Critique | Cinéma

« Le Garçon et le Héron », un long métrage magistral, testament de Hayao Miyazaki

4,5 / 5
Les deux héros du Garçon et le Héron évoluent dans un univers parallèle magique où se multiplient les résonances avec le vrai monde. © paradiso films
4,5 / 5

Titre - Le Garçon et le Héron

Genre - Animation

Réalisateur-trice - Hayao Miyazaki

Sortie - En salles le 1er novembre 2023

Durée - 2 h 04

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Véritable festin visuel, émotionnel et sensoriel, Le Garçon et le Héron, le nouveau long métrage de Hayao Miyazaki, vient mettre un point final à plusieurs décennies d’une carrière magistrale consacrée à l’animation. À moins que…

En septembre 2013, Hayao Miyazaki, maître absolu du cinéma d’animation nippon, profitait de sa présence en sélection officielle à la Mostra de Venise pour annoncer que son nouveau long métrage, Le vent se lève, serait aussi son dernier. Jugeant cette activité trop chronophage pour son âge (72 ans à l’époque), le réalisateur culte de Mon voisin Totoro, Princesse Mononoké et autre Voyage de Chihiro signifiait ainsi qu’il entendait désormais se consacrer à un projet de manga historique tout en continuant à imaginer des courts métrages pour le Studio Ghibli et à s’adonner à la marche en forêt. Ce qu’il fit, en effet, durant quelques mois.

Mais après avoir développé un manga de samouraïs (Teppô Samurai ou Le Samouraï au fusil, projet resté inachevé) et avoir jeté les bases d’un court métrage appelé à être entièrement généré par ordinateur (Boro la petite chenille, visible exclusivement au musée Ghibli, au Japon), Miyazaki sort officiellement de sa retraite en 2016. Il dit alors avoir commencé à travailler sur un projet pour lequel il n’a pas encore reçu d’approbation officielle. D’abord, il est question de faire de Boro la petite chenille, histoire d’une larve à peine éclose qui fait ses premiers pas dans le monde, un long métrage. Puis Miyazaki révèle que son prochain film, Le Garçon et le Héron, qui porte alors encore le titre de travail international How Do You Live?, sera en fait une adaptation indirecte et en tout cas très libre d’un livre essentiel pour lui: Et vous, comment vivrez-vous? de Genzaburô Yoshino.

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Publié pour la première fois en 1937, ce roman humaniste à hauteur d’adolescent qui invite à la liberté de pensée, à l’entraide, au désir de justice et à l’ouverture du cœur sera interdit sur l’archipel durant la guerre, son auteur se voyant même incarcéré pour antipatriotisme, avant de devenir un véritable incontournable de la littérature nippone. Mais si l’ouvrage en question infuse aujourd’hui d’évidence dans Le Garçon et le Héron par sa dimension éducative et philosophique, mais aussi par sa présence physique au cœur même du récit, la trame du film emprunte à l’arrivée davantage à celle du Livre des choses perdues de l’Irlandais John Connolly. Soit un roman paru en 2006 mais qui situe son action en 1939, à la suite d’un jeune garçon inconsolable qui vient de perdre sa mère et qui se retrouve propulsé dans un monde fantastique peuplé de personnages issus de ses lectures et de son imaginaire.

Temps des adieux…

Très tôt durant le processus d’élaboration, le studio Ghibli a fait savoir que Miyazaki souhaitait dédier ce nouveau long métrage à son propre petit-fils, pour qu’il comprenne que “son grand-père part bientôt pour l’autre monde, mais laisse ce film derrière lui car il l’aime”. En ce sens, Le Garçon et le Héron est avant tout à envisager comme un récit de transmission et d’apprentissage. Un passage de témoin et une invitation à vivre pleinement l’expérience de l’existence. Les derniers mots du livre formateur de Genzaburô Yoshino, adressés aux lecteurs, étaient d’ailleurs littéralement les suivants: “Et vous, comment vivrez-vous?” Façon de dire que le destin de son héros, s’il pouvait indéniablement montrer la voie et servir de source d’inspiration, n’avait en aucun cas valeur de recette miracle ni de sésame absolu pour tout un chacun. À un journaliste lui demandant durant la création du film si celui-ci nous apporterait une réponse à la question posée par Yoshino à la fin de son ouvrage, Miyazaki, toujours très sibyllin, avait ainsi répondu: “Je fais précisément ce film car je n’ai pas la réponse.

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… ou éternel retour?

Chant du cygne aux allures de subjuguante malle aux trésors, Le Garçon et le Héron n’en est pas moins le legs d’un artisan au sommet de son art. Une œuvre initiatique d’une richesse et d’une profondeur qui semblent infinies. Un testament presque parfait, en somme. À moins que, comme certaines rumeurs le prétendent avec insistance, lui prêtant encore un ultime projet sous le coude, Le Garçon et le Héron ne soit simplement pas le dernier film de Hayao Miyazaki? Ces 30 dernières années, celui-ci a en effet maintes fois annoncé qu’il envisageait d’arrêter le cinéma, et il a toujours fini par sortir de sa retraite. “Il dessinera des story-boards jusqu’à la mort”, a ainsi déjà plaisanté son producteur historique, Toshio Suzuki. Tant qu’il y a de la vie…

Le Garçon et le Héron, notre critique

Très librement inspiré du Livre des choses perdues de John Connolly ainsi que de Et vous, comment vivrez-vous?, le classique de la littérature japonaise de Genzaburô Yoshino, le douzième et probablement ultime long métrage de Hayao Miyazaki retrace la trajectoire de Mahito, un garçon de 11 ans, au lendemain de la disparition de sa mère. Alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage, il doit quitter Tokyo pour aller vivre à la campagne avec son père et la nouvelle compagne de celui-ci. Accueilli par un mystérieux héron cendré, il y sera bientôt témoin de phénomènes étranges, qui l’aspireront peu à peu dans une grande aventure fantastique aux vertus cathartiques… Porté par une animation frémissante, d’une splendeur artisanale absolument sans égale, le film, récit patient de deuil et de reconstruction travaillé par le motif du feu, balaie un spectre incroyablement étendu d’émotions et de sensations pour vibrer au diapason de la quête initiatique de son jeune protagoniste. À travers les ramifications complexes et fascinantes de cette véritable œuvre-labyrinthe, Miyazaki s’adresse de manière allégorique à son petit-fils, y posant d’évidence la question de son patrimoine artistique pour délivrer une réflexion pénétrante sur les choses qu’on lègue et celles dont on hérite. Une merveille de poésie, de profondeur et de beauté.

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