UN BIJOU 24 CARAX – ZAPPING ÉTOURDISSANT À LA SURFACE DU MONDE ET MIROIR RÉFLÉCHISSANT D’UN CINÉMA PORTANT SON PROPRE DEUIL, HOLY MOTORS SE DÉPLOIE TEL UN RÊVE DE FILM…
DE LEOS CARAX. AVEC DENIS LAVANT, EDITH SCOB, MICHEL PICCOLI. 1 H 55. ED. POTEMKINE. DIST: TWIN PICS.
Avec Holy Motors, son cinquième long métrage et le premier depuis une éternité –Pola X, son précédent opus, remontait au siècle dernier-, Leos Carax aura assurément signé le grand choc esthétique de 2012; une oeuvre proprement stupéfiante, dont l’on a toujours peine à croire que le jury cannois ait choisi de la snober. Mais soit, sans doute y avait-il là un postulat trop aventureux -celui qui veut aussi qu’à le revoir aujourd’hui dans un tirage Blu-ray exemplaire, ce film apparaisse encore et toujours inépuisable. Son prologue ayant installé le spectateur face à l’écran de la vie, Holy Motors dévide une journée de Monsieur Oscar (Denis Lavant), un individu voyageant d’une existence à l’autre à bord d’une interminable limousine lui tenant lieu de loge et conduite par la dévouée Céline (Edith Scob). Et d’adopter tour à tour l’identité d’une mendiante, d’un cyber-lover, d’un banquier, d’un père de famille, et l’on en passe -il y en aura onze en tout, dont encore ce Merde rescapé de l’aventure Tokyo!, et qui viendra ici arracher une gravure de mode (Eva Mendes) à son shooting en plein cimetière du Père Lachaise.
Les audaces de Carax
A sa suite, c’est comme si Carax se livrait à un zapping étourdissant à la surface du monde et de ses vacillements, dans un mouvement le conduisant à tutoyer le néant comme l’éternité. En cours de route, le cinéaste se joue des conformismes cinématographiques pour faire de son film un espace de liberté, formelle comme narrative. L’entreprise n’est pas sans risques, qui ne fait d’ailleurs pas l’économie de l’une ou l’autre passade ridicule, et adopte, à l’occasion, une esthétique au futurisme fané dans les replis d’un temps révolu. Qu’à cela ne tienne, Holy Motors est plus encore traversé de somptueuses fulgurances découvrant de bouleversants horizons. Le Revivre de Gérard Manset pourra bientôt résonner en point d’orgue d’un film balayant l’histoire du Septième art et convoquant les fantômes du réalisateur -voir le passage, sublime, réunissant Denis Lavant et Kylie Minogue dans les combles de la Samaritaine, en écho limpide aux Amants du Pont-Neuf- mais s’érigeant, plus encore, en émouvante équipée humaine. Les chants les plus désespérés sont parfois les plus beaux, c’est bien connu, et celui-ci ne fait certes pas exception à la règle.
Bonheur supplémentaire, le Blu-ray édité par Potemkine nous arrive lesté de compléments nombreux. Il y a là, notamment, un passionnant making of laissant largement la parole aux acteurs, de même qu’à la chef-opératrice Caroline Champetier, une interview de Denis Lavant et surtout une conversation avec Leos Carax, dont la parole est aussi rare que les films, et qui répond ici aux questions d’Olivier Père lors du festival de Locarno. Moment précieux que celui-là, où le cinéaste évoque, dans le désordre, le cinéma, la vie, son parcours et Holy Motors, citant notamment Jean Cocteau: « A l’impossible, on est tenu », pari relevé avec superbe par ce chef-d’oeuvre de toutes les audaces.
JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS
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