Alors que l’arme nucléaire refait soudainement surface dans les discours politiques, il semble opportun de se replonger dans Docteur Folamour, cette satire aussi hilarante que tristement intemporelle.
Fin octobre. Sur son réseau social Truth, Donald Trump annonce «avoir demandé à [son] ministère de la guerre de reprendre les essais nucléaires» afin de rester sur un pied d’égalité avec «des programmes d’essais menés par d’autres pays». Une déclaration à la fois vague et menaçante, dans le plus pur style du président américain. Quelques jours plus tard, son secrétaire à l’Energie aura beau préciser que les tests en question ne constituent pas des «explosions nucléaires» mais des «essais de système non critiques» (ce qui n’est pas d’une limpidité absolue), les mots «nucléaires» et «essais» ont été lâchés.
En réaction, Vladimir Poutine a évidemment commandé à ses services de préparer des propositions concrètes pour le retour d’essais nucléaires en Russie. Tout de suite, la machine s’emballe. L’inquiétude grandit. Le péril atomique, lointain souvenir de la guerre froide, refait surface. Epée de Damoclès revenue planer sur une société qui n’apprend décidément pas grand-chose. Les derniers essais nucléaires étasuniens remontaient à plus de 30 ans, voilà qu’ils pourraient désormais accompagner de nouveau notre quotidien.
Jamais la vision d’un cow-boy faisant du rodéo sur un missile nucléaire n’a semblé aussi pertinente qu’aujourd’hui.
Certains artistes avaient pressenti cette résurgence. Il y a à peine quelques semaines, Kathryn Bigelow sortait, sur Netflix, House of Dynamite, qui détaillait avec une précision quasi documentaire l’incapacité des services de sécurité à réagir correctement en cas d’attaque nucléaire. Pourtant, aussi tendu soit le film, le caractère grotesque et incontrôlable de Donald Trump évoque surtout une autre œuvre matricielle sur le sujet: Docteur Folamour de Stanley Kubrick, librement adaptée du roman 120 minutes pour sauver le monde, de Peter George.
A l’époque, la comédie satirique, portée par le triple rôle de Peter Sellers, s’apparente à une caricature de scénario catastrophe, une hypertrophie savoureuse et hilarante des idéologies qui innervaient la guerre froide. La satire était déjà extrêmement caustique et virtuose en 1964, son actualité chirurgicale fait désormais froid dans le dos.
Vaste pantalonnade, le récit creuse, au fur et à mesure de son avancée, une folie de plus en plus étendue chez ses personnages: un général paranoïaque joue cavalier seul et lance une frappe nucléaire de lui-même, un autre voit son jugement constamment contaminé par son anticommunisme maladif, le conseiller sur lequel repose le dernier espoir –le fameux docteur Folamour du titre– se révèle être un ancien scientifique nazi dont l’affiliation au Reich devient de plus en plus évidente. Lorsque, incapable de cadrer ses anciens reflexes, ce dernier se met à faire des saluts hitlériens devant le président et à l’appeler «Mein Fürher», on rit à gorge déployée, avant de se rappeler qu’un géant de la tech s’est appliqué à la même performance devant les caméras du monde entier il n’y a pas si longtemps… La formule est galvaudée mais apparaît judicieuse ici: la réalité a rejoint la fiction.
La modernité du trait de Folamour est si impressionnante qu’elle dépasse même certaines propositions actuelles. Ces dernières années ont vu fleurir plusieurs longs métrages désireux de se confronter au grotesque des Etats-Unis actuels, comme The Apprentice ou le laborieux Mickey 17 de Bong Joon-ho. Mais le réel, devenu matière impalpable, culmine au-delà de toute tentative de parodie. La figure de Donald Trump cristallise ces paradoxes: son ridicule est affiché, ses contre-sens étudiés, ses mensonges évidents, sans que cela n’entache la poursuite de ses ambitions. Toute entreprise de satire rebondit sur lui comme une balle en mousse.
Seule la farce démesurée de Folamour est à la hauteur. La prescience de la démarche de Kubrick rend son génie encore plus évident, mais sa proximité avec notre quotidien éclaire avec une horrifiante netteté le chemin parcouru par le monde politique en 60 ans. Jamais la vision d’un cow-boy faisant du rodéo à dos de missile nucléaire, ultime image mythique du long métrage, n’a semblé aussi pertinente qu’aujourd’hui.
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