Geraldine Chaplin évoque sa carrière, son père et… Albert et Paola

"La monarchie me semble tout de même un concept tellement obsolète... Mais en même temps, quelle est l'alternative aujourd'hui?"
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Actuellement à l’affiche de The Barefoot Emperor, le nouveau film comico-politique du tandem américano-belgeformé par Jessica Woodworth et Peter Brosens, Geraldine Chaplin évoque sa carrière et son célébrissime paternel, mais aussi ce qu’elle sait de notre monarchie. Portrait de femme.

Octobre 2018. Jessica Woodworth, Peter Brosens et leur joyeuse troupe ont provisoirement établi leurs pénates en Croatie afin de tourner la suite de King of the Belgians, odyssée loufoque qui, en 2016, embarquait le Roi des Belges Nicolas II et son aréopage bigarré sur les routes du Vieux Continent, tentant de regagner le Royaume à l’arrache depuis Istanbul alors qu’une tempête solaire paralysait le trafic aérien. Dans The Barefoot Emperor (lire notre critique), cet improbable souverain amidonné de fiction, blessé par balle à Sarajevo à la fin du film précédent, trouve refuge sur l’île croate de Brijuni. Soit un morceau de terre bien réel, havre quasi-paradisiaque qui appartenait autrefois au maréchal/dictateur Tito. Lequel recevait là les grands de ce monde, à deux pas d’un parc national abritant des espèces animales et végétales rares, ainsi qu’un jardin zoologique aux occupants pour le moins exotiques.

Le cadre est peu commun. Et l’ambiance, hors du temps, plutôt à la fête. À l’image de Geraldine Chaplin, nouvelle tête de cette suite qu’elle présente comme une satire sur la montée des extrêmes se faisant l’écho par l’absurde des grandes crises politiques européennes récentes. Née à Santa Monica au milieu des années 40, la septuagénaire est le quatrième enfant de Charlie Chaplin et l’aînée des huit rejetons que celui-ci a eus avec sa quatrième et dernière épouse, Oona O’Neill. Geraldine n’avait pas dix ans quand elle a fait, en 1952, sa première apparition en tant qu’actrice pour son père, dans Les Feux de la rampe. S’ensuivront plusieurs décennies d’une carrière aussi libre que foisonnante, qui la verra jouer aux quatre coins du monde devant la caméra des cinéastes les plus talentueux, de David Lean à Guy Maddin, en passant par Robert Altman, Carlos Saura, Jacques Rivette, Michel Deville, Alain Resnais, Martin Scorsese, Jodie Foster, Franco Zeffirelli, Pedro Almodóvar ou Jane Birkin… Parmi d’autres.

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On la retrouve à son hôtel, le seul, à vrai dire, de toute l’île, à la veille de tourner la séquence-clé finale de ce Barefoot Emperor. Souriante, malicieuse, particulièrement vive d’esprit, elle se raconte sans détour.

Qu’est-ce que vous pouvez nous dire à propos de cette île et de votre implication dans le film?

C’est une drôle de sensation que d’être ici. Ça ressemble vraiment à des vacances, même si on est là pour travailler. Tout le monde est si charmant, on forme une petite famille de cinéma. Concrètement, Lady Liz, le personnage que j’incarne dans The Barefoot Emperor, est une femme qui est censée vivre ici depuis un moment. Après s’être fait tirer dessus à Sarajevo, le souverain belge est en convalescence sur cette île assez folle dirigée par le docteur Kroll, joué par Udo Kier. Ce dernier a le contrôle sur tout. L’île fonctionne en vase clos. Au sein de l’ancien palais de Tito, chacun est installé dans une chambre qui porte le nom d’une personnalité qui l’a occupée autrefois. C’est pour ça que mon personnage se nomme Lady Liz, parce qu’elle vit dans l’ancienne chambre d’Elizabeth Taylor. Cette vieille femme a une jumelle invisible. Personne ne peut la voir, mais elle communique avec elle, agit comme si elle était là. Lady Liz ressent une empathie profonde pour le roi et c’est réciproque. Une espèce d’amour platonique naît bientôt entre eux deux.

Comme décririez-vous Jessica et Peter en tant que cinéastes?

J’adore leur univers. Si j’ai accepté de tourner avec eux, c’est parce que j’aimais le scénario, bien sûr, mais plus encore parce que j’avais adoré King of the Belgians. Ils sont parvenus à développer un ton très spécifique, un humour si particulier. Sur le plateau, ils sont différents de tous les réalisateurs avec lesquels j’ai pu travailler par le passé. Ils disent qu’ils improvisent beaucoup mais ce n’est pas tellement vrai. Ils sont très précis dans leur travail. Mais ils sont aussi capables de comprendre qu’à un moment donné le film trouve sa propre énergie. Parfois, après une prise, il arrive que Jessica me dise: « C’était bon. Tu l’as senti? » Et moi je réponds: « Le plus important, tu sais, c’est que toi tu le sentes. » (sourire)

Le film est inspiré de crises réelles ou potentielles en Europe. Quel regard portez-vous sur ces questions?

Ce qui se passe aujourd’hui en Europe est vraiment très interpellant. La montée des extrêmes. C’est effrayant. Et la crise des migrants. The Barefoot Emperor traite de ces questions par le biais de l’humour absurde. C’est quelque chose qui me plaît beaucoup. C’est à la fois très corrosif et très bien tapé.

Plus spécifiquement, que pensez-vous du système monarchique et que connaissez-vous de la monarchie belge?

(Elle rigole) Tout ce que je peux dire à propos de la monarchie belge, c’est que quand j’avais une quinzaine d’années, mes parents nous ont emmenés, mes frères, mes soeurs et moi, sur l’île de Formentera dans les Baléares. Il se trouve qu’Albert et Paola y étaient en pleine lune de miel. Ils n’arrêtaient pas de se chamailler. On les voyait au moment des repas, et ma mère nous disait en chuchotant: « Regardez, le prince et la princesse sont encore occupés à se disputer! » (rires) Avant ça, j’ai rencontré Baudouin une fois, à une réception donnée par un homme très riche dans le sud de la France qui invitait des aristocrates, des artistes… Baudouin est arrivé en bateau. C’était avant qu’il soit marié. Je me souviens que toutes les filles présentes jouaient des coudes en répétant: « C’est un bon parti. C’est un bon parti. » (rires) Quant à savoir ce que je pense de la monarchie au sens large, que puis-je dire? Si ce n’est que ça me semble tout de même être un concept tellement obsolète… Mais en même temps, quelle est l’alternative aujourd’hui? Ce n’est pas comme si la démocratie marchait du tonnerre non plus… Oh, j’aime beaucoup la reine d’Angleterre! Comme mon père disait toujours (elle prend l’accent british): « She does her job very well. »

Le côté asile à ciel ouvert de The Barefoot Emperor ne fonctionne que par intermittence et certains gags tombent un peu à plat.
Le côté asile à ciel ouvert de The Barefoot Emperor ne fonctionne que par intermittence et certains gags tombent un peu à plat.

En parlant de votre père, il avait cette capacité rare à concilier la fantaisie burlesque et un coeur gros comme ça dans ses films…

Oui, il se positionnait toujours du côté des plus faibles. S’il était là aujourd’hui, c’est sûr qu’il aurait de la matière. Il n’avait vraiment peur de rien. Quand il a commencé à travailler sur Le Dictateur, tout le monde lui disait qu’il ne pouvait pas faire ça. Rire de Hitler et du nazisme. Il a fini par faire le film avec son propre argent, puisque personne ne voulait le financer. Quand il a été projeté en Angleterre, c’était en plein durant le Blitz, et le succès a été immédiat. Les gens avaient tellement besoin de ça à ce moment précis. Rire de ce monstre nazi. Leur peur et leur haine trouvaient enfin un moyen de s’évacuer par le rire. L’humour est une arme d’une puissance inégalable, et ça mon père l’avait très bien compris. Rire de toute cette merde ridicule dans laquelle nous vivons, c’est vraiment quelque chose dont nous avons crucialement besoin.

On en sait beaucoup sur votre père mais peu sur votre mère. Quelle influence a-t-elle exercée sur vous?

Ma mère me manque tellement. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point. Chaque jour qui passe est marqué par son absence. Bien plus que par celle de mon père, dont je peux regarder les films quand je veux. Mais maman… Elle était extrêmement jeune quand elle a rencontré mon père. Et elle était tellement intelligente. Elle écrivait merveilleusement bien. Elle avait huit enfants et elle nous écrivait à chacun des lettres incroyables. Mon père s’en remettait complètement à son jugement. Il écrivait quelque chose et lui demandait directement son avis. Si elle lui disait que ce n’était pas très bon, il rentrait dans des colères terribles. Il claquait les portes de la maison. Mais il finissait toujours par faire les changements qu’elle avait suggérés. Parce qu’elle était sa meilleure critique. J’avais une relation très forte avec elle. Elle aurait pu être tout ce qu’elle souhaitait dans ce monde, mais elle a décidé de dédier sa vie à mon père.

Vous jouez toujours énormément au cinéma et à la télévision. Pourquoi est-ce important pour vous de continuer à travailler autant en tant que comédienne?

Je continue à travailler beaucoup grâce à mes rides. Parce qu’il y a peu de comédiennes de mon âge qui n’ont pas fait de chirurgie esthétique ou autre. Certains films ont besoin de vraies vieilles femmes et de vraies rides, voilà tout (sourire). Mais sinon j’aime passionnément mon métier. Alors aussi longtemps qu’on me donne du travail, je continue. Et The Barefoot Emperor est le genre de film que j’ai envie de voir. J’essaie de ne plus faire que des films que j’ai envie de voir. Oh bon oui, OK, d’accord, j’ai fait Jurassic World récemment. Mais c’était amusant, et puis c’était parce que le réalisateur, Juan Antonio Bayona, est un bon ami. Il croit que je lui porte bonheur depuis que j’ai joué dans El Orfanato, son premier long métrage. Il est venu sonner un jour chez moi pour me demander de jouer dans ce film. On aurait dit qu’il avait 17 ans à peine, à l’époque. J’ai dit OK et ça a été un succès. Depuis, il m’appelle à chaque fois: pour The Impossible, A Monster Calls, Jurassic World… S’agissant de ce dernier, je lui avais demandé: « Oh s’il te plaît, est-ce que je peux jouer un dinosaure? » Il m’a répondu qu’il n’y avait même pas de rôle pour moi dans le scénario, mais que si je grimpais dans un avion pour le rejoindre sur le tournage, il m’en écrirait un. Alors j’ai pris mon billet.

Quels sont les meilleurs souvenirs de votre carrière?

Très honnêtement, je regarde fort peu en arrière. Ou j’oublie. Les gens me parlent beaucoup de mon rôle dans Le Docteur Jivago de David Lean, où je jouais l’épouse d’Omar Sharif. Ce qui est certain, c’est que j’ai toujours beaucoup aimé varier les plaisirs: j’aime passer d’une grosse production à un film indépendant, du cinéma à la télévision, d’un travail avec un réalisateur confirmé à un autre avec un débutant… J’adore aussi tourner dans différentes langues, sur différents continents. Dans les années 70, je pouvais tourner un film à Nashville avec Robert Altman puis directement retraverser l’Atlantique pour retrouver Carlos Saura à Madrid. Avant d’aller en France tourner avec Rivette. J’ai toujours fonctionné comme ça. Un jour, des voisins m’ont dit qu’ils allaient tourner un petit film en super 8, eh bien j’y suis allée aussi (rires). Les années 70 ont vraiment été une décennie assez folle pour moi, je me suis tellement amusée.

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