Le temps des adieux: hommage à l’immense Hayao Miyazaki
L’immense Hayao Miyazaki fête ses 80 ans ce 5 janvier 2021. Le Vent se lève, son ultime merveille animée, ouvrait le festival Anima en 2014: pour l’occasion, Focus lui tirait son chapeau alors qu’il tirait sa révérence.
Article initialement paru dans le Focus du 21/02/2014.
Le Vent se lève, sa nouvelle et ultime merveille animée, ouvrira le festival Anima le 28 février, avant de trouver officiellement le chemin des salles en mars. L’immense Hayao Miyazaki tire sa révérence, Focus lui tire son chapeau.
En septembre dernier, Hayao Miyazaki, 73 ans, profitait de sa présence en sélection à Venise pour faire savoir que son nouveau film, Le Vent se lève, serait aussi son dernier (1). Point final d’un parcours admirable dont il constitue aussi une espèce de synthèse épurée, compilant la plupart des motifs essentiels et autres thématiques majeures qui ont traversé l’oeuvre du cinéaste japonais. De Nausicaä de la vallée du vent au Voyage de Chihiro, en passant par Mon voisin Totoro ou le sidérant Princesse Mononoké, retour sur une filmographie unique en son genre.
L’enfance de l’art?
Si Kiki la petite sorcière (1989), Ponyo sur la falaise (2008) ou même Mon voisin Totoro (1988) sont sensiblement plus orientés jeune public, la force de l’oeuvre de Hayao Miyazaki tient sans doute avant tout à sa profonde maturité. Maturité formelle et narrative, bien sûr, mais surtout thématique, le cinéaste japonais ne se refusant aucun sujet -la guerre, la maladie, la mort… singulièrement présentes dans Le Vent se lève– et n’éludant jamais ni violence ni noirceur. A rebours de la tendance dominante du cinéma d’animation d’exploitation, et n’ayant jamais peur de jouer la carte du silence ou de la contemplation, ses films privilégient ainsi nuance, liberté de ton et de propos, sens complexe de la métaphore et fantaisie visuelle à toute approche balisée, paternaliste, manichéenne ou sentencieuse. Et ce, même s’il s’attache le plus souvent à des personnages enfantins ou adolescents. C’est que Miyazaki a choisi de faire sienne la phrase de Saint-Exupéry, autre passionné d’aviation: « Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants, mais peu d’entre elles s’en souviennent. »
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Un homme sous influence
Enfant, justement, il aspire à devenir mangaka après avoir lu les albums d’Osamu Tezuka, influence déterminante de son parcours, avant de se tourner vers le cinéma. Mais c’est en voyant La Bergère et le ramoneur, réédité en 1979 sous le titre Le Roi et l’oiseau, soit la splendeur visuelle de Paul Grimault magnifiée par la poésie de Prévert, que Miyazaki comprend qu’il est possible de proposer un cinéma d’animation résolument adulte. Si sontravail doit beaucoup à Grimault, allant même jusqu’à le citer explicitement -les pièges du Château de Cagliostro (1979), les robots de Laputa dans Le Château dans le ciel(1986)-, Miyazaki, qui signe en solo le scénario de la quasi-totalité de ses films, biberonne à un large éventail d’influences. De Lev Atamanov à Moebius -il suffit de revoir Nausicaä de la vallée du vent (1984), film qui donnera d’ailleurs son prénom à la fille de Jean Giraud- pour l’élaboration de ses univers visuels, de Jules Verne à Jonathan Swift en passant par Lewis Carroll -le terrier de Mon voisin Totoro, la traversée du miroir du Voyage de Chihiro (2001)- pour l’esprit d’aventure et la création de mondes hors normes. A quoi il incorpore encore des éléments forts de la mythologie japonaise. Ecolo dans le discours, Miyazaki est ainsi un recycleur de génie, digérant les influences les plus diverses dans des oeuvres toujours plus personnelles. Conteur hors pair, il s’impose en auteur-passeur, transcendant des pans entiers de culture populaire dans ses fantastiques aventures animées.
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Ecrit sur du vent
« Le vent se lève, il faut tenter de vivre. » Ce n’est pas pour rien si Hayao Miyazaki a choisi de reprendre l’injonction vitale du poète Paul Valéry en exergue de son ultime long métrage, soit l’histoire de Jiro, un concepteur d’avions mû par la passion dans le Japon de la première moitié du XXe. Le vent, et l’espoir qu’il charrie, ont toujours été au coeur même de son cinéma. De Laputa, eldorado niché à l’intérieur d’une tempête de vents contraires dans Le Château dans le ciel, à la vallée de Nausicaä, désertée par le vent, et dont le retour marquera aussi celui de la foi en l’avenir. C’est aussi le vent, emportant un chapeau, qui provoquera la naissance d’un amour vibrant à son diapason dans Le Vent se lève. Tandis que les deux fillettes de Mon voisin Totoro deviennent littéralement ce vent en embarquant dans les airs avec la mascotte du studio Ghibli que co-fonde Miyazaki dans la foulée de Nausicaä -Ghibli étant le surnom donné à un avion de reconnaissance italien pendant la guerre, un mot qui en Lybie désigne aussi le sirocco, soit le vent du désert. « Le vent se lève« , c’est ce que disaient déjà en guise d’avertissement les oies sauvages à Kiki, la petite sorcière, dans le film du même nom, ou ce que note encore le héros éponyme de Porco Rosso (1992), dont il est tour à tour le maître ou le jouet, à moins qu’il ne se contente de l’observer soulever les jupes des filles. Plus généralement, le ciel s’affiche comme le théâtre de prédilection dans lequel Miyazaki, fils du directeur d’une entreprise spécialisée en aéronautique, se plaît à faire évoluer tous ces engins volants pour lesquels il se passionne depuis l’enfance. Et prenant, à l’occasion, des formes pour le moins inattendues: c’est le balai de Kiki, la petite sorcière, ou le vélo à hélice de son ami Tombo, c’est l’étrange autogire du Château de Cagliostro ou la tant convoitée pierre volante d’un Château dans le ciel dont on se souviendra aussi du fascinant aéronef.
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Dans la forêt
Si le vent est un personnage à part entière de l’univers de Miyazaki, la forêt ne l’est pas moins. Comme celle du dieu-cerf, et ses animaux géants, de Princesse Mononoké (1997), chef-d’oeuvre absolu de Miyazaki, d’une poésie renversante. Ou encore cette Fukaï, gigantesque forêt, toxique en apparence, qui gagne du terrain dans Nausicaä, fable écologique aux accents mythologiques traversée de fulgurances post-apocalyptiques où la guerre imbécile des hommes vient troubler l’ordre naturel des choses. Ce rapport quasi amoureux à la nature s’exprime aussi bien sur terre que dans les airs ou même dans l’eau -le fascinant ballet des méduses ouvrant Ponyo-, et s’accompagne d’un bestiaire peu commun, original et attachant -l’inoubliable chat-bus de Totoro, les sylvains de Mononoké, le têtard-tsunami de Ponyo, les insectes géants de Nausicaä, le dragon blanc de Chihiro…- célébrant la beauté d’un monde à chérir. L’une des leçons de Kiki la petite sorcière, par-delà son humanisme profond, réside ainsi dans le respect absolu des différentes espèces, qu’elles soient animales ou végétales.
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Guerre et paix
Ecologiste dans l’âme, l’oeuvre de Miyazaki est aussi radicalement pacifiste, lui dont la petite enfance -il est né à Tokyo en 1941, soit l’année de Pearl Harbor- est profondément marquée par les effets dévastateurs de la Seconde Guerre mondiale sur son pays, et qui nourrira une véritable obsession pour le trauma post-atomique. S’il a toujours été fasciné par les avions de combat, son aversion pour la chose guerrière ne fait pourtant aucun doute. En marge de son message écolo, Princesse Mononoké ne dénonce d’ailleurs rien d’autre que les ravages de la guerre et des armes à feu. Idem s’agissant de Nausicaä. « Les avions ne sont faits ni pour la guerre ni pour les affaires. Les avions sont de beaux rêves…« , entend-on ainsi dans Le Vent se lève. De quoi, en tout état de cause, balayer d’un revers de la main la polémique fumeuse qui n’a pas manqué d’accompagner la sortie internationale du film -on a reproché à Miyazaki de faire l’apologie de la guerre à travers le personnage de Jiro, concepteur du redoutable chasseur Zero nippon. Polémique à laquelle on répondra encore par la phrase de Porco Rosso, refusant de s’engager dans l’armée de l’air italienne: « J’aime mieux être cochon que fasciste. »
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Tradition vs. modernité
Inscrit dans un Japon de l’entre-deux-guerres travaillé par la question du progrès, Le Vent se lève repose sur la tension sous-jacente entre modernité et tradition, laquelle, là aussi, traverse toute l’oeuvre du cinéaste japonais. L’une ne devant jamais essaimer au détriment de l’autre: c’est la leçon du Voyage de Chihiro, qui ne raconte au fond rien d’autre que l’histoire d’une jeune citadine venue s’installer à la campagne, et donc la rencontre entre modernité et tradition, pensée cartésienne et envolées merveilleuses. Dans Kiki, c’est le chemin inverse: quand elle arrive en ville, c’est toute la magie et la poésie de la tradition ancestrale dont la petite sorcière est le fruit qui se frottent aux réalités toutes prosaïques de la civilisation moderne, que Kiki s’applique alors à réenchanter de l’intérieur. Faisant la part belle aux coutumes et à l’artisanat, à la mythologie et à la spiritualité, les films de Hayao Miyazaki se fondent bien souvent sur l’idée d’un monde dont l’équilibre est menacé, et dont l’hypothétique salut passerait par une nécessaire reconnexion à ses vraies valeurs. Se confiant un jour au New Yorker, le réalisateur a déclaré considérer une grande partie de la culture moderne comme « légère, superficielle et fausse« , prédisant, non sans ironie, une ère apocalyptique où la nature reprendrait ses droits sur la Terre.
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La femme est l’avenir de l’homme
Son producteur Toshio Suzuki parle de lui comme d’un féministe « convaincu que les sociétés valorisant les femmes réussissent mieux« . Et, en effet, Miyazaki n’a cessé de placer aux avant-postes de ses films des personnages féminins forts: libres, indépendantes, déterminées. La plupart du temps jeunes, elles possèdent un pouvoir particulier, souvent magique -Ponyo guérit une blessure au doigt d’un simple coup de langue, Nausicaä communique avec les animaux, Kiki vole dans les airs… Elles sont porteuses d’espoir, comme le vent, leur féminité et la fougue de leur jeunesse faisant office de parfaits garde-fous dans un monde au bord du gouffre.
En ce sens, tout comme Porco Rosso, ou son tout premier film, Le Château de Cagliostro, et histoire peut-être de boucler la boucle, Le Vent se lève fait exception, plaçant un protagoniste masculin au coeur de ses enjeux narratifs. Difficile de ne pas y voir le signe d’une oeuvre-testament, où la passion pour la conception d’avions du jeune Jiro renvoie immanquablement à la fièvre créative qui n’a cessé de nourrir les rêves de cinéma de Miyazaki. Tout au long d’un parcours auquel, aujourd’hui arrivé à l’automne de sa vie, la sagesse, sans doute, lui dicte ainsi de mettre un terme. « Oh mon dieu, ce n’est pas drôle de vieillir« , maugrée la belle Sophie de son Château ambulant (2004), victime d’un maléfice l’ayant transformée en vieille femme. Gageons que pour Hayao Miyazaki non plus ce n’est pas drôle tous les jours de vieillir, à l’heure d’une retraite certes amplement méritée et qui le voit laisser derrière lui une oeuvre rare, et pour le coup résolument à l’épreuve du temps. Alors merci pour tout, monsieur Miyazaki, et bon vent!
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(1) Depuis, le cinéaste nippon a confirmé à de multiples reprises qu’il ne désirait effectivement plus tourner de long métrage, activité qu’il juge trop chronophage pour son âge, précisant qu’il entendait désormais se consacrer à un projet de manga historique tout en continuant à imaginer des courts métrages pour le Studio Ghibli et à s’adonner à… la marche en forêt.
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