Le Ravissement: histoire de mensonge et de maternité

Lydia (Hafsia Herzi) perd peu à peu son identité au cœur d'un mensonge qui va l'emmener très loin.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Iris Kaltenbäck signe, avec Le Ravissement, un interpellant premier film au titre polysémique sur une jeune femmeseule s’enfonçant dangereusement dans le mensonge autour de sa supposée maternité.

Née à Paris à la fin des années 80, d’une mère française et d’un père autrichien, Iris Kaltenbäck, réalisatrice du Ravissement, a d’abord fait des études en droit et en philosophie avant d’intégrer le département scénario de la Fémis. “Quand j’étais plus jeune, j’hésitais entre réalisatrice et avocate pénaliste, nous racontait-elle ainsi lors du dernier festival de Cannes. J’avais une passion pour les films de Krzysztof Kieslowski (Le Décalogue,La Double Vie de Véronique, la trilogie Bleu, Blanc et Rouge, NDLR), dont le scénariste privilégié, Krzysztof Piesiewicz, était précisément avocat. J’ai moi-même un temps travaillé chez une pénaliste, tout en développant ma cinéphilie sur le côté, et puis j’ai présenté le concours de la Fémis. J’ai eu envie d’aborder des questions qui peuvent se poser en droit mais de façon plus ouverte à travers le cinéma.

Après un court métrage très remarqué, Le Vol des cigognes, elle réalise Le Ravissement, premier long métrage qui en prolonge la thématique. Primé à la Semaine de la Critique cannoise en mai dernier avant de rafler le prestigieux Prix Louis- Delluc du premier film et de se voir nommé deux fois aux César, ce drame interpellant se construit autour du personnage de Lydia (l’excellente Hafsia Herzi), une sage-femme très investie dans son travail qui souffre de sa solitude et du rejet des hommes. Un jour, elle recroise Milos (Alexis Manenti, révélé par Les Misérables de Ladj Ly), un ex-amour sans lendemain, alors qu’elle tient le bébé de son amie Salomé (Nina Meurisse) dans les bras. Voyant le trouble dans le regard de Milos, elle prétend alors que le bébé est le sien et qu’il est le père, s’enfonçant peu à peu dans un mensonge dont elle devient prisonnière… “J’ai lu un jour un fait divers racontant l’histoire d’une jeune femme qui emprunte l’enfant de sa meilleure amie et qui fait croire à un homme que c’est le sien. Cette histoire m’a d’emblée beaucoup intéressée. J’y voyais la possibilité de raconter comment une trajectoire de vie très ordinaire peut, petit à petit, dévier à travers le mensonge. Ce fait divers, j’avais envie de le ramener à sa dimension humaine et intime.

Iris Kaltenbäck – © DR

Au bord du gouffre

Très vite, la réalisatrice voit aussi la possibilité de questionner à travers cette histoire plusieurs mythes en lien avec la maternité. Comme celui hérité de la Bible et de la figure de la Vierge Marie, qui tend à associer la mère à une idée de pureté, voire de sainteté. Ou le mythe de Salomon, roi d’Israël amené à trancher le litige opposant deux femmes qui revendiquent chacune la maternité du même enfant. “Pour régler ce désaccord, Salomon propose de trancher l’enfant en deux et de donner une moitié à chaque femme. Mais l’une d’entre elles s’exclame qu’elle préfère renoncer à l’enfant plutôt que de le voir mourir, ce qui permet à Salomon de reconnaître en elle la véritable mère. Enfin, ça c’est ce que nous dit le mythe. Mais moi la question que je me pose c’est: est-ce que c’est forcément toujours la mère naturelle de l’enfant qui va crier le plus fort pour le protéger? Beaucoup d’images d’Épinal circulent autour de la maternité. Dans le film, Lydia ne choisit pas tout de suite le mensonge. C’est le regard des autres sur elle qui la pousse à mentir: on lui associe l’image de la mère, et tout à coup elle s’en empare.

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Dans Le Ravissement, Iris Kaltenbäck s’autorise à la fois à poser un regard très documentaire et très romanesque sur la maternité. “Oui, je voulais filmer des accouchements de façon documentaire, montrer dans sa vérité nue l’action physique d’enfanter. Avec Hafsia, et une équipe très réduite, on s’est plongées dans la réalité d’une maternité, où Hafsia accompagnait une sage-femme dans son travail et dans ses gestes. Ça permettait vraiment de nouer la fiction et le documentaire, le romanesque et le naturalisme. D’une manière générale, le film s’est construit dans une envie et une ambition de tisser des ponts entre les genres. C’était vraiment très important pour moi de mélanger documentaire et fiction, mais aussi d’amener parfois une touche d’humour dans le drame. Et puis de partir d’un portrait de femme pour aller vers quelque chose parfois proche d’un thriller à l’américaine, parce qu’on rentre peu à peu dans la tension de son mensonge, et donc dans quelque chose d’un peu plus hitchcockien.

Avec son titre à la Duras qui renferme plusieurs sens, le film ose aussi une voix off très littéraire, qui tranche radicalement avec sa dimension naturaliste. “Je trouvais ça très beau de pouvoir s’autoriser à ramener du littéraire sur des images parfois très documentaires, oui. J’aime beaucoup cette confrontation cinématographique entre des choses qui peuvent a priori paraître contraires. Cette voix off permet également de désamorcer un suspense qui ne me paraissait pas très intéressant quant au dénouement de l’histoire. C’est-à-dire que, très tôt, elle annonce comment les choses vont se finir. Ça permet de se concentrer vraiment sur le personnage de Lydia, sur une tension plus subjective qui est celle de sa situation, de son enfermement dans son propre mensonge. Je voulais qu’on soit toujours suffisamment proches d’elle pour ne pas la juger, mais plutôt essayer de la comprendre, et de vivre avec elle cette espèce de gouffre vers lequel elle n’arrête pas de glisser. Le film est un peu comme une enquête sur cette femme: il offre des pistes de compréhension, mais pas des réponses. C’était pour moi la condition sine qua non pour me sentir honnête et sincère dans ma démarche.

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