François Damiens: « Personne ne sait jouer aussi bien que quand il ignore qu’il joue »
Avec Mon ket, François Damiens signe un premier long métrage savoureux, placé sous le double signe de la caméra cachée et de la filiation. Un film hilarant et aussi plein d’humanité.
Des acteurs se piquant un jour de passer derrière la caméra, il y en a de nombreux, pour un résultat souvent inégal d’ailleurs. Après les frères Yannick et Jérémie Renier pour l’improbable Carnivores, c’est au tour d’un autre comédien belge de s’y risquer: François Damiens, curriculum imposant l’ayant conduit de OSS 117 à Otez-moi d’un doute en passant par La Famille Wolberg ou La Famille Bélier, et aujourd’hui réalisateur de Mon ket (1), titre fleurant bon l’ancrage bruxellois de l’affaire. Un projet sur lequel il cumule allègrement, puisque non content d’y camper Dany Versavel, taulard bravache décidant de se faire la malle pour s’occuper, à sa façon s’entend, de l’éducation de son fils adolescent, il en a signé le scénario (écrit à quatre mains avec Benoît Mariage) mais aussi la mise en scène, en caméra cachée. « Ecrire me démangeait depuis longtemps, confie-t-il, profitant du soleil printanier dans le jardin d’un hôtel de la capitale. Quand nous sommes arrivés au bout du processus d’écriture, la question de savoir qui allait réaliser s’est rapidement posée. Comme je faisais des caméras cachées depuis vingt ans, que j’avais écrit l’histoire et que je connaissais le personnage par coeur, j’ai décidé de m’y coller, tout en ayant peur d’en faire trop. Qui trop embrasse mal étreint, et je craignais de ne pas avoir suffisamment de recul. Mais un autre réalisateur aurait dû se lancer sans avoir la moindre expérience de cette méthode. J’ai donc estimé que c’était à moi de le faire… »
Une double vie
La caméra cachée, François Damiens connaît, en effet, et cela, depuis l’époque où François l’Embrouille, le personnage ayant assis sa popularité, sévissait à la télévision. Pas question, pour autant, de confondre, s’empresse-t-il d’expliciter: « Ce n’est pas du tout la même chose: l’Embrouille, il peut faire n’importe quoi. Ici, le personnage doit se tenir du début à la fin, et raconter une histoire. Je ne voulais pas d’un assemblage de caméras cachées, ou d’un florilège des meilleurs moments, mais d’un vrai film. Les caméras cachées ne racontent rien, elles révèlent de petites émotions, alors qu’ici, il fallait que ça tienne sur la longueur. Ce qui m’intéressait, c’était de mélanger la fiction et la réalité dans un film. On me parle d’un retour aux sources, mais ce n’est pas le cas, puisque je n’ai jamais arrêté d’en faire. C’est plutôt un peu comme si j’avais une double vie: ma femme, ce sont les caméras cachées, et j’ai rencontré une maîtresse qui est le cinéma. Et là, j’ai voulu partir en vacances avec les deux, ce dont rêve en principe tout homme qui a une maîtresse s’il aime encore sa femme. Mais c’est compliqué… »
Il a l’humour volontiers politiquement incorrect
Femme et maîtresse, Mon ket ménage donc l’une et l’autre, pour composer un hybride savoureux. Suivant son fil de récit d’apprentissage excentrique, le film n’échappe pas totalement à l’effet accumulation de sketchs. Pour autant, il y a là, peut-être, ce que le cinéma a proposé de plus hilarant récemment, relevé encore d’une solide couche d’humanité. Comme ne se fait faute de le préciser le générique final, les vraies stars du film, ce sont ces anonymes que Damiens et sa caméra ont piégés avec bienveillance: gardien de parking, chirurgien esthétique, banquier, et on en passe, comme cette cliente assistant, effarée et plus encore, à un échantillon d’éducation à la mode Dany Versavel dans une boutique vendant des cigarettes. « Je ne sais pas quel comédien pourrait arriver à jouer l’étonnement comme elle le fait. Personne ne sait jouer aussi bien que quand il ignore qu’il joue. Et moi, je suis là comme faire-valoir… » Rôle assumé avec un solide aplomb par un Damiens arborant des postiches de circonstance, histoire aussi de préserver un indispensable anonymat que sa notoriété risquait de mettre à mal. A toutes fins utiles, l’acteur et réalisateur a d’ailleurs tourné certaines séquences avec des néerlandophones parfaitement bilingues: « Vu la scission entre les cultures flamande et francophone, ils ne me connaissent pas… » Une astuce parmi d’autres, la caméra cachée imposant ses règles propres: « Il n’y a pas de deuxième prise possible: le son, l’image, tout doit être bon au même moment. Si quelqu’un foire, on ne peut pas la refaire. Mettre les micros sur les gens à leur insu, c’est la folie. Et puis, je ne vais pas demander à la dame de redire une deuxième fois: « Entre nous, il n’y a pas deux livres, il y a une bibliothèque. » Si tu ne l’as pas, tu ne l’as pas… » Et si Damiens piège à qui mieux mieux, il confesse avoir été lui-même bluffé en l’une ou l’autre occasion. La réalité est parfois plus forte que la fiction, comme lorsque l’homme aux côtés duquel il regarde le flash d’informations annonçant son évasion se révèle être lui-même un ancien taulard – solidaire. Ou quand, face au banquier roublard se mettant à les baratiner en anglais, son comparse dit le plus sérieusement du monde: « Je ne comprends pas le flamand » – effet zygomatique irrépressible garanti.
Rire de tout?
Si Dany Versavel évolue sans filtre, François Damiens, lui, ne semble guère mettre de frein à un humour qu’il a volontiers politiquement incorrect. « Je ne vais jamais moins qu’à fond, mais il est hors de question de faire du mal à quelqu’un. Je peux gêner les gens – et là, je n’ai aucune limite. Mais je ne peux pas faire de prise d’otages et leur faire du mal, ce serait horrible et déplacé, je sortirais de mon rôle. Je ne vais jamais être méchant: dans les caméras cachées, c’est moi qui dois être ridicule, pas eux. » Une fois dûment piégés, rares, du reste, sont ceux à refuser de figurer dans le film: « 95% des gens ont accepté. Le Belge a beaucoup d’autodérision, de second degré et de recul. » En filigrane se pose aussi la question de savoir si l’on peut rire de tout. A quoi Damiens apporte une réponse catégorique: « Une fois dans le personnage, je peux rire de tout, parce que si je commence à tenir des propos racistes ou homophobes, ou traduisant une étroitesse d’esprit impossible, quelque part, ça dénonce le fait qu’il faut vraiment être un imbécile pour parler et penser de la sorte. Le faire moi, comme ça, rigoler sur certains sujets, je ne me le permettrais pas. Mais derrière un personnage, oui. Je vais à la pêche aux émotions chez les gens, avec l’idée que leur réaction ne soit pas traitée par le cerveau mais qu’elle vienne directement du coeur. Et pour ça, il faut un personnage haut en couleur. Si je suis un type introverti qui longe les murs, je ne vais pas susciter beaucoup de réactions ni d’émotions. Je suis donc obligé de créer un personnage qui n’a pas de filtre et qui y va plein pot. »
Pour autant, Mon ket n’est pas qu’une farce alignant les gags et autres morceaux d’anthologie comme à la parade. Damiens y renoue aussi avec un thème qui traverse sa filmographie, celui de la paternité et de la filiation, qu’on l’a vu explorer notamment dans Suzanne de Katell Quillévéré, La Famille Bélier d’Eric Lartigau ou encore Les Cowboys de Thomas Bidegain. « Dans le cas de Mon ket, la paternité est un prétexte, mais ça permet d’énoncer beaucoup de choses: la transmission, la filiation et aussi la projection. Et peut-être est-ce de ça que j’avais envie de parler: l’histoire est un prétexte pour faire évoluer le film, mais ce sont des relations qui me touchent, les gens qui recomposent des familles en une semaine, avec le beau-frère, la belle-soeur, les beaux-parents, et au milieu des enfants qui sont complètement largués parce qu’on leur impose du jour au lendemain une nouvelle famille. Et puis, aussi, ces pères qui ont une relation de copain avec leur fils, dont on voit bien que ça ne fonctionne pas très longtemps. Et enfin, la projection de voir son fils réussir là où on a soi-même échoué. J’avais envie de parler de toutes ces choses, et d’autres encore, comme les nouveaux riches qui pensent que l’on achète tout… » Et même un footballeur pour l’anniversaire du gamin, dans ce qui reste un grand moment de solitude nourri de vulgarité crasse, le film trouvant là une dimension critique et sociale qu’il a toutefois l’élégance de ne pas appuyer.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Le Belge, humain et généreux
En matière de forcer le trait, Dany Versavel en fait déjà assez, il est vrai, qui ravale la bienséance au rang des accessoires superfétatoires. Si la provocation n’est jamais bien loin, François Damiens n’en garde pas moins le cap d’une humanité qu’il a chevillée à la caméra: « J’ai voulu humaniser ce type un maximum. Quand on le voit, on n’a pas spécialement envie de prendre un verre avec lui, mais on le sent tellement fracturé qu’on ne voudrait pas qu’il lui arrive quelque chose de difficile. L’humanité des gens, leur générosité, je trouve ça beau. Et je suis vraiment fier de sortir ce film en France pour leur montrer comment sont les Belges. Les Français sont complètement estomaqués par notre humanité. Au départ, ils nous jugent à travers une vitrine de quelques acteurs, chanteurs, créateurs de mode et artistes au sens large du terme, mais ils se rendent vite compte que les Belges sont tous comme ça: généreux, humains, aidants, avec une espèce de bonhomie naturelle qui n’est pas un jeu. La dame qui m’explique pendant une demi-heure pourquoi ça ne peut pas marcher entre nous quand je la drague, allez-y pour trouver ça en France: ils n’ont même pas deux secondes pour vous donner l’heure. On ne verrait jamais ça en France, ou alors, il faudrait tourner dix ans… »
(1) Sortie le 30 mai.
François Damiens est par ailleurs à l’honneur à la Cinematek de Bruxelles jusqu’au 18 juin prochain, avec une rétrospective de huit de ses films. L’acteur et réalisateur viendra présenter Suzanne, de Katell Quillévéré, le 5 juin.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici