Kad Merad: « Ma grande angoisse, c’est de lasser le public »

© L'Italien

Kad Merad s’est imposé comme l’une des valeurs sures du cinéma français. De ses débuts à la radio en 1991 à L’Italien en passant évidemment par Bienvenue chez les ch’tis, Kad Merad a fait du chemin.

La mine est radieuse et le sourire, jovial. Pas une cerne, pas un signe de fatigue. Et pourtant, il tourne, il répète, il voyage. Fidèle à lui-même, Kad Merad n’arrête pas. Il vient de finir de mettre en scène son premier film, Monsieur Papa, a tourné dans La Fille du puisatier, de Daniel Auteuil, travaille actuellement sur Rendez-vous, une comédie musicale dont les représentations commenceront en septembre au Théâtre de Paris. Entre deux numéros de danse, il est allé à Marseille présenter L’Italien, de son ami Olivier Baroux, comédie douce-amère où il joue un fils de Maghrébin qui se fait passer pour un Romain de souche. Et il y tient à ce film, dont la date de sortie, fixée au 14 juillet, n’est pas innocente. Parce qu’il y est question d’intégration, de famille, d’ambition. Parce qu’il y est question de Kaddour Merad, 46 ans, Français heureux et enfin fier d’être né à Sidi Bel Abbes.

A quel point votre personnage dans L’Italien, qui renie ses origines maghrébines, est-il proche de vous?
Il ne renie pas ses origines, il les dissimule par peur. J’ai moi-même vécu cette crainte. A 18 ans, en vacances, j’ai rencontré une fille, Hélène, à qui j’ai dit m’appeler François Kaddour. Je ne voulais pas lui dire que Kaddour était mon prénom. Je n’assumais pas. Comme beaucoup, je n’ai pas le physique de mes origines, je ne parle pas l’arabe et je n’ai pas grand-chose à voir avec l’Algérie, à part des liens familiaux très forts. Or, il y a trente ans, s’appeler Kaddour était parfois un handicap. Aujourd’hui aussi, malheureusement. Dans certains cas, il vaut mieux s’appeler Jean-Michel. A force d’entendre des clichés sur les étrangers, beaucoup de Français finissent par y croire. Un reportage sur un imam fondamentaliste vociférant laisse entendre qu’ils sont tous ainsi, alors qu’il y en a beaucoup qui écoutent leur iPod et s’amusent avec leur BlackBerry. Un peu comme celui qu’on montre dans le film, d’ailleurs.

Reste qu’aujourd’hui vous vous appelez Kad, pas François. Quand avez-vous assumé votre prénom?
Lorsque j’ai commencé à travailler. Mais cela n’a pas été simple. Un exemple: au tout début de ma carrière, je répétais Le Misanthrope, j’interprétais le rôle d’Alceste, et ma prof de théâtre contacta des producteurs qui avaient un projet de télévision sur François Ier. Ils sont venus me voir jouer, ont accroché et… ils ont entendu mon prénom: Kaddour. Adieu mon premier contrat! Mais j’ai pensé à mon père qui, de Mohammed, est devenu Rémi quand il est arrivé en France à l’âge de 16 ans. Il n’a jamais voulu m’expliquer pourquoi il avait changé de prénom. La peur des préjugés, j’imagine. C’étaient les années 1950, la tension vis-à-vis des Algériens en France était déjà palpable, et il travaillait dans les chemins de fer comme ouvrier. C’est pour lui rendre hommage que j’ai conservé mon prénom. Et, il y a six mois, je devenais le père du Petit Nicolas, M.Tout-le-Monde, l’image type du Français moyen!

Comment les autres membres de votre famille vivent-ils leurs origines?
Notre double culture a toujours été un handicap pour mes frères et ma soeur. Mais on n’en souffre pas, on l’a intégrée. Mon frère est assureur, il s’appelle Karim. Il a une tête on ne peut plus « française ». Sur sa carte de visite, il est écrit: « K. Merad ». « Dans ce métier, il est difficile de s’appeler Karim », m’a-t-il confié. Ma soeur Yasmina, tout le monde l’appelle Mina. Mon autre frère, Reda, est un peu plus typé, mais il tient un bar, vit la nuit, et, dans son milieu, Reda, ça fait classe. C’est notre mère française qui décida de nous donner des prénoms arabes.

Si vos parents sont arrivés en France avant votre naissance, pourquoi êtes-vous né à Sidi Bel Abbes?
Peu après l’indépendance, en 1963, mes parents ont décidé de retourner vivre en Algérie, où mon père avait l’intention d’ouvrir un salon de coiffure, tenu par ma mère. Ils y sont restés deux ans, le temps de me concevoir et de constater qu’il était impossible de vivre dans ce pays pour un Algérien marié à une Française. D’autant plus qu’ils venaient de France. Je vous dis cela, mais, en fait, je n’ai jamais vraiment su ce qui s’était passé. Mon père a toujours résumé cet épisode par un élusif « Ça n’a pas marché ».

Y êtes-vous retourné depuis?
Dans les années 1970, tous les étés, en vacances. On prenait l’Ami 8 avec la remorque, on traversait la France, l’Espagne, on dormait sur le parking du port avant d’embarquer, ma soeur, mes deux frères et moi derrière, ma mère devant avec mon père qui fumait. On prenait le bateau le matin, on arrivait au Maroc, et, pour passer la frontière algérienne, on attendait sept heures en plein cagnard, avant de remonter vers Tilimsen, puis jusqu’à un petit village, Ouled Mimoun, où mes grands-parents avaient une ferme familiale, occupée par mes tantes et mes oncles. Je n’y ai que des souvenirs extraordinaires. Mais, là-bas, on était considérés comme des petits Blancs. Heureusement qu’on avait des prénoms algériens!

Après le débat houleux sur l’identité nationale, L’Italien arrive donc à point nommé…
Peut-être, mais la problématique ne date pas d’hier. Elle ronge la société depuis une bonne cinquantaine d’années. Ce débat sur l’identité nationale n’est qu’une nouvelle étape de cette histoire. En revanche, on tenait depuis toujours à la date de sortie de L’Italien: le 14 juillet, fête nationale en France. Question symbole, il n’y a pas mieux. Avec ce film, on voulait montrer à quel point nier ses origines est une erreur.

Comment avez-vous vécu ce débat sur l’identité nationale? Je ne l’ai pas compris. Personne n’a jamais été capable de m’expliquer clairement son intérêt. Chercher à savoir ce qu’est un bon Français, c’est étrange, non? Pourquoi se poser ce genre de questions, cela m’échappe complètement.

Sans vous, L’Italien n’aurait sans doute pas pu être financé. Votre notoriété permet-elle vraiment à n’importe quel projet d’aboutir?
Je ne crois pas. Ce n’est pas aussi simple.

Vous bénéficiez néanmoins d’un exceptionnel soutien public et professionnel depuis le triomphe de Bienvenue chez les Ch’tis. Et on sent, chez vous, une soif de travailler toujours davantage, comme si vous preniez une revanche sur des débuts difficiles. Est-ce le cas?
Evidemment. Je me souviens de l’époque où j’étais en cours avec Catherine Anconina. Chaque fois que je croisais son frère, Richard, je rêvais d’être comme lui: acteur connu, reconnu, populaire… J’y suis arrivé, mais je n’imaginais pas que cela soit si long. La route n’était pas tracée, et j’ai emprunté beaucoup de déviations: la radio, la télé, le théâtre, avec Olivier, où on s’est ramassés… Je prends donc tout naturellement ce qui arrive actuellement comme une victoire.

Vous avez mis en scène votre premier long-métrage. Mais on ne devient pas réalisateur sous le seul prétexte qu’on est connu…
Non. D’ailleurs, je ne m’en sentais pas capable. Et puis j’ai reçu un scénario d’Anne Valton et de Luc Chaumar, dont j’adorais l’idée (une mère, fatiguée par son fils qui fantasme sur un père absent, paie un comédien pour jouer celui-ci et le désacraliser), mais pas le développement. Mon épouse, Emmanuelle Cosso-Merad, a retravaillé le script à la maison et me consultait régulièrement. Des images me venaient en tête. C’était la première fois que cela m’arrivait. Je suis allé voir la production, Pathé, qui cherchait un réalisateur pour le projet, et je leur ai dit que j’étais intéressé. Je leur ai parlé longtemps, comme un mec qui cherche du boulot. Et je les ai convaincus. Ils ont compris que ce n’était pas une coquetterie, mais quelque chose de très personnel.

Au cinéma, vous touchez environ 1 million d’euros par film. Est-ce pour garder les pieds sur terre que vous vous frottez, au théâtre, à une comédie musicale, où vous serez forcément moins payé?
Il est certain que j’y prendrai plus de plaisir que d’argent. Mais l’argent n’est pas mon obsession. J’adapte ma façon de vivre en fonction du métier, pas l’inverse. Même si très bien gagner sa vie n’est évidemment pas désagréable.

Mais, au rythme où vous travaillez, vous ne devez plus avoir une minute pour votre famille…
Mon fils et ma femme m’accompagnent sur tous les tournages en province. Et j’emmène mon fils à la maternelle plus souvent qu’on ne le pense. Je ne suis pas friand de mondanités, je ne cours pas les soirées où on vous offre le dernier téléphone mobile à la mode. Ma vie est très sage et tourne surtout autour de ma femme et de mon fils.

Et de votre travail, quand même! Au mois de février, L’Express évoquait une réunion entre des attachés de presse et votre agent pour imaginer une gestion cohérente de votre surprésence dans les médias.
Ce que je remets en question, dans cet article, c’est la question qui était posée: « Kad Merad en fait-il trop? » Je ne suis pas un acteur qui en fait trop, mais qui estime avoir de la chance de travailler et qui espère continuer. Depuis quelque temps, le rythme est soutenu, je l’admets. Même ma femme me le dit. Mais j’adore ça! Si je ne bosse pas, je m’ennuie. Et, encore une fois, il y a des choses qui ne se refusent pas. Je ne peux pas dire non à Daniel Auteuil qui me demande de jouer dans La Fille du puisatier. Ni à Richard Berry qui me propose un rôle nouveau pour moi, celui d’un méchant, dans L’Immortel. Je ne travaille pas trop, mais beaucoup.

C’est comme si vous disiez manger beaucoup de chocolat parce que vous aimez cela. Mais vous n’êtes pas à l’abri d’une crise de foie…
C’est possible. Il y a des films moins bons, évidemment. Et ma grande angoisse est de lasser le public. C’est pourquoi j’essaie de me diversifier. Mais, plus que la lassitude, je redoute l’oubli. Si je me fais rare, je crains d’être remplacé. Autrefois, Fernandel, Bourvil et les autres enchaînaient les rôles, et cela ne choquait personne. Je me considère comme un type allant tous les jours au boulot. La différence, c’est qu’aujourd’hui, entre les 150 chaînes de télévision et Internet, je me retrouve vite partout. C’est cette surprésence souvent involontaire qui lasse, pas le fait de tourner beaucoup de films. Je ne force personne à aller au cinéma. Et je suis bien obligé, vis-à-vis des producteurs et du metteur en scène du film, d’assurer un minimum de promotion. Alors que faire?

Vous économiser. Par exemple, un film comme Protéger et servir (sorti en février 2010) était-il vraiment indispensable?
Peut-être pas, mais je me suis amusé à le faire. Travailler avec Clovis Cornillac est un vrai plaisir. Je considère le métier d’acteur comme un métier de partage et de rencontres. Je ne vais pas me limiter aux oeuvres nobles ou engagées. Oui, il y a des films que j’ai tournés et dont je pouvais me passer. Protéger et servir, RTT… Mais RTT,c’était un film d’aventures réalisé à Miami avec Mélanie Doutey. Ça se refuse? Non.

Sauf qu’un film comme RTT coûte beaucoup d’argent et ne fait pas assez d’entrées en salles pour être rentable.
Vous voulez dire que j’ai une responsabilité morale? Peut-être. Mais bientôt vous allez me dire que si je refuse un projet, je suis aussi responsable du chômage de tous ceux qui devaient travailler sur le film. Il ne faut pas exagérer, non plus! Et puis vous donnez l’impression que j’accepte tout! C’est faux. Je ne me constitue pas un tableau de chasse. Je n’accepte que les projets qui me plaisent. Quatre par an, en moyenne. Et moins à partir de septembre, à cause du théâtre. Ma situation n’est pas si confortable qu’on pourrait le penser. Ne croyez pas que je sois parano, car j’insiste: dans ce métier, on vous remplace vite et tenir n’est pas une mince affaire. Je m’évertue donc à surprendre, à prouver que ma présence dans des films à succès n’est pas due au hasard. Je suis comme tous les acteurs: je veux créer le désir d’un metteur en scène. Pour l’instant, c’est le cas. Il arrivera un jour où je vieillirai, et ce sera moins facile. En attendant, je profite.

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Entretien par Christophe Carrière

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