John Cameron Mitchell, rencontre du troisième type

Nicole Kidman, grande prêtresse punk dans How to Talk to Girls at Parties. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

John Cameron Mitchell, le réalisateur de Shortbus, filme la rencontre entre un jeune punk et une alien dans le Londres de 1977. Un must délirant et jubilatoire, à découvrir au Bifff…

Un titre qui n’aurait pas déparé au répertoire des Undertones, et John Cameron Mitchell, le réalisateur de Hedwig and the Angry Inch, aux commandes: How to Talk to Girls at Parties comptait forcément parmi les curiosités les plus attendues du dernier Festival de Cannes. Pour se révéler, à l’autopsie, l’un des films les plus enthousiasmants vus sur la Croisette, une bouffée d’exubérance décalée à rebours de l’humeur ambiante. Après une incursion, réussie au demeurant, dans l’orthodoxie indé le temps de Rabbit Hole, Mitchell revient à l’excentricité qui a fait de lui, parmi d’autres qualités, une icône du cinéma queer. Un modèle certifié du Hedwig susnommé -comédie musicale autour d’une rock star transsexuelle est-allemande poursuivant son ex-amant ayant plagié ses chansons- à Shortbus, décryptage sexuellement libéré des comportements amoureux.

How to Talk to Girls at Parties voit le cinéaste texan mettre en scène, dans le Londres de 1977, la rencontre entre un jeune punk de banlieue (Alex Sharp) et une belle extraterrestre (Elle Fanning), leurs univers se confondant bientôt dans un délire fluo euphorisant, tandis que le récit initiatique emprunte des chemins hautement improbables au détour desquels l’on croise notamment Nicole Kidman en reine punk de la nuit de Croydon; pas la plus allumée des visions de l’auteur au demeurant… Rencontré sur une terrasse surplombant la Croisette quelques heures avant qu’il n’officie comme DJ à la queer night organisée au pavillon américain, Mitchell ne s’avère guère moins extravagant que ses films. Le réalisateur était en terrain connu (et conquis) à Cannes, où il présentait Shortbus lors d’une mémorable séance de minuit en 2006. How to Talk… était pour sa part sélectionné hors compétition, ce qui lui convient du reste fort bien: « C’était mon souhait. Si le film s’était retrouvé en compétition, il aurait fallu qu’il se termine sur un horrible suicide ou je ne sais quelle théorie (rires) . Je ne suis de toute façon pas friand de compétition, je n’y crois pas et je n’aime pas comparer. À l’école, déjà, j’étais toujours le type en dehors, j’avais bien quelques amis mais je n’ai jamais voulu jouer le jeu. Ce qui est aussi la raison pour laquelle je n’ai jamais tourné de gros film hollywoodiens. J’ai eu de nombreuses propositions après Hedwig , mais je savais qu’avec l’argent viendraient les problèmes. J’ai donc préféré tourner Shortbus et faire un film dont je sois fier, repousser les limites plutôt que nourrir la bête… »

Défier les normes

Si John Cameron Mitchell n’est pas resté inactif depuis, réalisant Rabbit Hole, avec Nicole Kidman déjà, d’après une pièce de David Lindsay-Abaire, jouant pour d’autres (dans la série Girls notamment) et montant des productions à Broadway, voici son film le plus personnel depuis des lustres. « Avec l’effondrement économique de 2008, des distributeurs sont passés à la trappe, les gens ont pris moins de risques, l’argent a commencé à manquer. Et cela a en outre coïncidé avec la mort du DVD, générateur de revenus. Faire de petits films est devenu difficile, d’autant plus que je ne voulais pas faire n’importe quoi. Il fallait que l’histoire m’appartienne, que je jouisse de la liberté créative et d’un budget adapté. » Conditions réunies donc par How to Talk to Girls at Parties, adapté d’une nouvelle de Neil Gaiman entièrement remodelée par ses soins: « Howard Gertler, le producteur de Shortbus , m’a soumis le projet, que j’ai trouvé intéressant. Je pouvais y apporter ma touche personnelle, appréciant le punk et l’idée qu’il puisse nous être nécessaire. Réunir le financement n’a toutefois pas été facile, encore moins en gardant le final cut. L’arrivée de Nicole a simplifié les choses… » Parmi d’autres choses, le film célèbre les vertus du punk comme courant tant musical que philosophique, une culture que ne pouvait qu’embrasser le réalisateur: « Je suis passé à côté du punk adolescent. Je vivais alors en Grande-Bretagne, à l’époque glam, et Bowie a eu une importance prépondérante pour moi. Ce n’est qu’après avoir fait mon coming out à l’université que j’ai vraiment commencé à apprécier le punk. J’ai réalisé après m’être libéré sexuellement qu’être queer et punk était lié: il s’agissait d’expression de soi, de briser la conformité, se trouver, être politique à l’occasion et défier les normes… » En quoi Mitchell est assurément passé maître, ce dont son cinéma, à l’abri de toute tentative de formatage, est le reflet éloquent, que l’on jurerait encore répondre aux préceptes du do it yourself: « Les nouvelles technologies ont amené plus de flexibilité, si l’on considère qu’un film comme Tangerine a été tourné avec un iPhone, par exemple. C’est du DIY mais pas tout à fait au sens de 1977. Nous avons pensé tourner en 16mm, mais les coûts étaient excessifs et nous avons dû nous reporter sur le digital, tout en cadrant de façon à ce que l’ensemble ait l’air moins net. Je ne voulais pas pour autant aborder les années 70 de manière fétichiste, parce que ce film s’adresse avant tout aux jeunes d’aujourd’hui. Ce n’est pas un documentaire, je ne suis pas Ken Loach si vous voyez ce que je veux dire. J’ai plutôt pensé à des films comme Sammie and Rosie Get Laid , My Beautiful Laundrette ou The Buddha of Suburbia , dans ce Londres où l’on avait l’impression que tout pouvait arriver, avec ce cocktail d’espoir et d’étrangeté, mais sans fétichisme aucun… » En toute liberté, en somme…

How to Talk to Girls at Parties, le 06/04 à 18h30 au Bifff, Bozar, Bruxelles.

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