Drive My Car voit le cinéaste nippon signer ce qui constitue sans conteste son grand-oeuvre à ce jour.
Drive My Car débute dans le clair-obscur de la fin du jour sur un couple venant de faire l’amour, alors qu’Oto imagine pour Yûsuke, son mari étendu à ses côtés, l’histoire d’une jeune fille s’infiltrant dans le logement d’un camarade dont elle est secrètement éprise. Elle est scénariste pour la télévision, il est metteur en scène de théâtre et comédien, et le récit en suspension vient rituellement pimenter leurs ébats amoureux. Un couple qu’unit un lien profond -c’est encore la voix enregistrée de sa femme qu’il écoute lui donner la réplique dans Oncle Vania qu’il répète pendant ses trajets dans son antique Saab rouge- et dont pas même la liaison qu’il lui découvre avec un jeune acteur ne semble devoir menacer l’harmonie. Moment où Oto disparaît soudainement, emportée par une hémorragie cérébrale.
Deux ans plus tard, Yûsuke Kafuku, muré dans une douleur muette, a accepté une résidence au théâtre de Hiroshima, où il doit monter la pièce de Tchekhov. Et de découvrir que Kôji Takatsuki, l’amant de sa femme, compte parmi les comédiens venus auditionner -une distribution internationale, où l’on retrouve encore une jeune Coréenne s’exprimant en langage des signes. Cela, alors que, ayant demandé à résider à une heure de route afin de pouvoir revoir le texte en voiture, il se voit imposer par la direction les services d’une chauffeuse, l’énigmatique Misaki Watari. Entre le metteur en scène et la conductrice, ce sont d’abord de longs silences, où s’immisce la voix de la défunte, égrenant les répliques d’Oncle Vania comme en écho aux réflexions de Kafuku. Au gré des trajets pourtant, la parole se délie, laissant affleurer leur passé respectif…
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L’impression de planer
Il a fallu attendre Asako 1 & 2, présenté en compétition à Cannes en 2018, pour découvrir Ryûsuke Hamaguchi, auteur précédemment d’une dizaine de longs métrages, fictions et documentaires confondus. Adapté principalement de la nouvelle éponyme d’Haruki Murakami, parue dans le recueil Des hommes sans femmes, Drive My Car voit le cinéaste nippon signer ce qui constitue sans conteste son grand-oeuvre à ce jour. De sa source, le film a conservé une texture forcément littéraire, s’articulant autour de la parole et du silence, et de la création de la pièce, sur laquelle le réalisateur a choisi de s’étendre. C’est aussi un pur objet de cinéma, s’appuyant sur une écriture sinueuse (Drive My Car a obtenu le Prix du scénario sur la Croisette en juillet dernier), et une mise en scène au mouvement souverain pour s’insinuer au plus profond de la nature humaine, tout en déployant un imaginaire mystérieux et foisonnant.
Si Oncle Vania y tient lieu de miroir de l’intime, Drive My Car trouve sa respiration sur ces échangeurs routiers qui en composent l’écrin nocturne, ruban où s’épanouit un grand film sur l’amour, la mort, le deuil, la culpabilité, la création et une hypothétique reconstruction. À quoi Hamaguchi réussit à imprimer l’élan d’un road movie insolite, chef-d’oeuvre laissant le spectateur dans un état voisin de celui produit sur Kafuku par la conduite de Misaki: « Elle démarre et freine si souplement que j’ai l’impression de planer. » On ne saurait mieux dire.
De Ryûsuke Hamaguchi. Avec Hidetoshi Nishijima, Tôko Miura, Reika Kirishima. 2 h 59. Sortie: 02/03.
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