L’actrice belge Myriem Akheddiou explose dans On vous croit, drame sur l’inceste et la justice

Myriem Akheddiou est une mère au bord de la rupture dans On vous croit.

Alors qu’elle multiplie les seconds rôles forts au cinéma et les premiers à la télévision, l’actrice restait l’un des secrets les mieux gardés du cinéma belge. Jusqu’à ce rôle dans On vous croit, où elle habite chaque plan avec une intensité folle.

On vous croitd’Arnaud Dufeys et Charlotte Devillers

Drame avec Myriem Akheddiou, Laurent Capelluto, Natali Broods. 1h18.

La cote de Focus: 4/5

On vous croit dresse le portrait sur le fil d’une mère de famille au bord de la rupture, en lutte contre le père incestueux de ses enfants et la justice qui peine à les protéger. Face au temps long de l’institution, Alice se cabre et résiste. D’une rigueur formelle au service de son propos urgent (cadre resserré, unité de temps et de lieu, plans-séquences), le film concentre son attention sur l’essentiel: ouvrir un espace pour accueillir une parole inconfortable mais primordiale pour comprendre les problématiques liées aux situations d’inceste et d’abus sexuel, notamment en mettant en scène l’écoute autant que la parole. Il donne aux mots tout leur sens, et use de tout le pouvoir d’incarnation et d’identification de la fiction pour offrir une expérience transformatrice au spectateur.

Le 8 octobre dernier, On vous croit remportait le Bayard d’or ainsi que le prix d’interprétation au Festival international du film francophone (Fiff) de Namur, sacrant ainsi à la fois l’œuvre et son interprète, magistrale dans le rôle d’Alice, une mère de famille épuisée par le temps long de la justice qui jette ses dernières forces dans la bataille. Ce double couronnement venait confirmer la force du film et sa puissance d’incarnation, dévoilée en février dernier au Festival de Berlin (où il avait d’ailleurs reçu une mention spéciale), et confirmé depuis de festival en festival.

Sûrement avez-vous déjà vu Myriem Akheddiou au cinéma, chez les frères Dardenne, mais aussi dans Titane, la Palme d’or de Julia Ducournau, dans Rembrandt de Pierre Schoeller, ou 16 ans de Philippe Lioret. Sûrement l’avez-vous vue également sur la RTBF, dans des séries comme Invisible, Pandore ou, récemment, Quiproquo. Elle ne sait plus exactement depuis quand elle est comédienne. Elle se souvient que «petite déjà, j’inventais des spectacles avec ma sœur. Le jeu, ça vient de l’enfance. Je crois que j’étais déjà actrice très petite. Puis je suis rentrée à l’académie, comme beaucoup d’enfants. Là, ma prof m’a dit: « Tu devrais faire le conservatoire. » J’ai commencé à comprendre que ça pourrait devenir mon métier.»

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L’écoute plus que la parole

Elle se tourne naturellement vers le théâtre, sauf que sur les planches, quelque chose coince, tremble. «J’ai fait presque 20 ans de théâtre avant de vraiment tourner pour le cinéma et la télévision, raconte-t-elle. J’ai eu beaucoup de belles expériences, mais aussi quelques malheureuses, un peu frustrantes. Sûrement y avait-il des choses qui n’étaient pas en place en moi, qu’il fallait mettre au clair. Ça manquait de sens et ça provoquait parfois de la souffrance. Devant une caméra, je ne ressentais plus ça, ce truc lourd et encombrant. Depuis, j’ai compris pourquoi, avec quoi je me battais. L’amplification qu’exige le théâtre –hausser la voix, faire plus de gestes– m’apparaissait comme une tricherie. Mais ces dernières années, j’ai un peu repris le théâtre avec plaisir. Je me souviens qu’à l’école, j’avais déjà fait un exercice filmé. Ça me semblait facile, évident. Avec le recul, je me dis que je m’étais déjà trouvé des outils d’actrice plutôt propres au cinéma. J’ai continué à me former, à cumuler les outils, parce que je trouve qu’il en faut pour jouer.»

«C’était tellement physique que j’avais demandé un punching-ball, un truc dans lequel je puisse frapper.»

Ces outils, justement, font partie du terrain commun qui la relie à Arnaud Dufeys, qui a proposé son nom dès le début de l’écriture à sa coscénariste et coréalisatrice Charlotte Devillers. A l’image de la technique Meisner, dont l’objectif est de raccrocher à soi, à son expérience propre, le vécu du personnage, mais aussi de favoriser l’écoute et la réactivité face aux partenaires de jeu. Une approche cruciale pour ce film particulier, où l’écoute est au cœur du dispositif de mise en scène. Il souligne ce que l’institution fait à la parole des victimes, une parole répétée à l’infini, qui réactive sans cesse les traumas et finit par s’user. Ce n’est pas le mutisme des victimes qui freine la justice, mais l’incapacité à réagir à la parole. Alors le film en prend le contrepied, et montre, plus encore que des personnages qui parlent, des personnages qui écoutent.

«Pour être juste au sein de ce dispositif, en tant que comédienne, il faut que l’écoute soit réelle, insiste Myriem Akheddiou. Evidemment, ça aide quand on a de bons partenaires, qui mettent dans le mille à chaque fois. Ça sonne vrai, et ça produit du réel. La préparation est très importante aussi à cet égard, non seulement pour visualiser le background de chacun, mais aussi leur identité émotionnelle. Au moment où je joue, ça change ma façon de regarder, d’écouter, d’appréhender physiquement les autres aussi.»

A bout de souffle

Si le film est très court, il laisse pourtant la place à une très longue audience dans le bureau de la juge des affaires familiales: 47 minutes sur les 78. Tour à tour, la mère, le père, leurs avocats, ainsi que celui des enfants, plaident leur cause auprès de la magistrate. La scène a été tournée à plusieurs reprises dans son intégralité, sans coupe, et restituée à l’écran en se nourrissant de cette intensité. «Cette façon de faire apporte une vérité folle au jeu. Au bout de 47 minutes de prise, après avoir terminé le monologue qui clôt la séquence, j’étais dans le même état d’épuisement que mon personnage, et ça, c’est un vrai cadeau pour une actrice, même s’il faut en amont accepter, tolérer de se laisser aller complètement.»

Ce lâcher-prise passe par un investissement physique particulier, le corps est pleinement engagé, sollicité. Un pari, et un défi, pour Myriem Akheddiou. «La lecture de la première séquence du film a été une claque, avoue-t-elle. J’aime ce niveau de tension. Une mère qui attrape son gamin, qui tire ses vêtements, il y a sûrement une raison, ça me parle. On a tourné cette séquence-là en premier. Arnaud et Charlotte me disaient: « Alice est plus haut que ça, encore plus haut. » J’ai dû faire monter la pression. C’était tellement physique que j’avais demandé à avoir un punching-ball, un truc dans lequel je puisse frapper. Mon personnage est essoufflé, physiquement, elle se débat, elle est à bout de force. C’est aussi une mère mise face à ses propres limites. Et c’était quelque chose que je pouvais ressentir dans mon cœur et dans mon ventre. Je n’avais presque pas besoin de le jouer.»

Quand elle découvre les chiffres de l’inceste et le déni qui l’entoure en préparant le rôle, elle est «abasourdie». Le propos du film et sa sincérité l’animent. «Ce qui m’importe, c’est qu’un projet fasse battre mon cœur un peu plus fort. Je dois y croire, que ça résonne. Il faut de l’exigence, que tout le monde le fasse à fond, que personne n’y aille du bout des lèvres. Lorsqu’il y a un sujet à la hauteur de cette énergie, c’est encore mieux, évidemment. C’est d’abord ça qu’on veut faire, donner accès aux humains, à l’humanité. Plus c’est complexe, difficile, nuancé, plus c’est intéressant.»

Les autres sorties ciné de la semaine

Les Aigles de la République

Thriller de Tarik Saleh. Avec Fares Fares, Zineb Triki, Lyna Khoudri. 2h09.

La cote de Focus: 4/5

George Fahmy, le «pharaon de l’écran», n’a jamais fait un mauvais film. Jusqu’au jour où il est casté bien malgré lui (disons, s’il ne veut pas qu’il arrive malheur à son fils) pour incarner le président égyptien en exercice Abdel Fattah al-Sissi dans le très officiel biopic produit par l’armée. George, cabotin dans l’âme et séducteur impénitent, se prend à un jeu dangereux qui pourrait lui coûter cher. Tarik Saleh retrouve son acteur fétiche, Fares Fares, qui apporte à ce thriller d’espionnage mâtiné de comédie sociale sa capacité à jouer tout à la fois le doute et la mauvaise foi. Moins sinueux et hypnotique que La Conspiration du Caire ou Le Caire confidentiel, Les Aigles de la République clôt néanmoins avec éclat la trilogie consacrée par le cinéaste suédois à son pays d’origine, où il est sans surprise persona non grata.

A.E.

Good Boy

Film d’horreur de Ben Leonberg. Avec Indy (le chien), Shane Jensen, Arielle Friedman. 1h13.

La cote de Focus: 2,5/5

Revisiter le mythe de la maison hantée par le point de vue d’un chien: telle est l’étonnante ambition de Good Boy, dernier phénomène issu de l’horreur indépendante. La star du film, c’est évidemment Indy, adorable boule de poil qui transfigure le projet de ses grands yeux joliment éveillés et de sa truffe curieuse. L’animal, de tous les plans, apporte un réalisme bluffant, à tel point que sa prestation pourrait mériter quelques récompenses. Consciente de cet atout, la mise en scène reste arrimée à son petit héros: la caméra ne dépasse jamais la hauteur du plancher, et les humains se limitent à des silhouettes trop grandes pour le cadre. Pour le reste, Good Boy demeure assez classique. La dimension horrifique se limite à quelques apparitions peu inspirées, tandis que le scénario tisse très timidement un propos sur l’hérédité du mal. Malgré sa courte durée, le long métrage n’évite pas la redondance, ce qui laisse penser que l’idée de Ben Leonberg aurait sans doute été plus convaincante sous la forme d’un court métrage.

J.D.P.

Au rythme de Vera

Comédie dramatique d’Ido Fluk. Avec Mala Emde, John Magaro, Michael Chernus. 1h56.

La cote de Focus: 3,5/5

Presque tous les mélomanes connaissent Köln 75, l’enregistrement légendaire d’un concert de piano improvisé par Keith Jarrett, ancien collaborateur de Miles Davis. Le cinéaste allemand Ido Fluk a longtemps désiré raconter la genèse de cet événement mythique… Sauf qu’il n’a jamais obtenu les droits de la musique. D’où cet étonnant projet Au rythme de Vera, qui s’intéresse non pas au musicien et à sa musique, mais à l’organisation miraculeuse du concert. En creux de la légende, Ido Fluk brode donc un portrait tempétueux de la fièvre du jazz qui emportait l’Allemagne dans les années 1970. La mise en scène, qui alterne les plans-séquences virtuoses et les adresses aux spectateurs, célèbre sans compromis le travail acharné des «petites mains», et particulièrement celui de la jeune productrice Vera Branders (Mala Emde), dont la fougue symbolise à merveille le bouillonnement d’une époque hélas révolue.

J.D.P.

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