La comédie musicale The End, de Joshua Oppenheimer, «c’est du désespoir déguisé en espoir» et c’est à voir

The End est un film sur l’autotromperie et le faux espoir.

Auteur de documentaires engagés, Joshua Oppenheimer livre son premier film de fiction, The End, dans un genre… inattendu: une comédie musicale postapocalyptique aux airs joyeux.

The Endde Joshua Oppenheimer

Avec Tilda Swinton, Michael Shannon, George MacKay. 2h27.

La cote de Focus: 3,5/5

Avec sa palette multicolore et ses chorégraphies virevoltantes, la comédie musicale est souvent considérée comme un exercice rempli d’énergie positive, voire de candeur. Tout le contraire de l’approche de Joshua Oppenheimer, qui subvertit largement le genre avec The End. En lieu et place du décorum de studio à la West Side Story, un bunker au fin fond d’une mine où se réfugie une famille d’ultrariches, à l’abri d’une Terre devenue inhospitalière. Lorsque leur équilibre est troublé par une fille venue de l’extérieur, le cinéaste orchestre une étrange valse musicale, déterrant progressivement la culpabilité de cette haute société bien sous tous rapports. En près de 2h30, le récit accuse quelques à-coups et répétitions, mais la démonstration demeure très originale et stimulante. A noter l’excellente prestation du britannique George MacKay.

J.D.P.

Le plan de Joshua Oppenheimer était de réaliser une suite à The Act of Killing et The Look of Silence, ses deux –brillants– documentaires sur le massacre des communistes en Indonésie, au milieu des années 1960. Plus précisément «sur les milliardaires qui ont pris le pouvoir en exploitant le fait que les Indonésiens, dans le sillage du génocide, étaient terrifiés. Mais depuis The Act of Killing, ma vie est en danger en Indonésie, confie-t-il. Je me suis alors concentré sur l’étude des oligarques qui ont amassé leur fortune de manière similaire, violente. L’un d’eux avait investi dans un bunker dément. Ça fut l’inspiration directe pour The End», une comédie musicale postapocalyptique avec Tilda Swinton, Michael Shannon (Boardwalk Empire, The Shape of Water) et George MacKay (1917).

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Dans cet audacieux film, les personnages Father, Mother et Son vivent depuis 25 ans dans un luxueux palais souterrain avec leur personnel. Sous la direction de la droite et rigide Mother (Tilda Swinton), ils font semblant de mener une vie normale, alors qu’une catastrophe environnementale a rendu la Terre inhabitable. Tout est mis sous pression par l’arrivée de Girl, une belle et mystérieuse étrangère.

Si la musique est joyeuse, le message ne l’est pas. «The End est un film sur l’autotromperie et le faux espoir, précise Joshua Oppenheimer. On se persuade que demain, le Soleil brillera à nouveau, et l’on plonge la tête dans le sable. On reste passif, tout en sachant pertinemment que l’on file droit vers une catastrophe. La famille chante des airs joyeux à propos d’un avenir radieux alors que tous regardent le gouffre. C’est du désespoir déguisé en espoir.»

«Les humains ont cette capacité unique à se mentir à eux-mêmes.»

Le réalisateur américano-britannique lui-même ne perd pas encore espoir: «Si pour la dernière famille sur Terre, il est trop tard, ça ne l’est pas encore pour les spectateurs. Nous n’allons tout de même pas continuer à voler tout droit en espérant qu’aucune montagne ne surgisse?» Sa comédie musicale est un «conte de mise en garde». «The End avertit des conséquences tragiques de cette capacité unique des humains à se mentir à eux-mêmes. Cette autotromperie sape notre capacité à aimer, à chérir et à protéger ce qui est important: nos familles, nos communautés, notre civilisation, notre planète.»

Selon le cinéaste, deux fois nommé aux Oscars, il est encore temps de prendre cette mise en garde au sérieux et de changer de cap. «Je crois en notre capacité à changer, insiste-t-il. Ça commence par reconnaître que nous pouvons faire mieux. Chaque jour est une nouvelle chance de nous montrer plus empathiques, créatifs et constructifs, et de retrousser nos manches.» The End n’est pas un film facile. «On demande aux spectateurs de regarder l’extinction potentielle de l’humanité tout en se regardant eux-mêmes. Que faites-vous pour votre famille, votre planète?»

Si l’on cherche à se moquer d’une famille immensément riche qui se cache dans un palais souterrain, mieux vaut changer de salle. «The End est détesté par ceux qui espèrent se divertir en regardant de haut quelques milliardaires dans un bunker. Ce film n’a pas pour but de donner un sentiment de supériorité lorsque ces gens reçoivent ce qu’ils méritent. Cette famille riche dans le bunker, c’est nous. Vous, moi, tout le monde. C’est pourquoi je n’ai pas donné de noms aux personnages. Nous aussi, nous nous abritons dans un bunker d’indifférence et de distractions bon marché. Nous méprisons aussi ceux qui ont besoin de notre aide en leur envoyant juste une émoticône sentimentale, pour ensuite immédiatement détourner notre attention vers quelque chose de plus agréable.» Joshua Oppenheimer affirme ne pas vouloir prêcher: «Je ne veux désigner personne du doigt. Je ne dis pas qu’il faut mieux recycler ou rejoindre de toute urgence un mouvement de protestation. Je dis « tu n’as qu’une vie, une seule chance de changer les choses pour le mieux ».»

Les autres sorties ciné de la semaine

Tron: Ares


Leah Gallo © 2025 Disney Enterprises, Inc. All Rights Reserved.

Film de science-fiction de Joachim Ronning. Avec Jared Leto, Greta Lee, Evan Peters. 1h59.

La cote de Focus: 3/5

Curieuse franchise que Tron. D’abord, il y a le premier film de Steven Lisberger, une œuvre avant-gardiste dans son esthétique informatique, qui ne connut pourtant qu’un demi-succès à sa sortie en 1982. Ensuite, il y a une longue pause de 30 ans, durant laquelle le culte autour du film va peu à peu grandir, boosté par la création d’un grand nombre de produits dérivés –dont évidemment des jeux vidéo. Galvanisé par ce succès tardif, Disney sort les grands moyens pour une suite en 2010: énorme budget, effets spéciaux de haut vol, Daft Punks à la BO…Au final, Tron:  L’héritage sera hélas un autre semi-échec au box-office, plongeant la saga de science-fiction dans un nouvelle léthargie de quinze ans. 
Pour cette troisième tentative, Disney tente d’inverser le principe des deux premiers films: ce ne sont plus les joueurs qui sont téléportés dans le jeu, mais les programmes qui surgissent dans notre monde. Un moyen astucieux de moderniser les enjeux –le vertige de l’IA plane sur ce nouveau script– tout en rebootant discrètement la franchise. Hélas, d’un point de vue narratif, Ares ne tient pas tout à fait ses promesses. L’intrigue se calfeutre derrière une trajectoire vue mille fois ailleurs –un robot (ici joué par Jared Leto) refuse soudain une directive et s’éveille progressivement au libre arbitre et à aux plaisirs de l’existence– tandis que les autres personnages bénéficient d’une écriture au mieux très sommaire.

Si le film original avait anticipé la venue d’Internet et était l’un des premiers à réfléchir à la notion de virtualité, celui-ci semble au contraire en retard, presque timide face aux possibilités thématiques qui s’offrent à lui. L’intérêt du projet tient plutôt à son spectacle. Dans ses meilleurs moments, Tron: Ares se mue en une sorte d’opéra industriel, où l’excellente musique de Nine Inch Nails vient se superposer à des courses-poursuites stylisées, offrant d’indéniables shoots d’adrénaline. Généreux mais un peu creux, ce troisième opus devrait contenter les amateurs de sensations fortes, à défaut de ravir les aficionados de science-fiction et de métaphysique. 

J.D.P.

La Machine à écrire et autres sources de tracas


Leah Gallo © 2025 Disney Enterprises, Inc. All Rights Reserved.

Documentaire de Nicolas Philibert. 1h12.

La cote de Focus: 4/5

La Machine à écrire et autres sources de tracas. Derrière ce titre étonnant, un brin cocasse, qui pourrait être celui d’une comédie de Roy Andersson, se cache en réalité le troisième et dernier volet d’une trilogie documentaire. Un triptyque qui s’intéresse aux différentes composantes du pôle psychiatrique de Paris-Centre, dans le but de dévoiler «cette psychiatrie qui s’efforce encore, dans un paysage dévasté, de privilégier la relation», du propre aveu du réalisateur.

Ainsi, Sur l’Adamant (Ours d’or à Berlin en 2023) mettait en lumière le fonctionnement d’un centre de soins aux pratiques novatrices, tandis que Averroès et Rosa Parks (également en salle ce mercredi) s’attache à filmer une série de longs entretiens entre soignants et malades. Beaucoup plus modeste dans sa durée, La Machine à écrire et autres sources de tracas suit pour la première fois les patients à leur domicile, plus précisément dans leurs interactions avec les techniciens du pôle, alors que ceux-ci viennent effectuer chez eux diverses opérations –réparer une machine à écrire, accorder un piano, etc.

Un troisième film sous forme de coda, qui vient jeter un œil discret à la vie quotidienne des patients, loin des instituts et des hôpitaux. On y retrouve toutes les qualités du cinéma de Philibert, d’ailleurs applicables à l’entièreté de la trilogie: pudeur de la caméra, séquences qui se déploient sur le long cours, absence de voix off et focus sur les mots des patients. Fidèle au principe du cinéaste Marcel Hanoun selon lequel «un réalisateur ne devrait montrer que ce qu’il ne sait pas encore», Nicolas Philibert poursuit sa démarche emphatique, traquant sans relâche la tendresse et l’altruisme à travers l’imprévu.

J.D.P.

Berlinguer – La Grande Ambizione


Leah Gallo © 2025 Disney Enterprises, Inc. All Rights Reserved.

Biopic d’Andrea Segre. Avec Elio Germano,  Stefano Abbati, Francesco Acquaroli. 2h02.

La cote de Focus: 3,5/5

1984. Un million et demi d’Italiens se pressent dans les rues pour pleurer Enrico Berlinguer, le chef du Parti communiste, qui voulut rêver à contre-courant d’un monde plus juste où la nécessité de compromis l’emporte sur le goût de la division. Andrea Segre a signé de nombreux documentaires, et l’on retrouve une volonté didactique légitime et un sens de la documentation acéré dans ce biopic classique mais solide, tissé d’images d’archives sur l’un des concepteurs de l’eurocommunisme, une nouvelle façon de penser le communisme dans l’Europe occidentale des années 1980, affranchie du joug de l’URSS. Servi par une tension habilement entretenue, où les compromis raisonnés avec les partis catholiques contrastent avec les difficultés de communication avec les alliés «naturels» du bloc de l’Est, le récit progresse à vive allure, nourri par les mots de Berlinguer, ceux de son journal ou de ses discours.

A.E.

Mary Anning


Leah Gallo © 2025 Disney Enterprises, Inc. All Rights Reserved.

Film d’animation de Marcel Barelli. Avec les voix de Camille D’Hainaut, Jason Vansilliette, Alexia Depicker. 1h12.

La cote de Focus: 3/5

Nous sommes au début du XIXe siècle, en Angleterre, dans la petite ville côtière de Lyme Regis. A cette époque, l’école est encore largement encadrée par le clergé et la science y est perçue au mieux comme une activité sans intérêt, au pire comme une forme d’hérésie. C’est dans ce contexte proche de l’obscurantisme que Mary Anning, âgée de seulement 13 ans, découvrit un fossile d’ichtyosaure, un reptile marin contemporain des dinosaures, dont la seule existence suffit à remettre en cause bien des dogmes religieux. La première prouesse d’une longue carrière dédiée à la paléontologie.

L’idée maîtresse du long métrage de Marcel Barelli consiste à faire de la célèbre scientifique l’héroïne fougueuse d’un film pour enfants, dans une démarche finalement assez analogue à celle des récents Hola Frida, voire d’Amélie et la métaphysique des tubes. Modeste et relativement didactique, Mary Anning a le mérite d’offrir un beau modèle d’émancipation féminine et d’initier les plus jeunes aux mystères de la paléontologie. Grâce à son animation en aquarelle et les voix irrésistibles de Camille D’Hainaut et d’Alexia Depicker, le film devrait tracer son sillon dans l’esprit rêveur de la jeune génération.

J.D.P.

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