Mickey 17, le nouveau film déjanté de Bong Joon-ho, le réalisateur de Parasite

Robert Pattinson est le Mickey 17 du réalisateur Bong Joon-ho, dont le film Parasite avait remporté la Palme d’or et l’Oscar du meilleur film il y a six ans. © 2024 Warner Bros.

Six ans après avoir remporté la Palme d’or et l’Oscar du meilleur film pour Parasite, Bong Joon-ho revient enfin. Mickey 17 est une parabole SF déjantée, avec Robert Pattinson dans le rôle d’un héros duplicable à l’infini et Mark Ruffalo en dictateur dont le discours n’est pas sans évoquer celui de Trump.

« Qui est-ce ? », demande Bong Joon-ho en pointant du doigt le livre posé sur ce genre de table basse qu’on ne trouve que dans les suites des palaces parisiens –en l’occurrence, ce jour-là, le Bristol. Caressant affectueusement son embonpoint, il ne lui faut pas longtemps avant de lâcher la chute de sa plaisanterie. Sur la couverture du bouquin, c’est lui… il y a un quart de siècle.

Quentin Tarantino a un jour surnommé Bong Joon-ho «le Steven Spielberg coréen», peut-être parce qu’il est un réalisateur exceptionnel et un conteur-né s’amusant à explorer les genres et à mettre en scène des créatures étranges. Pourtant, Spielberg n’a jamais remporté pour un même film les deux prix les plus prestigieux du monde du cinéma: la Palme d’or et l’Oscar du meilleur film. Bong, lui, a réussi cet exploit avec Parasite (2019), long métrage de suspense à la fois vif et satirique, abordant la lutte des classes par le biais de deux familles coréennes.

Pour cette suite tant attendue, le cinéaste coréen s’est associé à Warner Bros et à des noms prestigieux, obtenant un budget de 150 millions de dollars. Il n’a pas joué la sécurité pour autant: Mickey 17 est une œuvre de science-fiction spectaculaire et excentrique, qui raconte l’histoire d’un vaisseau spatial rempli de jeunes gens cherchant à coloniser une planète lointaine. Toutes les expériences mortelles incombent à Mickey, car c’est un «expandable», employé jetable et duplicable à l’infini grâce à une «imprimante à humains». Un rôle incarné par Robert Pattinson (The Batman, Twilight, High Life…), tandis que Mark Ruffalo (Hulk dans The Avengers et médecin dans Poor Things) campe le chef d’expédition protofasciste qui déblatère comme Trump peut le faire.

Du pouvoir destructeur du capitalisme et du colonialisme aux dilemmes éthiques liés aux formes de vie artificielles, rien n’échappe à la critique acerbe de Bong, qui établit des parallèles entre Mickey 17 et Parasite. « Bien qu’il s’agisse d’un film de science-fiction, Mickey a beaucoup en commun avec le frère et la sœur pauvres de Parasite, explique Bong. C’est un combat pour accéder à une vie digne. Mickey n’est pas un superhéros, mais un garçon sympathique, un peu pathétique, qui peine à mener une existence décente. On se moque souvent de lui et on le malmène, mais il encaisse tout… jusqu’à ce que Mickey 18 sorte de l’imprimante.»

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Comment en êtes-vous arrivé à ce film?

Il est basé sur le livre Mickey7 d’Edward Ashton. Le concept de «l’impression» des êtres humains m’avait stupéfait. Il ne s’agit pas de clonage, mais d’une véritable impression, comme une imprimante le ferait sur du papier. Sauf qu’ici, ce sont des humains, pas de simples documents. La tragédie d’un individu considéré et traité comme un objet jetable et remplaçable me touche profondément. Il y a dans cette histoire des questions éthiques, mais aussi beaucoup d’humour noir et une dimension politique.

Cet aspect politique est d’ailleurs un point commun entre Mickey 17 et Parasite. Vous n’êtes pas un grand adepte du capitalisme…

Ne vit-on pas tous aujourd’hui dans un monde capitaliste? Même des pays comme la Chine sont devenus des puissances ultracapitalistes. Savez-vous ce que le média en ligne Indiewire a écrit après la première au festival du film de Berlin (il pianote sur son smartphone et cite)? «Ce n’est pas juste un autre grand film de Bong Joon-ho sur combien il déteste le capitalisme, c’est le premier film de Bong Joon-ho sur combien il aime les gens.» Je trouve cette phrase amusante. Jusqu’à présent, il est vrai que je me suis un peu trop concentré sur cette haine du capitalisme

«La tragédie d’un individu considéré et traité comme un objet jetable et remplaçable me touche profondément.»

Vous optez pour une fin heureuse. L’âge vous a-t-il rendu un peu moins pessimiste?

Par le passé, j’ai parfois été un peu trop cruel envers mes personnages. J’ai maintenant 56 ans, et je n’ai pas eu le cœur de détruire Mickey. Je voulais le sauver. Peut-être parce que Robert Pattinson l’incarne, peut-être parce que son destin est si lourd et qu’il est traité avec tant de cruauté. Il meurt encore et encore lors de missions extrêmement dangereuses. Une grande partie de la communauté ne ressent absolument aucun malaise face à cela, aucun sentiment de culpabilité. Mourir, c’est la tâche qui lui revient. Je trouve cela troublant. Quel système permet une chose pareille? C’est en ce sens que le film s’est naturellement doté d’une dimension politique.

«Maintenant que le film sort enfin, après un an de report, il semble, étrangement, faire écho au présent.»

Mickey 17
Mickey 17, parabole de science-fiction spectaculaire et excentrique, raconte l’histoire d’un vaisseau spatial rempli de jeunes gens cherchant à coloniser une planète lointaine. © 2024 Warner Bros.

Pourquoi avoir choisi Robert Pattinson?

C’est un scénario extrême et un rôle exigeant. Il était mon premier choix, et il a rapidement accepté. Avec à son actif des films comme The Batman et surtout Good Time, des frères Safdie, je savais qu’il était un acteur exceptionnel, capable de proposer une palette très large. Lors de notre première rencontre, j’ai été frappé par son ouverture d’esprit. Il a beau incarner Batman et d’autres héros, j’ai aussi trouvé sur Internet des photos où il ressemble plutôt à un miséreux et n’a pas l’air particulièrement futé. J’ai hésité un instant à savoir s’il serait aussi convaincant en Mickey 18. Mais en revoyant ses scènes avec Willem Dafoe dans The Lighthouse, j’ai compris qu’il avait l’énergie et la fougue nécessaires pour incarner ce rôle également.

Le tyrannique chef d’expédition du film tient un discours décousu et garde une éraflure après une tentative d’assassinat. Que vous est-il venu à l’esprit lorsque Trump a été atteint par une balle, l’été dernier?

A Berlin, on m’a demandé si j’avais une boule de cristal. Je plaide non coupable. J’ai écrit le scénario en 2021, nous avons tourné en 2022. Avec Mark Ruffalo, nous avons longuement discuté de différents dictateurs et dirigeants politiques douteux. Mais ces discussions portaient surtout sur des figures du passé. Maintenant que le film sort enfin, après un an de report, il semble, étrangement, faire écho au présent. Je suis moi-même surpris et je dois malheureusement conclure que les aspects les plus sombres de l’histoire se répètent.

Comme souvent dans vos scénarios, dans Mickey 17 les rôles sont inversés: les humains sont monstrueux, les monstres sont humains.

J’ai travaillé avec le même concepteur de créatures que pour Okja et je lui ai donné une photo de croissants. Dans le livre, c’est une sorte de mille-pattes, mais pour moi, c’était plus simple: ce sont des croissants (rires). Ils nous renvoient un miroir. Pour le dictateur et sa femme, qui ne font aucun effort pour dissimuler leur mépris et leur haine, ils sont pires que des insectes répugnants. Le personnage de Toni Collette les décrit même comme des croissants trempés dans de la merde. Mais ils cachent un secret, et peu à peu, le spectateur réalise qu’ils sont plus dignes et plus intelligents que les humains. Ce n’est pas un hasard si Mickey et les monstres se retrouvent. Aux yeux du dictateur, lui aussi est un bien de consommation interchangeable. Les laissés-pour-compte s’entraident.

Et si on imprimait un deuxième ou un troisième Bong Joon-ho? Vous pourriez ainsi réaliser beaucoup plus de films…

Pfff. Après chaque film, je suis épuisé. Physiquement et mentalement. Je me demande même si vouloir à tout prix faire des films est vraiment sain. Regardez à quel point Bong 1 était plus mince (il désigne à nouveau le livre sur la table basse). Après chaque film, c’est comme une renaissance. En ce moment, je dois être Bong 8, puisque je travaille sur mon huitième film. Comme Rob (NDLR: Pattinson), j’ai le plus d’affection pour Mickey 17, mais je reconnais que j’aimerais avoir l’énergie de Mickey 18 pour en réaliser davantage. J’espère vivre assez longtemps pour en faire dix. Mais, s’il vous plaît, ne me réimprimez pas.

Mickey 17

Comédie SF de de Bong Joon-ho. Avec Robert Pattinson, Mark Ruffalo, Naomi Ackie, Steven Yeun. 2h17.

La cote de Focus: 3/5

Robert Pattinson se démultiplie et s’en donne à cœur joie dans ce délire SF joyeusement outrancier orchestré par le réalisateur de Parasite. Adapté d’un roman d’Edward Ashton, Mickey 17 s’articule autour d’un être humain consommable et jetable, dont la mémoire peut être sauvegardée et le corps réimprimé à volonté. Mourant sur commande, il enquille les missions périlleuses afin de servir les intérêts d’un politicien aussi taré que facho (Mark Ruffalo) qui entend coloniser brutalement une nouvelle planète… En dépit de quelques faiblesses scénaristiques, le nouveau film de Bong Joon-ho tient du divertissement de genre plutôt drôle et efficace aux nombreuses résonances actuelles, entre vertige identitaire en lien avec la technologie et critique au lance-flamme d’une idiocratie très trumpiste.

N.C.

Ce qu’il faut savoir de Bong Joon-ho

• Le réalisateur sud-coréen de 55 ans a fait ses débuts il y a 25 ans avec Barking Dogs Never Bite.

• Maître dans l’exploration de genres variés, il excelle dans l’alternance entre humour, suspense, action et (mélo)drame.

• The Host (2006) est le film le plus rentable de l’histoire du cinéma sud-coréen. Il a également réalisé des films en anglais avec Tilda Swinton, Chris Evans et Jake Gyllenhaal, comme Snowpiercer et Okja.

• Avec Parasite (2019), il a remporté la Palme d’or et quatre Oscars. C’était la première fois qu’un film non anglophone gagnait l’Oscar du Meilleur film.

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