Laurent Raphaël

Joachim Lafosse, rédac’ chef de Focus

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Après Jaco Van Dormael ou Dominique A, c’est au tour du réalisateur Joachim Lafosse de s’asseoir dans le fauteuil de rédacteur en chef de Focus. Son nouveau film Les Chevaliers blancs -le premier après A perdre la raison qui l’a vu accéder à une forme de maturité artistique- sort le 27 janvier.

Comme tout le monde, Joachim Lafosse a vécu un mois de décembre un peu chahuté. Mais contrairement à la majorité qui s’est rangée sans broncher derrière le couvre-feu imposé par le gouvernement au nom du principe de précaution, il appelle à un sursaut, à refuser de se laisser dicter sa conscience par la peur et l’émotion. « Au lieu de mettre des militaires dans les rues, il faut ouvrir les musées et offrir des verres dans les cafés, plaide-t-il avec véhémence. Je ne suis pas horrifié par la décision du politique. Je suis horrifié par le fait que personne ne soit sorti dans les rues. On est des moutons. Moi y compris. Sur le moment, je me suis contenté d’écrire: « On a perdu. » D’accord, on a peur. Peur du drame, de l’horreur. Mais doit-on tout avaler pour autant? Ce n’est pas en mettant des paras dans les rues qu’on arrête les terroristes. C’est en allant à l’école, en allant voir de la culture, en montrant les documentaires de Safia Kessas -réalisatrice pour Tout ça (ne nous rendra pas le Congo), NDLR- dans les classes. Je trouve qu’on a été silencieux. On n’est plus très résistants de nos jours. Il faudrait relire Camus. Je ne vois plus surgir la révolte quand nos valeurs sont piétinées. »

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La faute à qui selon lui? « A la dictature de l’émotion qui réduit tout à des questions simplistes. La Belgique est fondamentalement populiste. Il ne faut pas oublier que les Le Pen et autres ont notamment été biberonnés aux discours de Degrelle. On a perdu le sens de la complexité et de l’esprit critique. On ferait mieux parfois de s’inspirer de la culture du débat de nos voisins français. Je vais passer pour un provocateur mais tant pis: on s’est beaucoup vantés d’être plus évolués que les Français sur la question du mariage homosexuel. Mais c’est juste parce qu’on ne savait même pas que la loi était passée. Tout le monde s’en fout. En France, le sujet a fait des vagues, divisé la société, mais au moins on sait ce que les gens pensent. Ici on gobe tout, on ne dit plus rien quand la justice est maltraitée, quand on crée des commissions d’enquête et qu’on juge les gens à la télé, quand on ferme les écoles et qu’on déploie les troupes avant que la moindre bombe n’ait explosé. Pour moi, ce manque de réaction est très belge. Même si c’est terrible à dire. »

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Après Jaco Van Dormael ou Dominique A, c’est au tour du réalisateur Joachim Lafosse de s’asseoir dans le fauteuil de rédacteur enchef de Focus. Si la sortie de son nouveau film Les Chevaliers blancs -le premier après A perdre la raison qui l’a vu accéder à une forme de maturité artistique- a été l’élément déclencheur, nous nous doutions qu’en ces temps troublés, cet homme qui n’hésite pas à se frotter à son époque et aux sujets sensibles aurait des choses à dire. Nous n’avons pas été déçus. Malgré un marathon promo, il a trouvé le temps de nous recevoir longuement chez lui, dans ce salon-bureau-salle de jeu cosy où le mobilier vintage sert d’autel aux grands noms du cinéma, de Truffaut à Spielberg en passant par Bergman. Elève libre mais néanmoins appliqué, le néo-Forestois a respecté à la lettre le scénario pour ce genre d’exercice, à savoir suggérer un ou plusieurs sujets qu’il voulait voir traiter dans « son » magazine (ce sera l’enquête sur le Pathé Palace et le portraitde Dany Habran); faire la critique de l’album, du DVD et du roman que nous lui avions préalablement envoyés; et enfin dispenser ses commentaires à chaud sur les autres temps forts de l’actualité. De quoi l’amene rsur tous les terrains, dont certains glissants,et mesurer à la fois l’étendue de sa curiosité et la cohérence d’un questionnement moral permanent qui ne cherche pas à juger ou asséner sa vérité, mais plutôt à débusquer les ornières de notre fragile et humaine condition,jusqu’au malaise s’il le faut. Une démarche intègre et radicale dont son cinéma à vif, depuis Folie privée, rend compte avecune audace fiévreuse. Si vous n’aimez pas être dérangés dans vos petites certitudes, passez votre chemin…

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