Critique | Cinéma

Holly: le troublant portrait d’adolescente de Fien Troch

4 / 5
Holly (Cathalina Geeraerts), ni sorcière ni sainte. © toon aerts
4 / 5

Titre - Holly

Genre - Drame

Réalisateur-trice - Fien Troch

Casting - Cathalina Geeraerts, Felix Heremans, Greet Verstraete

Sortie - En salles

Durée - 1h42

Critique - Jean-François Pluijgers

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec Holly, la cinéaste belge inscrit dans une petite communauté frappée par une tragédie un récit d’adolescence ultrasensible.

Entre Fien Troch et la Mostra de Venise, il y a désormais une belle histoire, entamée en 2016, lorsque la réalisatrice belge remportait le prix de la mise en scène dans la section “Orizzonti” pour Home. Et poursuivie il y a quelques mois avec la sélection de Holly, son cinquième long métrage, en compétition. C’est donc sur le Lido qu’on retrouvait une cinéaste ne cherchant pas à dissimuler sa joie: “C’est très cliché de dire que c’est un rêve, mais c’est vrai, j’en avais vraiment besoin. J’avais besoin de me dire que j’étais partie dans une nouvelle direction.

Si l’autrice de Unspoken éprouve un tel sentiment de soulagement, c’est donc parce que Holly vient mettre un terme à un silence de sept ans. “Sept ans, c’était beaucoup trop long, et chaque année, le poids devenait plus lourd, surtout après le succès de Home, constate-t-elle. C’était la première fois que j’avais un succès beaucoup plus grand qu’avec mes films précédents, et le problème c’est que j’ai dû ensuite l’accompagner un peu partout, mais aussi que j’en étais tellement fière qu’il m’était difficile de le mettre de côté pour passer à autre chose.” Ajoutez une pression accrue (“On me disait: “C’est le moment, tout le monde t’attend”) et des circonstances externes (le Covid est notamment passé par là), et la voilà en proie au doute. “Je me suis même dit que c’était fini, et que Home avait constitué le climax.

Ni sainte, ni sorcière

Il n’en est fort heureusement rien, Holly venant rappeler qu’il convient parfois de laisser le temps au temps. S’il s’inscrit dans la continuité esthétique de l’œuvre, le film témoigne aussi de la pleine maturité de la cinéaste qui s’y attelle à l’histoire de Holly, 15 ans et en proie à un profond mal-être adolescent. Et tenue à l’écart d’une petite communauté endeuillée par une tragédie, dont l’attitude va changer du tout au tout après que la jeune fille s’est vue prêter le pouvoir étrange de réconforter et apaiser ceux qui l’entourent. “Au début, j’avais l’idée d’une communauté en deuil. Il y avait trop de personnages, ça ne fonctionnait pas, mais l’un d’eux m’intéressait, Holly, parce qu’elle avait ce don dont on ne pouvait pas déterminer directement s’il était vrai. Ce personnage m’intriguait et induisait aussi la question du pourquoi on croit en quelqu’un ou non. Tout le monde émet des doutes, mais veut néanmoins y croire. Je me suis aussi souvenue d’une anecdote: il y a dix ans, quelqu’un m’a raconté que sa fillette avait trouvé son grand-père étendu par terre, après une crise cardiaque, qu’elle était allée chez sa grand-mère et lui avait dit: “Grand-père fait dodo par terre”. Ils l’ont trouvé, il a été sauvé, et on lui en a attribué le mérite. Elle est devenue une héroïne sans comprendre pourquoi, mais elle n’avait pas le choix. Cette histoire est restée en moi. C’est venu de plusieurs directions, j’ai filtré le tout et Holly en est sortie.

Un personnage fascinant, dont Fien Troch a veillé à ne pas esquisser un portrait en noir et blanc: ni la sorcière, ni la sainte que le groupe est alternativement enclin à voir en elle. “C’était important pour moi qu’elle ne soit pas une sainte. C’est une autre personne qui a décrété qu’elle était spéciale. Et elle, ce à quoi elle aspire, c’est à être comme les autres. Elle trouve des moyens pour être comme une fille normale à ses yeux, avoir les bons sneakers, et la veste qui lui permettra d’appartenir à un groupe dont elle n’a jamais fait partie. Ça dit quelque chose de notre société, mais ça ne fait pas d’elle une mauvaise personne: ce n’est pas parce que tu fais le bien que tu dois être pur, genre l’argent ne m’intéresse pas, rien d’autre ne m’intéresse que d’être une bonne personne. Beaucoup de gens se posent la question, et je me la suis posée également, parce qu’elle accepte de l’argent, mais on en accepte pour mille choses: on travaille pour de l’argent. C’est une perception intéressante.

Principe d’incertitude

Sans être le moins du monde une œuvre à thème, Holly est ancré dans un réel où la misère a pignon sur rue, qu’elle soit matérielle -avec notamment la présence, en toile de fond, de migrants laissés, pour l’essentiel, livrés à eux-mêmes- ou encore spirituelle. Et le film, non content d’interroger le rapport aux autres et la notion de faire le bien, questionne aussi la foi, et le besoin de se raccrocher à des croyances ou des “sauveurs” providentiels dans un monde dont le sens se dérobe. Autant dire que ce n’est pas anodin si sa protagoniste se prénomme Holly: “Je l’ai appelée Holly, parce que ça évoquait pour moi une fille gentille et jolie. Après, évidemment, la dimension “holy” s’y est greffée, mais j’ai voulu garder ce nom. Ça me semblait intéressant de donner des éléments, et de montrer que ce potentiel existait.” À charge pour le spectateur d’en décider, le film fonctionnant suivant un stimulant principe d’incertitude, dispensant encore une touche de “surnaturel” au gré de sa forme sinueuse. Manière aussi pour Fien Troch de s’écarter d’un schéma narratif convenu, pour embrasser le monde en mode ultrasensible.

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