Laurent Raphaël

L’édito: Fête des pères

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

C’est un fait, la famille est désormais un territoire mouvant qui évolue au gré des aléas, des vicissitudes, des envies, des rencontres. Sa composition et sa forme ne sont plus gravées une fois pour toute dans le marbre de la tradition.

Conséquence logique: de nouveaux « modèles » se sont imposés sur le marché du coeur à côté du classique papa, maman et les deux enfants. On parle à présent de famille solo, en coloc, homo, trans, avec ou sans enfants, recomposée, voire re-recomposée. La fiction qui avance main dans la main avec la réalité a pris acte de ces mutations. Comme en témoigne l’éruption en ce moment de films mettant en scène des hommes seuls avec leurs enfants.

Pour le coup, cette formule inédite, qui dynamite le dernier rempart du système patriarcal -les enfants relèvent toujours dans l’inconscient collectif de la sphère maternelle-, est plutôt envisagée sous l’angle du drame que de l’épiphanie. En tout cas dans un premier temps. Les pères de Nos batailles de Guillaume Senez (le grand gagnant des derniers Magritte) ou de C’est ça l’amour de Claire Burger (en salle cette semaine) se retrouvent complètement démunis quand leurs femmes les plantent sans demander leur reste, et même sans laisser d’adresse pour celle de Romain Duris dans le premier film. Habitués à se reposer sur leurs épouses pour l’intendance et pour une bonne partie de l’éducation, ils découvrent brutalement que le quotidien a usé la résistance de ces femmes jusqu’à la corde, jusqu’à tuer l’amour. Ni l’un ni l’autre ne sont pourtant d’affreux misogynes. Plutôt progressistes, ils incarnent au contraire une paternité décomplexée. Simplement, qu’ils se fassent larguer est déjà dur à avaler pour l’ego, mais qu’une mère puisse abandonner ses petits dépasse leur entendement et bouscule le schéma classique.

L’esprit de famille ou ce qu’il en reste est d’ailleurs souvent au coeur de la tempête: comment s’y prendre pour apaiser les craintes enfantines sans la part féminine du couple? Quel rôle jouer désormais pour ce père qui se retrouve soudain avec deux casquettes? Bouli Lanners en particulier est mal embarqué face à une de ses filles qui entend lui faire payer au prix fort cette défection maternelle comme les atermoiements sexuels qui lui vrillent le ventre. On l’oublie souvent avec la banalisation du ménage à la carte mais les premières victimes des séparations restent toujours les enfants. Dans le meilleur des cas, la plaie finira par guérir, voire débouchera sur une nouvelle complicité apaisée. Mais seulement au terme d’un parcours chaotique qui aura mis les nerfs à rude épreuve.

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Au-delà de ces cas de figure qui flirtent aussi avec le roman social, l’attelage père-enfants se diffuse largement dans la production actuelle. Tous genres confondus: sauce comédie française avec les deux fistons en crise accompagnant un Benoît Poelvoorde au radar dans le peu convaincant Deux fils de Félix Moati, sauce trappeur dans l’organique Leave No Trace dans lequel Debra Granik envoie un père et sa fille apprendre à survivre et surtout à se connaître au fond des bois, ou encore sauce indé américaine avec Wayne, la série télé déjantée produite par YouTube. Ici aussi, le père a élevé seul son fiston, lui léguant pour l’essentiel un sens de la justice inflammable qui va lui attirer son lot d’ennuis mais aussi d’amour. Dans le même registre, mais en plus naturaliste, plus sec, Sollers Point de Matthew Porterfield butinait déjà la même fleur vénéneuse de la famille amputée en campant un jeune homme en pétard avec un paternel muré dans son armure de masculinité. Un mélange hautement explosif de misère matérielle et affective… Rien à voir donc avec la tendresse qui unit Baloji et sa fille -à l’écran comme à la ville- dans Binti (lire notre article). C’est soudé que ce « couple » sans papiers affronte l’adversité et les épreuves.

À travers ces exemples divers et variés, le cinéma (mais c’est pareil évidemment pour les autres disciplines artistiques) démontre sa capacité à s’emparer d’une nouvelle réalité sociologique pour la décortiquer, la disséquer, la radiographier. L’intérêt est double: prendre conscience de l’ampleur du phénomène, éventuellement en tirer une éthique personnelle, et se préparer si par malheur notre feuille de route devait un jour plagier l’un de ces scénarios. Mais rien ne presse bien sûr…

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