Magritte: « Les propos de Milquet valent-ils uniquement pour les sales Flamands? »

Wim Willaert, Veerle Baetens et Jaco Van Dormael. © BELGA
FocusVif.be Rédaction en ligne

La ministre francophone de la Culture, Joëlle Milquet, s’est dite « perplexe » jeudi après l’attribution, début février, de deux Magritte du cinéma à des comédiens flamands.

Interrogée jeudi en commission du Parlement par plusieurs députés sur l’édition 2016 des Magritte, Joëlle Milquet n’a pas caché son inconfort par rapport à l’attribution du Magritte du premier rôle masculin au comédien Wim Willaert et le Magritte du premier rôle féminin à Veerle Baetens. « Je suis perplexe et j’ai été perplexe à l’occasion de cette cérémonie », a confié la ministre devant les députés. « Cela mérite une discussion. »

Le choix de deux acteurs flamands est incontestablement un signe d’ouverture envers les autres talents, a-t-elle reconnu. « Mais ce signal d’ouverture était-il nécessaire? », s’est-elle toutefois interrogée. « Je ne voudrais pas que ce choix donne l’impression qu’on n’a pas de talents dans notre propre communauté… »

Créés en 2011, les Magritte du cinéma, organisés par l’académie André Delvaux, récompensent chaque année des réalisateurs et acteurs du cinéma belge francophone.

Les acteurs flamands Wim Willaert et Veerle Baetens ont d’ailleurs été récompensés cette année pour leur prestation dans deux films joués dans la langue de Voltaire, à savoir Je suis mort mais j’ai des amis pour le premier, et Un début prometteur pour la seconde.

Pour Joëlle Milquet, ces remous autour de l’attribution de Magritte à des acteurs flamands devrait pousser à réfléchir à un éventuel regroupement des prix cinématographiques belges, à savoir les Ensor flamands et les Magritte francophones.

« C’est une discussion que nous pourrions avoir. Si ces prix étaient fédérés, il y aurait moins de polémique », a-t-elle fait valoir.

Une vision bornée de la culture

Les propos suscitent le débat en Flandre. Bart Eeckhout, commentateur pour le quotidien De Morgen, n’hésite pas à descendre la ministre francophone en flammes dans une opinion intitulée « #cestjoelle: Parfois on ne peut que constater la grossièreté n’est ni une question de langue, ni de culture ». « Premièrement, de quoi se mêle la ministre ? Et quelle vision bornée, étroitement nationaliste de la culture. Si la situation était inversée, la N-VA n’oserait pas tenir de tels propos. (…) Madame Milquet serait-elle également perplexe si un acteur marocain recevait un Magritte? Ou sa discrimination ne vaut-elle que pour les sales Flamands? » s’indigne-t-il.

Impitoyable, le journaliste s’étonne dans sa conclusion que les francophones continuent à supporter les faits et gestes de Milquet, qui d’après lui, « a voulu modifier les routes aériennes en pleine campagne électorale parce que ses enfants devaient étudier ». « S’il y a longtemps qu’on ne devrait plus s’en étonner, on est surtout perplexe que les Belges francophones subissent depuis si longtemps la bêtise pure et l’incompétence de cette politique. Plus est en vous, les amis francophones » conclut-il.

« Vous savez quoi, madame Milquet: scindez le pays »

On entend le même son de cloche du côté du monde politique flamand où la proposition de la ministre de regrouper les prix cinématographiques belges est très critiquée. Plusieurs sources aux gouvernements fédéral et flamand interrogées par De Morgen parlent ainsi de « folie » et l’une d’entre elles déclare même « qu’elle va ne pas lui faire le plaisir de réagir ».

Jean-Jacques De Gucht (Open VLD) explique au Morgen qu’un prix ne lui poserait pas de problème, « mais si c’est là la motivation de Milquet, c’est presque risible et susceptible. » Valerie Van Peel (N-VA) se montre encore plus directe sur Twitter: « Vous savez quoi, madame Milquet : scindez le pays et vous n’aurez pas ce problème. Pauvre de vous ». Le ministre-président flamand Geert Bourgeois déplore également les propos de Joëlle Milquet.

Interrogé par le quotidien de Standaard, le principal intéressé, l’acteur flamand Wim Willaert, retient surtout de la polémique « que le jury a trouvé que Veerle et moi avons réalisé une belle prestation d’acteur ».

ADDENDUM

Le Cabinet de Joëlle Milquet tient à préciser les propos de la ministre, qui sont « vous le constaterez, clairement plus nuancés que ce que l’on en dit ». Voici ci-dessous la réponse intégrale de Joëlle Milquet donnée en Commission Culture du Parlement de la Fédération-Wallonie-Bruxelles ce jeudi 25 février 2016 suite aux questions de Mme Salvi et MM. Bouchez, Lefebvre (les passages en gras sont particulièrement visés).

Mme Joëlle Milquet, vice-présidente et ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance. – Comme vous le savez, les Magritte existent depuis 2011et sont le fruit d’une initiative de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Leur objectif premier est d’offrir une reconnaissance à nos talents dans leur propre pays, d’affirmer notre fierté, de rendre visible le cinéma belge et ce, dans un cadre assez prestigieux. Je trouve cette démarche nécessaire et j’ai pu constater que certains médias étrangers s’y étaient d’ailleurs intéressés. Attirer une fois par an l’attention du grand public sur nos films et nos talents me semble d’autant plus utile que la diffusion du cinéma belge ne se fait pas sans mal et que nos productions n’attirent pas toujours un grand nombre de spectateurs. C’est pour cette raison que nous avons voulu inscrire cette cérémonie dans la stratégie de l’aide à la diffusion et de la promotion des films belges auprès du public, stratégie que nous avons développée avec le Centre du cinéma.

Il me semble donc, Monsieur Bouchez, que l’objectif de cette cérémonie ne doit nullement être remis en cause, même si certaines améliorations peuvent y être apportées. Certains changements ont déjà été opérés cette année, à ma demande. Le prix du public avait, l’an dernier, suscité une polémique. J’ai donc fait le nécessaire pour qu’il soit supprimé. Nous avons en outre créé une nouvelle catégorie, celle des courts métrages d’animation, domaine où nous excellons particulièrement. Pour la première fois, un Magritte a également été décerné au meilleur premier film. Notre désir était de soutenir les jeunes créateurs qui, dans ces concours, doivent souvent affronter des « monstres sacrés » du cinéma. Enfin, dans le cadre du plan de diffusion du cinéma que nous avons présenté avec le Centre du cinéma, j’ai demandé à l’Académie André Delvaux d’organiser, après les Magritte, un événement permettant au public belge de revoir des films primés en salle et de rencontrer les lauréats. Celui-ci doit être organisé dès la fin du mois de mars et permettre au public de redécouvrir des films lauréats sur tout le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles de manière à prolonger et approfondir l’impact des Magritte.

Quant à la polémique provoquée par l’ouverture des Magritte du cinéma aux talents flamands, je pose la question de l’opportunité de fédérer les initiatives que sont les Ensor et les Magritte et de fêter le cinéma belge lors d’une cérémonie commune. Ne serait-il pas judicieux de promouvoir le cinéma belge talentueux des deux côtés de la frontière linguistique? Nous pouvons en discuter. Le climat n’a jusqu’à présent pas permis de le faire, mais les choses peuvent changer.

Cela permettrait à tout le monde de valoriser les talents des uns et des autres. C’est ce que nous essayons de faire dans BE for Music. Le Roi est d’ailleurs venu soutenir cette opération qui vise à fédérer nos deux opérateurs. Le but est d’échanger et de promouvoir nos talents rock et jeune scène musicale, en Flandre comme en Wallonie, et de faire en sorte qu’ils puissent s’intégrer dans les différents concours de part et d’autre. C’est loin d’être absurde. Ce choix n’a pas été porté jusqu’à présent. Si le souhait se manifeste, je n’ai aucun souci à le satisfaire. Cela aurait pu éviter la problématique. Cependant, dans le cas qui nous occupe, il s’agit d’une cérémonie financée et censée promouvoir notamment les comédiens, acteurs et réalisateurs francophones.

J’en viens à la polémique relative aux talents flamands. Les deux principaux prix décernés aux comédiens sont en effet revenus à des acteurs flamands, ce que d’aucuns trouvent déplacé lors d’une cérémonie visant à mettre en valeur les talents belges francophones. Je voudrais d’abord rappeler que sont éligibles aux Magritte tous les comédiens belges, qu’ils soient francophones ou flamands, qui jouent dans des films reconnus officiellement comme belges. Cela nous permet d’inclure dans la compétition nos grands comédiens tels que Cécile de France ou François Damiens, lorsqu’ils jouent dans des films français coproduits avec la Belgique. Je dois aussi rappeler deux éléments: Wim Willaert et Veerle Baetens, les lauréats de cette année, sont tous deux couronnés pour des rôles en français, dans des films en français. De plus, les quatre autres prix ont été remis à des acteurs belges francophones.

Cela dit, je suis perplexe. Les choix ont été faits en toute autonomie; je ne suis nullement intervenue. J’ai juste répondu à l’invitation. Je pense toutefois que cela mérite une discussion, non pas qu’il faille s’interdire la valorisation les talents, au contraire. Les acteurs récompensés sont excellents. En outre, je pense avoir suffisamment démontré ma volonté de jeter des ponts. Mon étroite collaboration avec Sven Gatz en témoigne. Je suis d’ailleurs prête à faire en sorte que nous ayons des cérémonies communes. J’aimerais aussi que cette ouverture dont nous avons fait preuve soit mutuelle et réciproque. Je n’ai aucun problème de cet ordre.

La Fédération Wallonie-Bruxelles compte toutefois des talents importants et notre premier devoir est de les faire connaître. Tout cela demande une discussion sereine. Je ne remets aucunement en cause les qualités artistiques et le signal d’ouverture. Je m’interroge toutefois sur la nécessité qu’il se soit manifesté dans de telles proportions. Je n’aimerais pas laisser à penser que notre Fédération n’a pas suffisamment de talents, alors que nos acteurs sont immensément talentueux. Certains n’ont pourtant pas été nominés, comme Benoît Poelvoorde au talent largement reconnu.

Par ailleurs, je sais que l’Académie André Delvaux et les organisateurs des Ensor se parlent régulièrement, mais une fusion n’est pas à l’ordre du jour. Les modes de fonctionnement divergent; les publics et les marchés sont différents. Tous les films flamands éligibles aux Ensor et tous les films francophones éligibles aux Magritte ne sortent pas sur le territoire de l’autre Communauté, ce qui rend parfois difficile un vote cohérent.

Des collaborations existent cependant sous la forme d’échanges d’informations.

Le Magritte du meilleur film flamand en coproduction a donné naissance à l’Ensor de la meilleure coproduction. Il n’est pas réservé aux films belges francophones, mais, depuis sa création, il a toujours été remporté par un tel film. Lors de la dernière édition, en 2015, la francophone Babetida Sadjo a reçu le prix de meilleure actrice dans un second rôle. J’ajoute que le journal Le Soir a publié vendredi dernier une carte blanche du conseil d’administration de l’Académie. Il faudrait sans doute la lire.

J’en viens à la diffusion. L’audience obtenue par la retransmission télévisée de la cérémonie n’est pas l’enjeu premier. Les véritables objectifs sont la visibilité dans les médias qu’elle offre à notre cinéma et au label Magritte accordé aux films primés. De ce point de vue, c’est une réussite totale. Il ressort de l’étude sur la connaissance du cinéma belge par le public francophone que j’avais commandée en 2015 que 75 % des personnes sondées et 81 % des personnes se rendant régulièrement au cinéma connaissent les Magritte.

Les médias de la RTBF ont diffusé la cérémonie des Magritte le 10 février, en prime time, soit quatre jours après la diffusion en direct sur Be tv. La cérémonie a toujours été diffusée en clair sur Be tv. Depuis 2015, elle est aussi disponible en direct et en streaming sur la page Facebook de Be tv. En outre, cette année, elle a été diffusée en direct à l’UGC De Brouckère et à l’Imagix Mons. M. Bouchez y était peut-être… Le lundi 8 février, le public a pu suivre la cérémonie en différé sur TV5 Monde. En outre, elle était disponible sur YouTube trois jours après la remise des prix.

Le budget de l’événement tourne autour de 1 200 000 euros. La Fédération Wallonie-Bruxelles y contribue à concurrence de 60 000 euros. Cette année, j’ai donné 20 000 euros de plus pour financer la diffusion décentralisée des films primés. Le financement des Magritte provient essentiellement du secteur privé, le rapport avec le financement émanant des pouvoirs publics étant de sept pour un.

L’impact des Magritte à l’étranger est de plus en plus important. La manifestation accueille toujours plus de médias étrangers, les personnalités étrangères se déplacent en nombre. Canal + France a même fait un petit reportage intégrant un membre de la famille royale. Les initiatives découlant des Magritte se multiplient. Une action avec l’ambassade de Belgique au Portugal est en préparation. Un ou deux films lauréats seront projetés au mois de mai lors d’une exposition internationale sur les remises de trophées. L’Académie André Delvaux a été sollicitée pour la deuxième année consécutive par l’association Cannes Cinéma pour la diffusion de deux films lauréats à Cannes. La cérémonie nous permet aussi de nous inscrire dans un réseau plus large comprenant les César, les Jutra et les Trophées francophones du cinéma.

Enfin, la cérémonie des Machins a sa place dans le microcosme du cinéma belge. Cette manifestation alternative valorise elle aussi le cinéma belge, certes sur la base critères différents. L’événement est sûrement moins guindé.

Belga/CB

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