Titre - L'Innocent
Genre - Comédie dramatique
Réalisateur-trice - Louis Garrel
Casting - Roschdy Zem, Anouk Grinberg, Louis Garrel
Durée - 1h39
Avec L’Innocent, délicieuse fantaisie à la croisée des genres cinématographiques, Louis Garrel signe sa meilleure réalisation à ce jour.
On n’attendait pas forcément Louis Garrel, l’acteur comme le réalisateur, sur le terrain du polar social, qui plus est mâtiné de drame sentimental et de comédie familiale aux accents autobiographiques. Pourtant, L’Innocent, quatrième long métrage qui le voit officier aussi bien devant que derrière la caméra, est tout ça à la fois, et même bien plus encore. Film de deuil ET de braquage, marivaudage ludique ET objet réflexif sur le jeu d’acteur… L’Innocent ose le joyeux mélange des humeurs et des genres avec une liberté et une inspiration qui forcent le respect. Et font “hennir les chevaux du plaisir”, comme le chantait Bashung. Dès l’ouverture, assez tonitruante, du film, retentit ainsi un irrésistible vieux tube variétoche des années 80 qui en dit long sur ses intentions: Pour le plaisir d’Herbert Léonard. Plus loin, c’est le personnage campé par Roschdy Zem qui enfonce le clou en donnant une leçon d’interprétation à Garrel lui-même: “Il faut que tu prennes du plaisir.”
Rencontré à quelques heures de la présentation de son nouveau long métrage en ouverture du festival de Namur, Louis Garrel se marre: “Le film a bien failli s’appeler Pour le plaisir, à vrai dire. Il s’en est vraiment fallu de peu… Mais j’ai fini par opter pour L’Innocent, qui est un titre qui appelle le crime mais qui semble aussi pouvoir définir chacun des personnages de cette histoire. Et puis, comme il s’agit d’un film très enfantin, L’Innocent, voilà, c’est très bien. Mais disons que le plaisir, c’était le mot d’ordre du film. J’avais envie que les gens s’y sentent bien dans cette histoire et qu’ils aient énormément d’affection pour les personnages. Je voulais vraiment que le film soit grand public dans le meilleur sens du terme, qu’il soit accessible comme une chanson de variété. Et d’ailleurs, je n’utilise pas que la chanson d’Herbert Léonard dans le film. Il y a aussi du Gérard Blanc et du Catherine Lara. Avec des paroles très premier degré, qui disent littéralement quelque chose des personnages et de leur évolution. Moi, j’aime faire des films sentimentaux, voire lyriques, et la chanson française appelle ça. On peut éventuellement se montrer réticent vis-à-vis de la banalité de la variété, mais au bout d’un moment c’est un peu comme si on était obligé d’y succomber. Quand elle est bien faite, son premier degré devient irrésistible, son élan sentimental emporte tout. Et c’est précisément ça que je cherchais avec ce film. Je voulais qu’il nous embarque, qu’il nous prenne dans son désir.”
Fuir la monotonie
Dans L’Innocent, Abel (Louis Garrel), veuf mesuré et un peu éteint, est pris de panique quand il apprend que sa mère Sylvie (Anouk Grinberg) est sur le point de se marier avec un homme en prison. Épaulé par Clémence (Noémie Merlant), la meilleure amie de son épouse défunte, il va tout faire pour la protéger. Mais quand Michel (Roschdy Zem), son nouveau beau-père, est libéré, sa méfiance laisse peu à peu place à de nouvelles perspectives, et la promesse d’aventures assez rocambolesques… Aussi étonnant que ça puisse paraître, cette intrigue haute en couleur s’inspire à l’origine du parcours de la propre mère de Louis Garrel, l’actrice et réalisatrice Brigitte Sy, qui a travaillé pendant 20 ans en prison, où elle donnait des ateliers de théâtre, et a fini par se marier avec un détenu. “Le véritable point de départ du film, opine Garrel, c’est effectivement une situation que j’ai moi-même connue avec ma mère quand j’étais encore adolescent. Ma mère est une femme héroïque, que j’ai toujours beaucoup admirée. Elle m’impressionnait beaucoup et à la fois elle m’inquiétait aussi. C’est-à-dire que j’avais un peu peur pour elle. Je suis parti de là. Avec l’idée d’une parentalité inversée, soit un fils, beaucoup trop raisonnable, qui finit par se prendre pour le père de sa propre mère, elle-même sans doute un peu trop déraisonnable.”
Acteur révélé à l’époque chez son propre père, le réalisateur Philippe Garrel (Les Amants réguliers, La Frontière de l’aube), mais aussi chez Bernardo Bertolucci (The Dreamers) ou Christophe Honoré (Ma mère, Dans Paris, Les Chansons d’amour), Louis Garrel dit avoir consciemment cherché à fuir un certain naturalisme avec L’Innocent. “J’aime beaucoup l’idée de m’emparer de formes qui ne sont pas dites nobles et d’arriver quand même à raconter des choses avec une certaine profondeur. Si les personnages sont très humains, qu’on conserve un lien fort avec eux, eh bien je crois qu’on peut à peu près tout se permettre. Avec L’Innocent, j’avais envie d’un film music-hall, qui change de registres en cours de route et se plaît à désarçonner les spectateurs. Le véritable point de départ, bien sûr, c’est le polar, avec des personnages qui osent prendre des risques. Et puis divers genres cinématographiques ont commencé à s’empiler là-dessus. Presque à mes dépens, j’ai envie de dire. Mais j’ai compris que c’était sans doute le meilleur moyen pour ne pas verser dans la monotonie.”
Fuir la monotonie, c’est peut-être aussi ce qui a poussé Louis Garrel à sortir de Paris et ses appartements pour aller tourner L’Innocent à Lyon… “Peut-être, oui. Mais c’est surtout pour essayer de déjouer ma réputation, qui est celle d’un acteur totalement identifié à une ville: Paris. J’étais un peu tombé amoureux de Lyon sans vraiment bien la connaître. Et c’est là que ça devient vraiment intéressant. Comme je connais mal la ville, j’entretiens aussi un rapport plus naïf avec elle, qui me permet d’aller plus facilement vers la fantaisie, vers le conte, vers le genre… Lyon, c’était pour moi un terrain vierge et romanesque très excitant.”
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