« Hell or High Water pose beaucoup de questions sur l’Amérique d’aujourd’hui »

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Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

David Mackenzie, le réalisateur tout-terain de Hallam Foe ou Starred Up, se renouvelle encore le temps d’un brillant western crépusculaire au sous-texte politique, avec Hell or High Water.

Avec ses longs cheveux filasse et son épaisse barbe grisonnante, l’Écossais David Mackenzie semble avoir adopté l’humeur texane qui imprègne son nouveau Hell or High Water, même si l’accent, à couper au couteau, ne trompe évidemment personne. C’est tout le chic de ce cinéaste caméléon, capable aussi bien d’investir le mélo SF (Perfect Sense en 2011) que le drame carcéral brut de décoffrage (Starred Up en 2014). Entre le road-movie et le film de casse, le buddy movie et le film policier, son neuvième long métrage, qui s’attache au destin de deux frères engagés dans une série de braquages à risque afin d’éviter la saisie de la propriété familiale, s’inscrit lui-même à la croisée des chemins, même si c’est sa coloration western qui d’évidence domine.

La fin d’un monde

À cet égard, le titre français du film, Comancheria, est éloquent, qui renvoie à cette région du West Texas, au Nouveau-Mexique, proche des territoires encore occupés par les Comanches au XIXe siècle. Si ces derniers se sont fait voler leurs terres par les hommes blancs, ce sont les banques qui aujourd’hui ont confisqué les biens et y dictent leur loi sans appel. « Le coeur du film est très politique, oui, mais pas partisan. Il pose beaucoup de questions sur l’Amérique d’hier et d’aujourd’hui: les banques, les armes, le pétrole, la justice, l’effritement du lien social, les tensions entre communautés… »

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S’attelant à la chronique viscérale de la fin d’un monde, Mackenzie a compris qu’il devait filmer les paysages comme des visages, les lieux comme des personnages à part entière de son récit crépusculaire hanté par le spectre de la crise. « J’ai passé du temps au Texas avec un ami il y a quelques années. Et j’ai été durablement impressionné par ce mélange de dureté et d’hospitalité qui se dégageait de l’endroit et de ses habitants. Quand j’ai lu le scénario de Taylor Sheridan, il a du coup résonné en moi d’une manière très spéciale. Il était important pour moi de ne pas porter un regard extérieur, d’étranger, sur cette région, mais bien de la faire exister de l’intérieur. Je voulais que mon regard soit le plus assimilable possible à celui d’un vrai Américain.  »

Éclectique et changeant, David Mackenzie n’en semble pas moins vouloir embrasser depuis Starred Up une carrière plus orientée cinéma de genre… « Je me suis toujours méfié du cinéma de genre, je craignais un certain manque d’originalité imposé par des codes très précis. Mais quand j’ai décidé de faire Starred Up, il m’est apparu évident qu’il s’agissait là d’un pur film de prison, et j’ai adoré ça. J’ai réalisé combien il pouvait être passionnant d’investir un genre très particulier tout en y apposant discrètement sa griffe personnelle. À travers l’humour ou une certaine humanité, par exemple. » Ou une méthode de travail privilégiant autant que faire se peut un tournage fidèle à la chronologie du récit et ouvert aux accidents, aux coïncidences. « J’aime l’idée de rester en éveil sur le tournage d’un film, de s’autoriser une certaine liberté, de tenter des choses, d’essayer de les rendre les plus vivantes possible. Jeff Bridges et Gil Birmingham, qui incarnent les rangers remontant la trace des deux frangins braqueurs, jouaient par exemple de la guitare ensemble sur le plateau. En a résulté une complicité particulière qui se ressent à l’écran: leurs échanges doux-amers façon ping-pong humoristique ont en fait été bien souvent improvisés. »

Une affaire de famille

Dédié à la mémoire des parents de Mackenzie, tous les deux décédés durant la confection du film, Hell or High Water raconte au fond avant tout une histoire de transmission et d’héritage, à l’échelle macroscopique des États-Unis aussi bien qu’à celle, intime, de ses protagonistes. « Je suis père moi-même aujourd’hui, et j’ai réalisé combien il était intéressant d’explorer cette piste de la filiation en y rattachant son propre vécu. Les questions qui de tout temps ont travaillé l’humanité trouvent un écho tout à fait spécial en vous quand vous avez des enfants: qu’êtes-vous prêt à faire pour veiller sur les vôtres, jusqu’où iriez-vous pour les protéger? »

La réponse, à l’écran, se solde évidemment dans l’écoulement du sang, mais témoigne également d’une grande empathie pour des (anti)héros résolument borderline. « J’ai toujours été intéressé par les intrigues qui ne sont pas manichéennes. Ce qui m’a plu par-dessus tout dans ce projet, c’est qu’il met en scène ce que j’appelle la « criminalité rédemptrice ». Autrement dit, il s’attache à des personnages honnêtes qui transgressent la loi pour des raisons légitimes. Le film rend hommage à la loyauté familiale et à la solidarité fraternelle, tout en portant un regard nostalgique sur la disparition des valeurs traditionnelles. »

Rencontre – Nicolas Clément, à Deauville.

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