Los delicuentes: l’Argentin Rodrigo Moreno fait sauter la banque

Voler son propre patron, voilà le plan foireux de Morán et Román.

Dérober une grosse somme d’argent, se faire arrêter et passer quelques années en prison: tel est plus ou moins le plan du banquier au centre de Los delincuentes de Rodrigo Moreno, Grand Prix du Film Fest Gent.

325 000 dollars. C’est la somme dont Morán, employé de banque, a besoin pour prendre sa retraite avec effet immédiat. Il vole le double à son employeur, s’enfuit dans la campagne avec un sac de billets et, après quelques jours, se rend volontairement à la police. Ce qui lui coûtera sans doute trois ans de prison, estime-t-il. Mais entre-temps, il a donné l’argent à son collègue Román, quadragénaire grisonnant comme lui, qui doit le garder en échange de la moitié du butin jusqu’à sa libération. Si tout va bien, les deux hommes n’auront plus jamais à subir les jérémiades de leur patron ou de la clientèle. Mais évidemment, tout ne se passe pas comme prévu. Ou plutôt: rien ne se passe comme prévu.

Telles sont les prémices de Los delincuentes (lire la critique ici), film argentin qui démarre à la manière d’un thriller réalistico-social, mais mue vite en road movie, en drame carcéral, en western existentiel et même en romcom à l’humour acerbe. Malgré sa durée épique de 180 minutes, le film, le quatrième du réalisateur argentin Rodrigo Moreno, n’ennuie pas une seconde. Depuis sa première à Cannes l’année dernière, il a été couvert d’éloges, y compris au Film Fest Gent, où il a été sacré Meilleur Film.

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Rodrigo Moreno semble pourtant bien sombre lors de notre rencontre. Le jour même, le nouveau président argentin, le populiste de droite Javier Milei, a décidé de supprimer toutes les subventions du cinéma. « Cet homme est fou, soupire Moreno. Pour se faire élire, il a exploité les sentiments nationalistes des gens, leur fierté, leurs espoirs. Et puis que fait-il? Il coupe les vivres au secteur culturel, mais aussi à nos scientifiques, nos écoles et nos universités. Tout ce qui fait l’Argentine. Tout ce qui est important pour notre avenir et celui de nos enfants. La connaissance. La culture. Moi, je survivrai. J’ai toujours dû travailler avec peu de moyens, je devrais donc pouvoir m’en passer. Si nécessaire, je tournerai avec mon iPhone et ferai clandestinement sortir les fichiers du pays. » (sourire)

Cinq ans de travail pour Rodrigo Moreno

Les circonstances ont fait que le réalisateur a travaillé sur Los delincuentes pendant près de cinq ans. « C’est ce qui a fait du film ce qu’il est. Le premier scénario date de 2018 et j’ai commencé à tourner en 2020. Mais le Covid est arrivé et nous avons dû attendre un an et demi. Entre-temps, j’ai monté ce que j’avais tourné, j’ai complètement repensé le scénario, et chaque fois qu’il y avait un peu d’argent pour tourner quelques jours, je développais ces nouvelles idées. Si le film joue avec les genres, c’est parce que je ne savais pas moi-même où j’allais, ni où mes personnages allaient. La vie peut vous surprendre, le film aussi. Avec le recul, je dirais presque: heureusement que coronavirus est arrivé, heureusement que l’argent a manqué à mi-parcours. (rires) Presque.« 

Le réalisateur joue non seulement avec les genres, mais aussi avec le temps. Et pas seulement en présentant brièvement ses propres enfants au début et à la fin du film, de sorte que l’on devine en les voyant changés que le tournage s’est étalé sur une période de quatre ans. « J’appelle ça l’effet Linklater, même si je n’aime pas Richard Linklater (dans Boyhood, le réalisateur américain a suivi ses acteurs sur une période de douze ans, NDLR). Rien d’autre dans mon film ne peut être daté avec certitude. Même s’il est question d’Internet, Morán et Román utilisent des calculatrices et sont coiffés et habillés comme dans les années 80. Je voulais souligner ainsi que le film est une fable. Une fable qui parle peut-être de notre époque, de la façon dont nous définissons la liberté dans une société mondialisée, mais qui n’est pas enfermée dans le carcan de la réalité. Tous les accessoires viennent du XXe siècle. Comme moi.« 

Rodrigo Moreno (51 ans) a grandi avec Star Wars et Indiana Jones. Mais aussi avec Bandits, bandits de Terry Gilliam. « C’est le premier film qui m’a fait réfléchir sur le cinéma en tant que langage visuel. Le premier après lequel je me suis dit: c’est ça que je veux faire plus tard, raconter des histoires avec des images et du son! Ce qui est fou, c’est que récemment, on a demandé à Lucrecia Martel (la cinéaste argentine la plus célèbre de ces 30 dernières années, NDLR) quel film l’avait poussée à devenir cinéaste. Sa réponse: Bandits, bandits! Ça ne peut pas être une coïncidence. On devrait ériger une statue à Terry Giliam en Argentine. Mais il n’y a ­c­­ertainement pas d’argent pour ça maintenant.«  (rires)

Le point de départ de Los delicuentes n’est pourtant pas Bandits, bandits, mais le classique argentin Apenas un delincuente (1949), qui raconte l’histoire d’un homme qui, comme Morán, vole son employeur. Sur cette base, Moreno a laissé libre cours à son imagination et à ses angoisses, avec tous les changements de ton et les clins d’œil que cela suppose. « Mes personnages vont au cinéma pour voir L’Argent de Robert Bresson, qui a toujours été une source d’inspiration. Mais j’aime aussi Claude ­Chabrol, Éric Rohmer et votre compatriote Chantal Akerman. La semaine prochaine, j’irai pour la première fois en Belgique et je ne manquerai pas d’aller voir l’expo qui lui est ­consacrée à Bozar.« 

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