James Gray: « Le problème des festivals, c’est qu’ils sont trop souvent en quête d’une audace de surface »
Il y a tout juste quelques mois, en pleine post-production d’Ad Astra, James Gray acceptait de nous parler de ses doutes, de Brad Pitt, de son rapport à la science-fiction et, plus encore, de sa conception du cinéma. Morceaux choisis à l’occasion de la sortie du film.
James Gray s’aventurant sur le terrain cosmique de la science-fiction? Il y avait là de quoi être intrigué, à tout le moins. En décembre dernier, alors en pleine post-production d’Ad Astra (lire la critique), le génial réalisateur de Little Odessa, The Yards ou encore Two Lovers s’accordait un break en présidant le jury du Festival International du Film de Marrakech. Éreinté, en proie au doute, il s’y livrait à l’exercice délicat de l’interview sans que ni lui ni, a fortiori, le journaliste n’ait vu l’objet finalisé. À l’aveugle, donc, mais en toute sincérité. « La post-production d’un film de science-fiction est quelque chose de très usant, soupirait-il alors dans un sourire pincé. Le tournage entre l’Europe et la jungle amazonienne de The Lost City of Z, mon précédent film, avait été exténuant. Assez naïvement, je pensais que ce serait moins rude, cette fois, physiquement parlant. Il n’en est rien. Concrètement, j’en suis arrivé à l’étape où je passe douze à quinze heures par jour assis dans une salle de projection pour superviser des centaines de plans avec un pointeur laser. « Bon… Il y a un peu de magenta dans le coin de cette image et j’ajouterais un poil de réflexion sur le bord, également… Plan suivant! » C’est complètement abrutissant, mais c’est aussi vraiment déterminant. Quand vous voyez un film de SF très faible visuellement, c’est souvent parce que la post-production a été bâclée. »
Pour Ad Astra, c’est la première fois que Gray travaillait avec Brad Pitt devant la caméra. « J’avais fait The Lost City of Z avec sa boîte de production, Plan B Entertainment. Dans la foulée, il m’a très naturellement demandé: « Qu’est-ce que tu veux faire après ce film? » Je lui ai parlé de ce projet de science-fiction que j’avais dans mes cartons, et il m’a dit: « Je veux en être. » C’est aussi simple que ça (sourire). Je n’ai aucune idée de la manière dont le monde va recevoir ce film, ces choses sont toujours impossibles à prédire, mais je peux vous assurer, par contre, qu’il y est vraiment formidable. Il a mis énormément d’engagement personnel dans ce rôle. » Mais les liens entre The Lost City of Z et Ad Astra ne s’arrêtent pas là, les deux films partageant un motif central commun, la figure d’un fils qui grandit dans l’ombre parfois écrasante de son père… « En un sens, mes deux derniers films peuvent être envisagés comme les deux faces d’une même pièce, oui. Mais je ne dirais pas non plus que ça relève d’un plan intentionnel. À travers chacun de mes longs métrages, j’essaie avant tout de raconter une histoire qui pourrait résonner de la manière la plus honnête et personnelle qui soit. Dans le même ordre d’idée, on me demande souvent quel est mon rapport à la science-fiction. Mon motto est le suivant: quand je réalise un film de genre, j’essaie de penser le moins possible aux codes du genre que je choisis d’investir. Mais le fait est que les critiques et les spectateurs ont constamment ces codes en tête. Donc peut-être que j’ai tort de fonctionner comme ça. Je ne sais pas. Moi, je ne veux en aucun cas me retrouver coincé par des tropes imposés. Je souhaite simplement que le film terminé soit le plus proche de ce que je cherche profondément à exprimer. Drame ou science-fiction? Peu importe l’étiquette que vous choisissez d’y apposer à l’arrivée. »
Ne pas réinventer la roue
Originellement annoncé pour mai, et très fortement pressenti pour le festival de Cannes, Ad Astra ne déboule donc finalement sur les écrans qu’en cette rentrée de septembre, dans la foulée de sa présentation à la Mostra. Sans doute le film n’était-il tout simplement pas prêt pour mai? On sait aussi que, ces dernières années, les studios américains aiment à se servir de Venise comme d’un luxueux tremplin pour la course aux Oscars. Mais James Gray a également d’évidence un oeuf à peler avec Cannes, où il a pourtant présenté quatre de ses films en compétition. En cause? L’accueil douloureux réservé à The Immigrant en 2013. « Cannes représente quelque chose de vraiment très complexe… Déjà, je pense que la plupart des gens qui vont là-bas voir des films suivent un agenda impossible qui ne leur permet pas d’absorber les oeuvres émotionnellement. J’y ai fait partie du jury, je sais de quoi je parle. En ce qui me concerne, et tant pis si ça peut sembler arrogant, je préfère laisser le temps juger. Je pense que mes films tiennent bien le choc des années. On ne peut de toute évidence pas en dire autant d’un certain nombre d’oeuvres primées à Cannes (sourire)… Le problème de ces festivals, selon moi, c’est qu’ils sont trop souvent en quête d’une audace de surface. Vous pouvez distinguer les « qualités » nécessaires pour y briller à des kilomètres. Le filmage caméra à l’épaule, par exemple… Je ne dis pas que tout ce qui est filmé caméra à l’épaule est mauvais, bien sûr. Je trouve que les frères Dardenne sont brillants, par exemple. Ce que je dis, c’est qu’il y a un langage très spécifique qui est accepté et récompensé à Cannes. Et quand vous arrivez avec un film éclairé par Darius Khondji et dont l’histoire peut sembler très classique, eh bien vous dénotez complètement. Pour faire court, cette année-là c’était moi tout seul tentant de faire du Puccini au milieu d’un champ de films obsédés par une grammaire développée à la fin des années 60. » Et Gray, visiblement bien remonté, d’encore ajouter: « La perception du classicisme aujourd’hui est bien souvent complètement erronée. Une narration fragmentée n’est pas un gage de modernité. Et encore moins un gage de qualité. Il faut se pencher attentivement sur ce qu’un film cherche à exprimer pour pouvoir décréter qu’il est conservateur ou pas. Pour moi, essayer constamment de révolutionner le médium dénote un manque flagrant de sincérité. Si vous avez la prétention de penser que vous pouvez réinventer la roue, c’est probablement que vous n’en valez pas la peine. »
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