Comment Maria Montessori a changé le regard posé sur l’enfance

Avec Maria Montessori – La Nouvelle Femme, Léa Todorov dresse les portraits de deux femmes en quête d’émancipation, et d’un regard nouveau posé sur l’enfance, lieu de tous les possibles.

Le titre laissait présager un biopic en bonne et due forme de la médecin et pédagogue Maria Montessori, 
avec évocation de l’enfance, de la jeunesse, de la maturité et de la fin de vie. Ce n’est pourtant résolument pas ce à quoi nous invite Léa Todorov avec son premier long métrage de fiction. Inspirée par la vie et la vision de Montessori (campée par Jasmine Trinca), elle s’arrête sur une période relativement courte de son existence, qu’elle va observer du point de vue d’une autre femme, Lili d’Alengy (Leïla Bekhti), mère de la jeune Tina et personnage de fiction dont le parcours est autant un écho qu’un contrepoint à celui de Maria Montessori. « 

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Je n’avais pas peur du biopic en soi, confie la cinéaste, mais j’ai mis longtemps à trouver la manière dont je voulais regarder Maria Montessori. Finalement, il m’a paru intéressant d’inventer ce personnage de Lili, son regard venant épouser celui du spectateur. C’était un défi, sur le plan scénaristique, d’avoir deux personnages principaux qui soient à la fois liés dans le récit, mais aussi autonomes. Mais c’était une richesse aussi.« 
 Maria Montessori – La Nouvelle Femme 
s’attarde sur l‘année 1900, où Montessori développe une méthode d’apprentissage spécifique consacrée à des enfants que l’on appelle alors « déficients » et dont personne ne se soucie. C’est à travers cette expérience, en s’appuyant sur le potentiel de ces enfants dont la société ne veut voir que les empêchements -quand elle prend la peine de les voir-, qu’elle va imaginer une méthode novatrice et disruptive. « Il y a une dizaine d’années, j’ai coécrit un documentaire, Révolution école, qui parlait de pédagogie alternative pendant l’entre-deux-guerres. C’est à cette occasion que j’ai découvert que des gens comme Montessori ou Decroly, qui avaient jeté cette passerelle entre l’éducation spécialisée destinée notamment aux enfants neuro-­atypiques et l’éducation générale, et j’ai trouvé ça fascinant.« 


Au cœur du projet, on retrouve justement la place que la société ne fait pas à ces enfants, et que le film s’emploie à faire, à l’image de Maria. Si le personnage de Lili est aussi central, « c’est aussi car elle est une mère qui a du mal à accepter son enfant à cause de son handicap, c’est elle qui guide le trajet émotionnel du film, elle est témoin du déploiement intellectuel et émotionnel de sa fille Tina. »


Le film fait preuve d’une belle audace dans sa façon de mettre en scène Tina et les autres enfants du centre comme des personnages de fiction, eux que l’on a plus coutume de voir comme des sujets de documentaire. « Toute la mise en scène du film s’est organisée autour de la conviction que ces enfants étaient le cœur du film, afin de créer un écrin de beauté, pour montrer au plus grand nombre à quel point ces enfants sont pleins de potentiel. On a beaucoup travaillé en amont du tournage, on a fait des répétitions pour trouver à chacun un rôle à sa mesure, et réécrire les scènes en regard de cette expérience. La place de la danse dans le film notamment vient d’un aller-retour entre le travail avec les enfants et l’écriture scénaristique. » Au milieu du film d’ailleurs surgit une scène de danse d’une grâce absolue, dont on parle souvent à la réalisatrice, « ce qui m’émeut beaucoup, avoue Léa Todorov, car elle est le fruit de cette collaboration avec les enfants« . Ce qui frappe aussi, c’est la justesse et la force de la prestation de la jeune Rafaëlle Sonneville-Caby, qui joue Tina: « C’est une comédienne née. Elle a une propension à exprimer extérieurement son intériorité, tout en étant extrêmement connectée à elle-même, sans jamais être narcissique, elle n’est jamais en train de se regarder faire.« 

Inverser les regards

La relation qui unit Maria et Lili est empreinte d’une puissante sororité qui les fait grandir et évoluer: « Montessori 
a toujours été très entourée par des femmes et a bénéficié de leur soutien. Entre Maria et Lili, l’idée était de déjouer une 
certaine vision antagoniste des relations entre femmes. » Courtisane réputée, Lili a l’art de se mettre en scène. Elle va partager avec Maria ce savoir, l’inciter à dire « je », à devenir 
l’héroïne de son propre récit pour exister parmi les hommes. « C’est l’époque des grandes inventions. Il ne s’agit pas seulement d’inventer, il s’agit aussi de revendiquer l’invention, ce que les hommes font très facilement, quand les femmes veulent rendre compte du collectif qui les accompagne. C’est ce que Lili apprend à Maria, à promouvoir son travail.« 

Ce qui distingue le film, en dehors de sa volonté de donner à voir ce qui usuellement est caché, c’est aussi le parallèle qu’il dresse entre l’empêchement dont pâtissent ces enfants et celui que subissent les femmes. « Il y a une convergence des luttes, pour employer une terminologie actuelle, entre le droit des femmes et l’éducation des enfants. Maria Montessori a d’ailleurs un discours politique sur le droit des femmes à s’émanciper. Le regard de la société posé sur ces enfants n’a pas forcément changé. On n’a pas d’attente vis-à-vis d’eux, comme on n’attendait pas que les femmes se réalisent intellectuellement au début du XXe siècle. Elle a inversé ce regard-là. J’essaie de le faire avec elle, en montrant que l’empêchement est un point de départ, pas un point d’arrivée, que ce soit pour les femmes ou les enfants. Pour elle, la maternité est prise dans l’étau d’une société patriarcale et capitaliste, elle est un esclavage. En même temps, elle salue la vertu du sentiment maternel. Elle parle d’une maternité sociale, c’est une idée qui rejoint la pensée sur la société du care, où l’on imagine un autre type de relation à l’autre et aux plus fragiles. »

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