entre la génération de nos parents et la nôtre, poursuit le réalisateur de Mobile Home, beaucoup de repères traditionnels ont un peu explosé, déjà au niveau du travail et du couple, deux piliers traditionnels majeurs. L’engagement à long terme, que ce soit dans le travail ou dans le couple, a pris du plomb dans l’aile. On s’y lançait sans trop réfléchir, parce que c’était des modèles qui fonctionnaient. Mais on les a beaucoup remis en question, jusqu’à s’y perdre parfois… » Pirot se fait plus grave en évoquant « cette classe moyenne dont les parents ont travaillé, économisé, et vivent en bonne santé une retraite confortable… Cela, on ne le reverra plus avant très longtemps, si on le revoit un jour… Simon vient de ce milieu où les parents avaient les moyens d’offrir des études à leurs enfants, de leur laisser le temps de réfléchir, de leur donner la chance de pouvoir choisir ce qu’ils ont vraiment envie de faire. Au risque pour ces enfants de se perdre dans une multitude de possibles et de prolonger leur hésitation puisqu’ils ne ressentent pas de nécessité financière pour les pousser à s’engager dans le travail. Et puis il y a toutes ces technologies, Internet en tête, qui elles aussi multiplient tellement les possibilités que trop de choix tue le choix… » « La crise va très très vite changer cette réalité-là! », déclare un cinéaste dont le film a entre autres le mérite d’aborder un sujet somme toute assez sérieux par le versant de l’humour. Au point de faire de Mobile Home un authentique et très humain « feelgood movie »!

THAT’S ALL FOLK

Si Mobile Home a les allures (amusantes et touchantes) d’un road-movie… immobile, il n’en fait pas moins appel à une bande originale marquée par ce genre né aux Etats-Unis. François Pirot, son réalisateur, a choisi les musiques -existantes ou à créer- avec « l’obsession de la légèreté ». Il s’agissait de « créer des décalages, engendrant une espèce de moquerie tendre ». Une démarche un peu funambule, sur le fil « entre ironie et sensibilité », chassant les effets de style et donc le second degré tout en tenant également à distance toute tentation d’accompagner les images (émouvantes, surtout) d’une musique qui ferait pléonasme, alourdissant les scènes en soulignant ce qu’elles disent et montrent déjà bien suffisamment… Les Liégeois du groupe Coyote ont entre autres participé à la bande sonore, notamment pour une séquence de feu de camp censée évoquer « la nostalgie de l’adolescence ». L’aspect road-movie a séduit des musiciens pratiquant un folk délicat où dominent les guitares. Le montage du film était déjà à moitié terminé quand ils furent appelés à collaborer avec Pirot, guitariste lui-même et qui n’a pas manqué de leur fournir « des indications d’humeur, d’ambiance, avec un désir d’humour et de décalage ». Le réalisateur a suivi de très près l’évolution des compositions, n’hésitant pas à s’impliquer dans leur modulation (un peu plus de ceci, un peu moins de cela) tant il est conscient de l’importance de la musique au cinéma. Les membres de Coyote, dont l’album offre plus d’un passage « cinématographique », ont pris plaisir à ce travail un peu particulier. D’autant qu’ils comprenaient bien son contexte ardennais, rural. Leur contribution s’inscrit joliment dans la texture sonore mais aussi émotionnelle d’un Mobile Home riche en dialogue -heureux- entre image et musique(s).

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