Critique | Cinéma

Les Herbes sèches: un drame d’une implacable beauté signé Nuri Bilge Ceylan

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© National
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Titre - Les Herbes sèches

Réalisateur-trice - De Nuri Bilge Ceylan

Casting - Avec Deniz Celiloğlu, Merve Dizdar, Musab Ekici

Durée - 3 h 18

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Dans un drame austère d’une implacable beauté, Nuri Bilge Ceylan sonde les états d’âme d’enseignants au cœur d’un village Anatolien.

Révélé il y a un quart de siècle par Nuages de mai, le réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan s’est employé depuis à creuser un même sillon, en héritier de Tchekhov et de Bergman, sondant l’âme et la condition humaines dans des œuvres dont l’ambition philosophique a pour pendant l’ampleur. Neuvième long métrage du cinéaste, Les Herbes sèches ne déroge pas à la règle, bloc d’un abord austère qui plonge, du haut de ses 200 minutes, le spectateur au cœur d’un petit village enneigé d’Anatolie, théâtre d’un conflit existentiel dont la nature profonde demeure longtemps insaisissable -Ceylan, après tout, est un adepte de la combustion lente, comme l’ont démontré les précédents Il était une fois en Anatolie ou Winter Sleep.

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Tout commence donc par le retour au bourg de Samet (Deniz Celiloğlu), prof de lycée désabusé tentant d’enseigner les rudiments de l’art à des élèves voués, à ses yeux, à cultiver des betteraves sucrières pour perpétuer l’ordre en place, seule une ado douée, la lumineuse Sevim (Ece Bağci), réussissant à s’attirer ses bonnes grâces. Et de rêver à une prochaine affectation à Istanbul, en attendant quoi il partage son amertume avec qui veut bien l’écouter, son coloc Kenan (Musab Ekici), enseignant lui aussi, le premier. Deux événements viendront dérégler la morne routine de leur quotidien: une plainte pour comportement inapproprié dont ils font tous les deux l’objet et leur rencontre avec Nuray (Merve Dizdar, prix d’interprétation à Cannes), prof de fac idéaliste que les blessures de l’existence ont emmenée là.

La saveur âcre des illusions déçues

Entre eux trois, c’est une drôle de pièce qui va se jouer, Ceylan puisant dans le marasme alentour la matière à une observation méticuleuse et aiguisée de la nature humaine, ses bassesses comme sa possible grandeur. Se déployant dans la pâleur de l’hiver, Les Herbes sèches a la saveur âcre des illusions déçues, celles de Samet en particulier qui, tout à sa frustration et son mal de vivre, glisse insensiblement dans la médiocrité. Un héros foncièrement antipathique, muré dans sa distance hautaine, auquel Nuray va apporter un contrepoint solaire, cristallisé dans une longue scène de dialogue au cordeau dont le réalisateur turc a le secret, le champ de leur conversation ne cessant bientôt de s’évaser, jusqu’au vertige: l’indifférence et le détachement vs l’engagement dans le monde. Le film atteint là une densité suffocante. Ceylan, au sommet de son art, en imbrique les motifs avec maestria, comme pour mieux balader le spectateur au gré d’une mise en scène sillonnant avec fluidité de fulgurances en ruptures. Non sans, à la faveur d’un final éblouissant, conférer à cette réflexion introspective des contours d’une implacable beauté. Grand film.

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