La relation compliquée du cinéma français aux films d’horreur
À l’occasion de la sortie de Grave sur nos écrans, retour sur la relation compliquée du cinéma français aux films d’horreur, entre classiques isolés et effets de mode. Frissons à la française.
Il n’est pas inutile de le rappeler d’emblée, le premier film d’horreur de l’Histoire est français: Le Manoir du Diable de Georges Méliès en 1896! Déjà à l’époque, cette histoire de vampires et de spectres était plutôt jouée pour ses vertus parodiques. Symbole prémonitoire d’une France qui allait avoir bien du mal à prendre les films d’épouvante au sérieux, se condamnant par-là à n’exploiter que rarement leur plein potentiel esthétique et sociologique.
Pourtant, au fil des décennies, quelques cinéastes reconnus tenteront l’aventure et livreront des oeuvres remarquables. Plus habitué jusque-là aux documentaires et aux drames, Georges Franju signe en 1960 Les Yeux sans visage, oeuvre non seulement majeure du répertoire, mais considérée comme précurseur du sous-genre gore qui naîtra bientôt aux États-Unis. Pour son premier film à l’ouest, le Franco-Polonais Roman Polanski confie à Catherine Deneuve le rôle d’une jeune Belge (!) assez prude, en proie à des délires schizophréniques face à l’éveil de ses désirs. Répulsion remporte l’Ours d’Argent au festival de Berlin 1965.
En 1981, Andrzej Zulawski pousse le bouchon encore plus loin avec Possession. Isabelle Adjani y est la proie sexuelle d’une créature tentaculaire. Mal reçu à sa sortie, le film est rapidement devenu culte, influençant par exemple grandement Lars Von Trier pour son Antechrist. Citons encore Trouble Every Day de Claire Denis, présenté au festival de Cannes 2001, et mettant en scène Béatrice Dalle et Vincent Gallo en amants cannibales.
En vérité, la production horrifique française a toujours été plutôt constante. Quelques films sortent chaque année, attirant parfois des têtes connues (Émilie Dequenne, Bérénice Béjo, Clotilde Coureau, Clovis Cornillac…) mais se contentant de scores confidentiels. Et honnêtement ce n’est pas uniquement le fait d’un désamour des Français pour le cinéma de genre, mais aussi d’un manque récurrent de qualité. Lequel finit par détourner les foules… C’est le serpent qui se mord la queue.
French Frayeur
Au début des années 2000 pourtant, tout a failli changer. Alexandre Aja, fils d’Alexandre Arcady, le réalisateur historique du Grand Pardon entre autres, sort Haute Tension. Avec en vedette Cécile De France et Maïwenn face à un serial killer increvable, le film impressionne par sa maîtrise technique et visuelle, malgré un twist final très peu crédible. Le jeune réalisateur a prouvé que les Frenchies pouvaient rivaliser avec les maîtres anglo-saxons sur leur terrain de prédilection: le slasher. Avec environ 130.000 entrées en salle, le film est en succès modéré, mais il est plébiscité par la critique et remarqué à l’international. Dans les années qui suivent, il deviendra alors un peu plus facile de monter des films d’horreurs dans l’Hexagone. On voit débarquer une génération de jeunes réalisateurs bien décidés à changer la donne -plusieurs sont issus de la presse spécialisée comme ceux de la Nouvelle Vague avant eux. Ils signent des films colorés, à l’esthétique soignée et à la violence crue, ce qui est très neuf en France. Leurs films font souvent l’évènement, si bien que la presse identifie un mouvement: la French Frayeur.
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Tous les sous-genres sont visités: le torture porn avec Martyrs de Pascal Laugier, l’invasion movie avec À L’Intérieur de Julien Maury et Alexandre Bustillo, la comédie horrifique avec Sheitan de Kim Chapiron ou encore le slasher avec Frontière(s) de Xavier Gens. Las, en dehors des habitués, et malgré le soutien d’une partie de la critique, le public ne semble pas vouloir se déplacer. Surtout, le marché français est sclérosé par le poids des chaînes hertziennes qui ne diffusent pas ces films. Quant au circuit des ventes en vidéo, il n’est pas suffisant pour contrebalancer cette perte sur les seuls territoires francophones. On pensait assister à la naissance d’une école, mais las, au moment de la sortie de La Horde, film de zombiez de Yannick Dahan et Benjamin Rocher en 2009, le soufflé semble être définitivement retombé. Les plus chanceux des réalisateurs de cette époque réussiront un exil cinématographique aux États-Unis. L’histoire est d’autant plus cruelle qu’à la même époque l’Espagne voit l’explosion d’une vague similaire qui, elle, ne s’est jamais tarie et a offert une nouvelle jeunesse au cinéma ibérique.
Et puis en 2017 voici Grave, un film d’horreur français qui refait l’événement! Une oeuvre au ton singulier et neuf, réalisée par une femme. L’avenir dira si le pari de Julia Ducournau sera une nouvelle exception à la règle ou le début de quelque chose.
Parmi les cinéastes belges amateurs d’hémoglobine, seul Fabrice Du Welz semble pouvoir tirer son épingle du jeu. Ses Calvaire (2004) et Alléluia (2014) ont su se concilier les faveurs d’un public et des critiques. On attend Message from the King, son premier film américain, dans le courant de l’année. Bien sûr la Belgique jouit d’une tradition littéraire et picturale plus encline au fantastique que sa voisine. C’est dans les terres de Jean Ray, Félicien Rops ou Paul Delvaux que des ovnis comme Malpertuis d’Harry Kümel (1971) ou L’Étrange Couleur des larmes de ton corps (2013) de Hélène Cattet et Bruno Forzani (hommage au giallo, le film d’horreur italien) plongent leurs racines. Notre pays peut aussi se targuer d’avoir produit un des films les plus censurés de l’Histoire! Réalisé par Thierry Zéno en 1974, Vase de Noces raconte la passion destructrice unissant un agriculteur à une de ses truies. Ils enfanteront des bébés hybrides lors de scènes zoophiles qui, selon la légende, ne seraient pas simulées… Enfin, n’oublions pas que Bruxelles accueille chaque année deux festivals faisant la part belle au genre: le BIFFF, internationalement reconnu et à l’ambiance festive inimitable, et le plus pointu Offscreen qui accueillait fort à propos cette année l’avant-première de Grave.
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