Le cinéaste Erwan Le Duc aux petits soins d’une singulière relation père-fille
Avec La Fille de son père, Erwan Le Duc (Perdrix) confirme qu’il est bien l’une des voix les plus singulières et attachantes du cinéma français contemporain.
Révélé il y a cinq ans avec Perdrix, premier long métrage vosgien en forme de douce fantaisie perchée, Erwan Le Duc a notamment été chef du service des sports du journal Le Monde avant de se lancer dans le cinéma. « Pour moi, aimer le cinéma et le sport, ce n’est pas du tout contradictoire. C’est vraiment un truc d’émotions. J’aime les émotions que le sport me procure, de manière très simple. Moi j’ai passé une partie de mon adolescence en Angleterre, parce que mon père travaillait là-bas. Donc j’ai vraiment baigné dans cette culture du foot qui se transmet avec beaucoup de sérieux et en même temps beaucoup d’humour et de distance. J’aime énormément ce goût du nonsense propre aux Anglais. Quant à ma passion pour le cinéma, elle est aussi venue durant l’adolescence. Je me souviens d’avoir vu Pierrot le fou de Godard à la télé à l’âge de 12 ans et d’avoir été fasciné par ce geste de cinéma. Je n’avais rien compris au film mais c’est sans doute mon premier vrai souvenir de cinéphilie. Il m’a imprimé dans le cerveau des images très fortes, presque physiques. Peu à peu, j’ai commencé à faire des petits films avec des amis, mais je ne savais pas qu’il y avait des écoles pour ça, qu’on pouvait réellement en faire son métier. Donc j’ai fait d’autres choses mais j’avais toujours cette envie-là. Le cinéma, ça a toujours été un peu mon but secret. J’ai fini par écrire un court métrage, que j’ai eu la chance de pouvoir tourner, et j’ai appris comme ça, en faisant petit à petit les choses et donc en commettant forcément beaucoup d’erreurs. Aujourd’hui, on me dit souvent que je fais les choses différemment, mais c’est peut-être parce que je ne sais pas comment on les fait normalement.«
Dans La Fille de son père (lire la critique ici), son deuxième long métrage, Étienne (Nahuel Pérez Biscayart, César du meilleur espoir masculin en 2018 pour 120 battements par minute) est -tiens, tiens…- entraîneur de football. Il possède une vision bien à lui de ce sport, mais aussi de la vie. Depuis seize ans, il élève seul Rosa (Céleste Brunnquell, révélée par le film Les Éblouis et la série En thérapie), sa fille, dont la mère est partie quand elle n’était encore qu’un bébé. Mais aujourd’hui Rosa envisage d’aller étudier dans une autre ville. Ils vont donc devoir apprendre à couper le cordon et vivre chacun leur vie tandis que certains fantômes du passé se piquent de resurgir… « Le point de départ du film, explique Erwan Le Duc, c’est vraiment le désir de travailler ce thème de la relation entre un parent et son enfant, cette idée d’un amour inconditionnel entre deux personnes qui grandissent ensemble, s’élèvent l’un l’autre, et puis de voir comment ils vont pouvoir se séparer. De les prendre au moment de cette séparation, et de ne pas en faire tout un drame. Là-dessus, il y a toute une série de choses très instinctives, et un peu inexplicables, qui viennent se greffer.«
En route pour la joie
Parmi ces choses qui viennent se greffer de manière très instinctive: un goût sûr et prononcé pour les images fortes qui s’impriment sur la rétine. Erwan Le Duc: « Oui, quand j’écris, je visualise déjà beaucoup les choses. Je me projette très fort dans la mise en scène. Avec une ambition et un désir de fabriquer des images dont on se rappelle. Qui soient fortes et qui aient du sens. C’est vraiment l’idée de raconter une histoire mais d’aller aussi beaucoup vers les sensations. Et ces sensations, elles accompagnent le plus souvent le récit, mais elles peuvent aussi le contredire ou le dévier. J’aime parfois imaginer des scènes très rapides, très musicales, presque muettes, comme le début du film qui raconte en quelques images seulement seize ans de la vie de ce père et de cette fille.«
Dans ces moments rapides, musicaux et muets, on pense immanquablement au cinéma burlesque des années 1920. Et Nahuel Pérez Biscayart y a d’ailleurs des petits airs de Buster Keaton. « Cette influence du cinéma burlesque sur le film, c’est quelque chose que je ne m’étais pas forcément formulé au départ. Je pense que c’est Nahuel qui a amené ça aussi, ce coté keatonien du personnage, non seulement dans son apparence mais aussi dans sa manière de se déplacer, dans son côté bondissant, sa vitesse d’exécution. Je crois que cette influence inconsciente du burlesque rejoint cette volonté de raconter au moins autant par les images que par le texte. Et puis, oui, j’adore les gags, une vraie liberté dans le ton, mais avec toujours cette idée que ce ne soit jamais gratuit, que ces moments-là racontent quelque chose du personnage. Ils disent en effet, je crois, quelque chose de la joie qui peut l’habiter. Parce que ce père, il est heureux. Il s’est reconstruit. Il n’est pas démoli. Il y a une blessure qui traîne chez lui, c’est un fait, mais il est plutôt dans la joie.«
Le film, au fond, tend vers une réinvention constante de ce stéréotype éculé qu’est la relation père-fille. « C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup, oui. Comment fait-on pour vivre ensemble?, s’interroge Erwan Le Duc. C’est un peu bête à dire, mais c’est une question tellement importante. Dans un couple, dans une famille, dans une amitié. Dans un tout petit cercle de personnes. Comment se créer un monde à soi? En suivant certaines règles, en en contournant d’autres. Comment trouver son mode de fonctionnement singulier? Dans La Fille de son père, c’est vrai, chacun des personnages travaille à inventer des choses et à réenchanter aussi beaucoup, à préserver une forme d’émerveillement au sein de l’existence. Ce sont pour moi des motifs humains très forts. Et qui sont davantage au cœur de ce qui m’intéresse que des questions de réalisme ou des questions sociétales, par exemple. Clairement.«
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