Jean-Pascal Zadi s’essaie à la conquête spatiale: «Forcément, ça ne fonctionne que si on n’épargne personne»

Jean-Pascal Zadi mène un équipage panafricain à la conquête de l’espace dans Le Grand Déplacement.

Jean-Pascal Zadi chausse à nouveau sa casquette d’acteur-réalisateur pour Le Grand Déplacement, film d’aventure spatiale épique revu et corrigé dans une perspective panafricaniste.

Eté 2020. Le cinéma français sort exsangue du premier confinement. Les exploitants font grise mine et le public hésite à se réfugier dans les salles obscures. Sorti le 9 juillet, Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi vient réveiller un box-office échaudé par le virus. Il faut dire que le film coche au moins deux cases: 1) il a le bon goût de faire rire, 2) il aborde de manière hyperfrontale un sujet en plein dans l’actualité: être noir en France.

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De façon résolument décomplexée, l’auteur, réalisateur et acteur lève les tabous et trouve un terrain de jeu qui fait merveille avec le mockumentary. Incarné à la première personne, avec des airs d’autobiographie, le film contribue à croquer un personnage de gars sans filtre qui dit tout ce qui lui passe par la tête. Pas méchant, mais spectaculairement maladroit. Ce personnage, il va le développer dans la série Netflix En place, qui met en scène un animateur de banlieue qui devient président.

Aujourd’hui, il en propose un nouvel avatar dans Le Grand Déplacement, où il interprète un «Black Maverick», pilote de chasse intrépide mais un peu gênant, qui prend malgré lui, ou plutôt malgré les autres, le commandement d’une mission d’exploration spatiale. «Pierre Blé, c’est le personnage que je trimballe un peu partout, confie le réalisateur. Je suis ivoirien par mes parents, et normand de culture, je suis entre deux histoires. C’est peut-être pour ça que j’aime mettre les pieds dans le plat. J’aime ces personnages qui ne disent pas les bonnes choses, ni au bon moment ni de la bonne manière. Et ce que j’aime peut-être plus encore, ce sont les réactions des autres, les silences.»

«Faire de la science-fiction avec un nouveau point de vue, africain et écologique. Si on m’avait proposé ça quand j’étais ado, je serais devenu dingue.»

Comme dans Tout simplement noir, Zadi n’hésite pas à enfiler les clichés comme des perles, pour mieux les questionner, voire les pulvériser. L’humour est grinçant, et gratte bien comme il faut, et partout. «Je teste les limites. J’aime bien aller dans des endroits où on n’a pas trop été, et donc, oui, on parle islamisme, paresse, métissage, nationalisme, mais aussi excision, colonisation, ou parentalité antillaise. Forcément, ça ne fonctionne que si on n’épargne personne. Si on va tout le temps dans le même sens, on devient BFM ou CNews.» L’autre point commun avec Tout simplement noir, c’est que le casting du film est presque 100% noir, ce qui est clairement disruptif dans le contexte du cinéma français, qui reste plus que majoritairement blanc. «Ce n’est pas une volonté de ma part, c’est juste que dans mon histoire, les héros sont africains. Vous n’avez pas idée du nombre de messages « T’en as pas marre de faire des films communautaristes avec que des Noirs? » Mais moi, j’aimerais bien savoir pourquoi on ne demande pas aux autres réalisateurs français pourquoi il n’y a que des Blancs dans leurs films.»

Ça, ce sont pour les points communs entre les deux films. Parce qu’avec Le Grand Déplacement, Jean-Pascal Zadi a voulu s’essayer à d’autres genres de cinéma. «Evidemment, il y a de la comédie dans le film, parce que c’est mon langage, mais ce n’est pas le seul registre que je veux explorer. La comédie est un bon médium pour faire passer des messages, mais un film d’exploration spatiale où il n’y aurait eu que des blagues, ce n’est pas ce que j’avais en tête. Je voulais qu’il y ait de l’aventure, qu’on ait peur pour la mission, que ce ne soit pas facile d’y arriver. Le Grand Déplacement, c’est vraiment le film que j’aurais voulu voir quand j’avais 14 ans. Donc, j’avais en tête un public jeune, et je sais qu’une comédie n’aurait pas suffi à lui parler. Ce qui réside au cœur du film, c’est l’envie de créer de nouveaux récits et de nouveaux héros, de développer de nouveaux imaginaires. Faire de la science-fiction avec un nouveau point de vue, africain et écologique. Si on m’avait proposé ça quand j’étais ado, je serais devenu dingue. Pour moi, le cinéma, ça devrait être ça: regarder des histoires qu’on n’aurait pas imaginées, avec des héros qu’on n’aurait pas imaginés, et des mondes qu’on n’aurait pas imaginés.»

Mais ces mondes justement, il a fallu les concevoir, et le cinéaste s’y est beaucoup investi. «D’habitude, je déteste la préparation, mais là, c’était hyperexcitant. Ce qui était passionnant, c’était qu’il y avait tout un univers à créer, on n’avait pas de modèle d’aventure spatiale africaine. Je voulais m’éloigner des références classiques occidentales, Star Wars, Interstellar, Alien, qui ont infiltré nos inconscients, même si c’est très dur de s’en affranchir. Les premières maquettes y faisaient d’ailleurs beaucoup penser, mais j’ai voulu changer les lumières, les couleurs. Je voulais du marron, du bordeaux, de l’orange. On s’est inspirés aussi du peuple dogon, qui avait des connaissances très avancées sur l’espace. On a d’ailleurs retrouvé récemment des observatoires dogons. Et puis, il y avait toute cette architecture brutaliste qu’on trouve notamment dans les capitales francophones africaines, comme Abidjan, qui était très inspirante, j’avais envie d’y rendre hommage. Enfin, je voulais soigner les VFX. Il n’était pas question de faire honte à mes astronautes africains avec des effets spéciaux cheap!»

On comprend bien la motivation: faire un film d’aventure spatiale endossé et incarné par des Africains, revisiter en décalant le regard. Mais finalement, d’où vient cette envie d’espace? «Une nuit où je n’arrivais pas à trouver le sommeil, je suis tombé sur une vidéo d’un scientifique qui disait en résumé que l’humanité irait sûrement un jour sur une autre planète, que les moyens techniques seraient bientôt là, mais que la vraie inconnue restait le facteur humain. Et je me suis dit que c’était complètement dingue que ce qui nous empêche, notre seul vrai problème, c’est de nous entendre. On fait face à tellement de défis, et au lieu de travailler ensemble, on est incapables de communiquer. La solution semble à portée de main, et pourtant elle nous échappe. Toute la complexité de l’humanité me semblait contenue dans ce paradoxe. C’est là que je me suis dit que je pourrais très concrètement essayer d’illustrer ce point de vue, avec un équipage composé d’astronautes africains, en posant des questions qui me passionnent. J’avais mon film.»

Le Grand Déplacement

Comédie / film d’aventure de Jean-Pascal Zadi. Avec Jean-Pascal Zadi, Fary, Fadily Camara. 1h23.

La cote de Focus: 3/5

«L’Afrique, c’est maintenant.» Ça ressemble à un slogan, et c’est à tout le moins un programme, celui du film, et celui de l’Unia, l’Agence spatiale africaine qui décide d’accélérer le tempo pour envoyer une mission de reconnaissance sur la planète Nardal. Parce que si les Occidentaux ferment déjà les portes sur Terre, ils ne risquent pas de les ouvrir dans l’espace. Emmené par un pilote intrépide mais douloureusement sans filtre, l’équipage panafricain va devoir surmonter un certain nombre d’obstacles: arrimage périlleux, pluie d’astéroïdes et relations humaines chaotiques. Le Grand Déplacement est une comédie d’aventure spatiale, et si on s’attendait à un festival de punchlines (et l’irrévérence de Zadi n’a pas faibli), on s’attendait moins au côté épique de l’affaire, très soigné, mais qui prend souvent le pas sur la caractérisation de personnages au potentiel pourtant savoureux.

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