Marion Cotillard, profession: actrice
A peine sortie du tournage d’Annette, le nouveau long-métrage tant attendu de Leos Carax, Marion Cotillard était, en décembre dernier, l’une des prestigieuses invitées d’honneur du Festival international du film de Marrakech. Rencontre exclusive.
Quel film plus attendu et désiré que celui-là en 2020? Il y a tout juste huit ans, Leos Carax (Mauvais sang, Les Amants du Pont-Neuf) signait avec le fulgurant Holy Motors l’objet de cinéma le plus ambitieux, le plus beau et le plus fou de la dernière décennie. Dans quelques mois à peine – Cannes, sans doute? -, son successeur, Annette, comédie musicale noyautée autour d’un couple hollywoodien et de leur fille, enfant mystérieuse promise à un destin exceptionnel, sera prêt à prendre vie sur les écrans. Marion Cotillard y campe le personnage de la mère, soprane de renom mariée à un comédien de stand-up provocateur joué par Adam Driver. Ajoutez à cela la présence de… Angèle au casting, ainsi qu’un scénario et une musique écrits par les frères Mael, têtes pensantes de l’étincelant groupe de rock californien Sparks, et on vous défie de trouver autre projet à même d’affoler à ce point tous les baromètres cinéphiles de la planète.
Quand on la rencontre en décembre dernier à Marrakech, Marion Cotillard sort à peine du tournage marathon de ce film mis en boîte entre Los Angeles, Bruxelles et Cologne. Elle se dit heureuse, mais lessivée… « Heureuse, parce que Leos Carax, c’est un bonheur en soi. Avec lui, on touche vraiment à quelque chose qui est de l’ordre du génie pur. La manière dont il est sur le plateau… Mais lessivée, parce que, techniquement, c’était extrêmement compliqué à faire. J’adore chanter, mais, là, je joue une chanteuse d’opéra. Ce que je ne suis absolument pas, évidemment. Et j’ai eu une préparation tellement courte pour le rôle… Il n’y avait que des choses complexes sur ce tournage, en fait. Donc, c’est difficile de se détendre et d’en profiter. De rentrer le soir et de se dire qu’on a touché à quelque chose d’authentique. Ça ne m’est jamais arrivé sur ce film, pas un seul jour (sourire). Annette, c’est le tournage le plus difficile que j’ai connu. J’avais déjà beaucoup ramé sur Macbeth, le film de Justin Kurzel avec Michael Fassbender. Parce que la langue de Shakespeare est extrêmement difficile à manier. En tant que Française, je ne me sentais pas du tout légitime. Dans ces moments-là, le mental se délecte du doute. C’est-à-dire qu’il m’est impossible de trouver du plaisir à tourner quand il y a une petite voix à l’intérieur de moi qui me répète inlassablement que je ne vais pas y arriver. Tous les soirs, je rentrais en me disant que j’allais être ridicule. Je gambergeais à mort. »
J’ai été éduquée dans une liberté extraordinaire, je pouvais être qui je voulais.
La métamorphose
De doute, de non-confiance en soi, de ce sentiment flottant de ne pas se sentir légitime, il en sera beaucoup question tout au long de cet entretien. Plutôt étonnant s’agissant d’une des rares stars françaises à avoir à ce point percé au niveau international. Et qui a toujours évolué dans une famille d’artistes, son père et sa mère étant tous deux comédiens et professeurs d’art dramatique. « J’ai été éduquée dans une liberté extraordinaire, qui a fait que je pouvais vraiment être qui je voulais. Donc, je n’ai jamais eu d’autres limites que mon manque de confiance en moi. J’ai toujours voulu être actrice. Bien au-delà du fait que c’était le métier de mes parents. J’avais un rêve de cinéma très fort. Ce qui me fascinait par-dessus tout, c’était les acteurs caméléons, qui pouvaient passer d’un rôle à l’autre en se métamorphosant totalement. Ça, c’était pour moi le fantasme absolu. »
Et la comédienne de remonter peu à peu le fil de ce qui l’anime dans son travail… « Très petite, déjà, ça me troublait de voir comment l’humain fonctionne. Seul ou en groupe. Le métier d’actrice m’apprend sur l’humain, donc forcément sur moi. Et je pense que c’est pour ça que je fais ce métier. Parce que je suis fascinée par cet animal qu’on est. Les capacités qu’on exploite, celles qu’on n’exploite pas, et pourquoi. Le rapport entre les gens. Les cultures différentes qui composent cette humanité. Tous les aspects de l’humain me bouleversent et me fascinent. Après, oui, il y a eu tout un parcours pour dépasser le fait de ne pas me sentir légitime. Parce que c’est quelque chose quand même de se placer devant un public, de lui demander de nous regarder, de nous écouter. Même si, bien sûr, le retour des gens contribue à apporter une certaine légitimité. Je me souviens de la première fois où j’ai ressenti ça. J’étais en colonie de vacances, je devais avoir 9 ou 10 ans. On avait monté un petit spectacle. J’y avais une scène toute seule où je jouais une vieille femme de ménage. Et je m’étais complètement investie dans ce truc. J’avais pris un plaisir dingue à être quelqu’un d’autre que moi-même. Les gens y avaient cru et venaient me le dire avec beaucoup de surprise, parce que je n’étais pas quelqu’un qui parlait beaucoup. Je me souviens que j’avais ressenti quelque chose de très fort. J’avais adoré ça, de faire cette impression-là sur les autres… »
Créer des déclencheurs
Si, aujourd’hui, Marion Cotillard n’est pas à proprement parler ce qu’on appelle une actrice de la méthode, qui reste en permanence dans son personnage, elle n’en abat pas moins systématiquement, en amont des tournages, un énorme travail de préparation. « Investir un personnage, c’est comme aller à la rencontre de quelqu’un qu’on aime. On a envie de découvrir cette personne en profondeur. Souvent, je me dirige vers la petite enfance du personnage. Parce que c’est là qu’il me semble intéressant de trouver des choses. Alors, évidemment, quand il s’agit d’un personnage qui a réellement existé, eh bien tout est déjà là. Mais quand c’est un personnage totalement inventé, il n’y a jamais dans le scénario toutes les informations qui me sont utiles à construire un être consistant, vivant, qui a du corps, de la chair, et qui fait qu’il y a quelque chose qui va traverser l’écran, qui va aller toucher les gens. C’est à moi de créer ces informations. »
Tous les aspects de l’humain me bouleversent et me fascinent.
Quand on lui demande pour quel rôle récent son imaginaire a été primordial dans la construction du personnage, elle évoque du tac au tac le film des frères Dardenne, Deux jours, une nuit (2014). « Parce qu’il n’y avait absolument aucune information sur le personnage dans le scénario. Elle ne raconte jamais sa vie, puisque tout le film repose quasiment sur le même discours, répété ad nauseam, de cette femme qui va demander de l’aide parce qu’elle a perdu son travail à cause d’une dépression. On ne sait pas pourquoi elle est en dépression. On ne sait pas ce qu’elle aime dans la vie. On sait simplement qu’elle a un mari, deux enfants, et qu’elle essaie de récupérer son travail. Quand on arrive sur un film comme ça, on ne peut pas juste apprendre son texte et se dire que ça suffira. Parce que la moindre chose qu’elle va regarder, la moindre chose qu’elle va faire, les endroits dans lesquels elle va aller, tout ça est émotionnellement connecté. Et donc toutes ces choses, il a fallu les découvrir. Ce film, pour moi, a été génial d’invention. J’en avais besoin, parce que c’était un film émotionnellement très compliqué. Notamment à cause de la difficulté technique, avec des plans-séquences parfois de cinq minutes où il fallait que j’ai une forte émotion au bout de trois-quatre minutes. Donc il faut des déclencheurs, que je dois créer. Concrètement, sur le tournage, j’ai écrit beaucoup de scènes, dont les Dardenne n’ont jamais eu connaissance. Pour moi seule. Ils savaient que j’inventais des choses, bien sûr, mais c’est tout. Et, pour le coup, j’ai fait un travail d’invention assez complet, c’est-à-dire que j’ai inventé beaucoup de scènes en lien avec l’enfance du personnage, ce qu’elle aimait manger, ce qu’elle aimait écouter comme musique, ses amis, sa famille… »
Un besoin de nettoyage
Ses rôles, l’actrice dit bien souvent les choisir par goût de l’inconnu, mais aussi du défi. « Au-delà du trac, de la peur de ne pas y arriver, j’ai tendance à penser que rien n’est impossible, et que si on travaille assez, on peut vraiment tout faire. Ce qui me touche énormément dans le choix de mes rôles, c’est d’accompagner quelqu’un qui a un besoin vital de s’exprimer par le cinéma. C’est un des critères très importants pour moi, que ce soit vital pour un réalisateur de faire ce qu’il fait. Comme je pense que c’est vital pour moi de faire ce que je fais. »
Vital, au point parfois d’avoir du mal à en sortir… « Je pensais que j’étais ce genre d’actrice qui pouvait se débarrasser de son personnage au moment même du clap de fin. Et en fait, non. Je me suis rendu compte après La Môme que pas du tout. On ne peut pas retourner à la vie normale comme ça. Moi, maintenant, j’ai tout un processus, en fait. De sortie du personnage. C’est un besoin de nettoyage. D’autant que je vais souvent vers des personnages perturbés, dépressifs, qui ne vont pas très très bien, quoi, disons (sourire). Ce processus de sortie auquel je m’astreins désormais systématiquement, je le trouve presque aussi passionnant que celui qui consiste à entrer dans le personnage. Parfois, ça peut être simplement un massage. Ou une séance d’ostéopathie, où je sens le personnage s’envoler. Ou encore le magnétisme. Je travaille avec des magnétiseurs très très puissants, et qui sentent si je suis habitée ou pas. Alors ça peut paraître un peu mystique, comme ça. Mais c’est très simple, hein. Quand vous fréquentez beaucoup quelqu’un, dans la vie, il y a une forme de mimétisme qui se crée. Pour un acteur, c’est plus qu’être avec un ami toute la journée, c’est être à l’intérieur de cette personne. On ne peut pas couper les fils de la marionnette aussi facilement que ça. »
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