Isabelle Huppert est «la femme la plus riche du monde» dans le film de Thierry Klifa, adaptation très libre et officieuse de l’affaire Bettencourt, qui opposa Liliane Bettencourt, première actionnaire du groupe L’Oréal, au photographe François-Marie Banier.
La Femme la plus riche du monde
Comédie dramatique de Thierry Klifa. Avec Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Marina Foïs. 2h02.
La cote de Focus: 2,5/5
Lorsqu’il réalise La Femme la plus riche du monde, Thierry Klifa a sans doute des œuvres comme Succession en tête: des histoires tragi-comiques où le drame intime d’une famille se conjugue à un regard satirique sur les puissants et leurs excès. Hélas, si les interprètes se plient avec panache à cette pantalonnade –le cabotinage de Laurent Lafitte amuse beaucoup–, l’écriture ne parvient pas toujours à jongler avec ces diverses tonalités. Très sérieux dans sa tragédie, et assez complaisant avec ses milliardaires pourtant ineptes, le film finit par se révéler in fine trop sage et poli pour son sujet, qui méritait plus de mordant. Souvent plaisant, La Femme la plus riche du monde laisse l’impression d’une occasion un peu manquée, faute de positionnement radical de la part de son cinéaste.
J.D.P.
Dès l’écriture du scénario, Thierry Klifa savait qu’il désirait Isabelle Huppert dans le rôle de Marianne Ferrère, alter ego fictionnelle (et plus jeune) de Liliane Bettencourt. L’actrice s’explique sur la genèse du projet, et la manière dont elle a été approchée par le cinéaste: «J’attendais le scénario pour me décider à faire le film ou non. Même s’il me l’avait raconté, j’avais besoin du script en entier pour éprouver toute la saveur des dialogues, de ce ton qui allait de la cruauté au cynisme en passant par un humour décapant. Et surtout, le scénario racontait en quoi le projet était singulier: il prend cette histoire par le début.»
Pour la plupart des gens, l’affaire Bettencourt n’est qu’un scandale de plus, une énième curiosité alimentée par les tabloïds, fascinés par le vertige de ces vies complètement hors-sol –tout de même, on estime que Liliane Bettencourt aurait donné près d’un milliard d’euros à François-Marie Banier entre 1997 et 2010. Mais pour Isabelle Huppert, l’intelligence du long métrage tient justement à sa faculté d’échapper à un simple compte rendu des événements: «Le film donne à voir quelque chose d’inédit. On a tous entendu parler de ce qui était arrivé à cette femme, mais jamais de comment étaient ces personnes au moment où elles se sont rencontrées, de tout ce qui les a unies à cet instant. L’humour et le plaisir. Ce n’est pas qu’une histoire de prédateur et de victime, les choses sont plus nuancées que cela. C’est aussi un récit à propos du plaisir de cette femme de finalement laisser libre cours à sa drôlerie, à son sens de la joie. Le film traite vraiment des prémices de ce drame, tout ce qui se passe avant qu’elle soit éloignée de sa famille de manière définitive.» Un angle intime, qui permet d’appréhender ces événements sous un jour nouveau. «Chaque personnage est progressivement ramené à sa solitude, et on comprend qu’on est face à une tragédie familiale.»
«On a tous entendu parler de ce qui était arrivé à cette femme, mais jamais de comment étaient ces personnes au moment où elles se sont rencontrées
Une tragédie largement romancée par le scénario de Thierry Klifa, qui assume s’être inspiré de l’affaire sans en avoir fait une adaptation littérale, pour ne pas s’imposer de verrous narratifs. Isabelle Huppert reconnaît d’ailleurs qu’en termes d’interprétation, elle n’a jamais tenté de se rapprocher des manières ou de la prosodie de Liliane Bettencourt. «Je ne me suis pas du tout inspirée d’elle. C’est une femme qu’on n’a connue médiatiquement que vers la fin de sa vie, mais avant cela, elle nous était inconnue. Pour créer mon personnage, je m’en suis tenue au scénario.» Une prestation tout en extravagance, comme Isabelle Huppert se plaît à le jouer régulièrement ces dernières années, même si on sent dans le personnage de Marianne Ferrère une candeur, une vulnérabilité assez nouvelle. En face d’elle, ou plutôt autour d’elle étant donné la manière dont il gravite constamment dans son environnement proche, Laurent Lafitte pousse la caricature bourgeoise et vulgaire au plus haut degré, s’amusant visiblement comme un petit fou dans ce rôle de vautour fantasque jamais rassasié.
Outre le récit de Liliane Bettencourt et de François-Marie Banier, le film donne à voir un microcosme, un groupe, issu d’une bourgeoisie si supérieure à la norme qu’elle en devient intangible. «Ces gens vivent dans une réalité qu’on ne peut pas imaginer, qui est en dehors de tout. Ce sont les personnes les plus riches du monde. On voit donc les produits de ce quotidien proprement irréel», poursuit Isabelle Huppert. Des figures de milliardaires qui suscitent davantage de répulsion que de fascination, surtout à notre époque.
En cela, le film de Thierry Klifa a le mérite de revenir sur les origines sombres de la fortune des Bettencourt, bâtie sur les cendres de l’antisémitisme et de la collaboration lors de la Seconde Guerre mondiale –un peu comme un certain parti d’extrême droite très en forme ces dernières années en France. Le parallèle n’est évidemment pas gratuit, dans la mesure où le film arrive dans un contexte politique où ces questions resurgissent, même si Isabelle Huppert tempère cette dimension idéologique: «Le film ne s’appesantit pas vraiment sur cet aspect-là; il est davantage utilisé comme un ressort dramatique, pour montrer que la relation entre elle et Pierre survit à ce rappel très violent de l’ombre qui plane sur la famille de son mari…»

Et après? Isabelle Huppert, toujours impliquée dans une multitude de projets au même moment, semble observer le futur avec sérénité et confiance, jamais en panne de motivation. «Il y a encore tellement d’autres grands cinéastes avec lesquels j’aimerais tourner. Là, je viens de terminer un film d’Asghar Farhadi, un autre avec Marc Fitoussi. Les cinéastes sont là, il suffit de les trouver.»
Les autres sorties ciné de la semaine
Mother
Biopic/ drame de Teona Strungar Mitevska. Avec Noomi Rapace, Sylvia Hoeks, Nikola Ristanovski. 1h43.
La cote de Focus: 4/5
Avec Mother, Teona Strungar Mitevska balaie du revers de la main toute tentation d’offrir au monde un énième biopic compassé, et fait de Mère Teresa non pas une sainte, mais une icône punk furieusement intemporelle. Calcutta, 1948, Teresa attend fébrilement l’autorisation de quitter les Sœurs de Lorette pour fonder sa propre congrégation. Alors qu’elle a déjà choisi sœur Agnès pour la remplacer, celle-ci contrecarre ses plans en lui avouant être enceinte. Teresa est mise face à ses contradictions, sa volonté farouche d’aider son prochain, dans le dénuement et le sacrifice, et son ambition dévorante. Mother plonge alors le spectateur dans les tourments intérieurs de Teresa, figure complexe mue par une volonté coriace et une mission peut-être plus terrestre que divine, incarnée avec une ferveur quasi mystique par Noomi Rapace.
A.E.
Les Braises
Drame social de Thomas Kruithof. Avec Virginie Efira, Arieh Worthalter, Mama Prassinos. 1h42.
La cote de Focus: 4/5
Karine est ouvrière, Jimmy possède une petite entreprise de transport. Vingt ans de vie commune, de joies et de galères partagées. Quand se lève dans le pays un vent de contestation contre la hausse des prix, Karine se joint au mouvement. La mère de famille exemplaire, l’employée modèle, rejoint les ronds points et endosse un gilet jaune, la colère et la passion qui l’accompagnent. Au fil des discussions émerge un élan de solidarité et un collectif, mais les manifestants se heurtent à la répression policière, et à la pression judiciaire. Jimmy, dans un premier temps, préfère s’abstenir, soucieux de faire tourner sa boîte, mais très vite, il se retrouve au pied du mur.
Si le début du mouvement des gilets jaunes remonte déjà à l’automne 2018, le cinéma de fiction commence tout juste à s’y confronter. Ils seront au cœur du prochain film de Dominik Moll, Dossier 137, qui se penche sur la gestion ferme, voire brutale, des manifestations, et sont également au cœur de ce film de Thomas Kruithof, qui choisit de traiter la problématique sous le prisme de l’intime: quel est le coût de l’engagement, le prix à payer pour le couple, la famille? Sa mise en scène, d’une grande sobriété, se place toujours à hauteur d’homme, ou plutôt ici de femme, nous faisant vivre de l’intérieur une révolte en mouvement, qui s’interroge sans cesse quant à ses moyens d’action, et son sens. Avec une belle subtilité, le film observe les répercussions au sein du couple quand les postures personnelles face au monde divergent, un questionnement profondément contemporain dans un monde ultrapolarisé, auquel le cinéaste se garde bien d’apporter une réponse, porté avec conviction par ses interprètes, Virginie Efira, qui revient là où on ne l’attendant pas forcément, et Arieh Worthalter, qui confirme le talent qu’on lui connaît.
A.E.
The Last Viking
Comédie dramatique d’Anders Thomas Jensen. Avec Mads Mikkelsen, Nikolaj Lie Kaas, Lars Brygmann. 1h56.
La cote de Focus: 3/5
Certains synopsis sont plus singuliers que d’autres. Le nouveau film d’Anders Thomas Jensen raconte la quête d’Anker (Nikolaj Lie Kaas), un gangster sans envergure qui tente de retrouver un sac de billets enterré par son frère Manfred (Mads Mikkelsen) dix ans plus tôt… Sauf que ce frère souffre de désordre psychique et se prend pour John Lennon. D’abord réfractaire à son délire, Anker décide d’embrasser l’absurdité de la situation et engage trois autres malades mentaux pour interpréter le reste des Beatles, dans l’espoir que son frère retrouve ses esprits (et l’emplacement de l’argent). Fidèle au style de son auteur, The Last Viking mange à tous les râteliers: comédie loufoque, polar, drame, buddy-movie. Cependant, si le film est régulièrement drôle et inventif dans sa mise en scène, son énergie foutraque finit par contaminer la narration, qui semble courir d’une péripétie rocambolesque à une autre en oubliant dans son trajet la relation entre les deux frères, pourtant le cœur émotionnel du projet.
J.D.P.


