Merci patron! et autres docus engagés
Figure tutélaire du Merci patron! de François Ruffin, le film à l’origine du mouvement Nuit Debout, Michael Moore influence le documentaire depuis un quart de siècle. Sur un mode perso, satirique, engagé.
« Roger and Me: Documentaire? Satire? Ou les deux à la fois? » Richard Bernstein posait la question dans son -excellent- article publié par le New York Times du 1er février 1990. Les éléments de réflexion développés dans ce papier, voici un quart de siècle déjà, restent aujourd’hui d’une remarquable pertinence, quant à la filmographie de Michael Moore telle qu’elle s’est développée depuis mais aussi quant à l’héritage du natif de Flint, Michigan, tel que l’illustre aujourd’hui le Merci patron! de François Ruffin. Le rapprochement des deux films est éloquent. Ruffin se lance à l’assaut d’un grand groupe industriel (LVMH) et personnalise sa « croisade » en visant son grand patron (Bernard Arnault), exactement ce que faisait en 1989 Michael Moore contre General Motors et son PDG Roger B. Smith. Les fermetures d’usines sinistrant une région (le nord de la France chez Ruffin, sa ville natale chez Moore) sont dénoncées et à travers elles un capitalisme sans état d’âme face à la détresse sociale. Et comme son aîné américain, Ruffin se met lui-même en scène, dans l’image, avec un humour ravageur auquel il ajoute -pointe d’originalité- une mystification destinée à piéger l’ennemi de classe en jouant les Robins des Bois (lire la critique).
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Les reproches de manque d’objectivité adressés en son temps à Roger and Me ne sont plus de mise aujourd’hui. Certes, l’élément de satire entraîne un grossissement du trait, mais sur le fond des choses, le documentaire n’a jamais été du journalisme filmé, la subjectivité du réalisateur s’y est toujours exprimée, que ce soit chez Storck et Ivens dans Misère au Borinage (1933), dans Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophüls (1969), Shoah de Claude Lanzmann (1985) ou les oeuvres du grand Frederick Wiseman, lequel reconnaît que ses films sont « subjectifs », qu’un documentaire « distord forcément la réalité », tout en réaffirmant qu’il doit « rester honnête, relater l’expérience vécue à faire le film plutôt que d’imposer quelque point de vue préconçu. »
L’humour comme arme
L’idéologie, surtout « anti », est plus présente dans le documentaire contemporain sous influence « mooresque ». Et cela que ce soit sur le mode ouvertement satirique (par exemple dans Super Size Me de Morgan Spurlock en 2004, où l’industrie de la malbouffe en prend pour son grade) ou sur un ton des plus sérieux (Le Cauchemar de Darwin de Hubert Sauper, dénonçant en 2003 un scandale écologique en Afrique). Le réalisateur s’exprime désormais à la première personne (« Oui je suis partial », avoue le bouillant Michael), soit en voix off soit en entrant carrément dans le cadre pour s’y interposer physiquement entre spectateur et sujet. Mélanie Laurent et Cyril Dion le font dans Demain (2015) en jouant au Candide tout en entraînant littéralement le spectateur dans leur périple à la recherche d’alternatives écologiques, économiques et sociales.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Mais l’élément satirique est bien l’essentiel de l’influence de Moore, qui l’a développé à l’envi dans Canadian Bacon, Bowling for Columbine et Fahrenheit 9/11, Palme d’Or au festival de Cannes en 2004. S’il naît de la matière filmée elle-même dans Jesus Camp (de Heidi Ewing et Rachel Grady en 2007, sur le mouvement évangéliste aux USA), il sous-tend Merci patron! et cette petite perle qu’est Image Problem (Simon Baumann et Andreas Pfiffner, 2012) où le prétexte de demander aux gens leurs idées pour améliorer l’image de marque de la Suisse tourne à la farce entre rire et consternation. L’arme de l’humour fait souvent du bien au docu. Même si elle peut, à force de frapper les mêmes cibles avec la même approche, se retourner contre celui qui l’emploie. Par exemple… Michael Moore, dont le nouveau film Where to Invade Next expose les limites de l’exercice. Nous y reviendrons lors de sa sortie au début du mois de juin.
>> Lire également notre critique de Merci patron!, drôle et engagé.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici