Flow, film-fable à hauteur d’animaux
Avec Flow, le surdoué réalisateur letton Gints Zilbalodis réussit un splendide film d’animation qui accompagne un chat au fil de l’eau dans un univers post-apocalyptique.
«Je pense sincèrement que si vous essayez absolument de faire un film qui puisse plaire à tout le monde, vous finissez par faire un film qui ne plaît réellement à personne. Je crois beaucoup au cinéma comme mode d’expression très personnel. Tendre vers une approche de création lissée et générique ne m’intéresse pas. La clé de l’honnêteté réside dans la spécificité.» Personnel et spécifique, l’univers de Gints Zilbalodis, génial cinéaste letton d’à peine 30 ans, l’est assurément. En 2019, il signe avec Away son premier long métrage animé, un étonnant voyage initiatique mutique rivé à un jeune homme parcourant une île à moto en compagnie d’un frêle oiseau pour fuir un esprit obscur et rentrer chez lui.
Six ans plus tard, il revient avec Flow, singulière fable philosophique et symbolique à hauteur d’animaux, elle aussi dénuée de mots. Passé par le festival de Cannes, multirécompensé au prestigieux festival d’Annecy, ce deuxième long métrage a même été jusqu’à décrocher ces jours-ci le Golden Globe du meilleur film d’animation au nez et à la barbe de toutes les grosses productions hollywoodiennes.
Esprit d’équipe
Prenant place dans un univers post-apocalyptique qui semble déserté de toute présence humaine, Flow s’arrime plus particulièrement à un chat solitaire dont la maison est bientôt dévastée par une impressionnante inondation. Il trouve alors refuge sur un bateau peuplé de diverses espèces animales, et va devoir apprendre à faire équipe avec elles malgré leurs différences. Ensemble, ils traversent des paysages mystiques et affrontent d’innombrables dangers… «Quand j’étais au collège, se souvient Gints Zilbalodis, j’avais moi-même un chat. Il m’a inspiré à l’époque un petit court métrage sur un animal ayant peur de l’eau, Aqua. Il y a quelques années, j’ai décidé de revisiter ces prémices, et c’est comme ça qu’a commencé à naître Flow. Cette fois, je souhaitais que la défiance ressentie par le chat concerne aussi les autres animaux. Il s’agissait donc d’introduire davantage de personnages. Flow est indéniablement mon projet le plus ambitieux à ce jour. Pour la première fois de mon parcours, j’ai dû travailler en équipe pour le réaliser, et je voulais que l’histoire du film reflète aussi cette réalité. C’est-à-dire que le scénario de Flow parle de l’apprentissage nécessaire afin de travailler et vivre avec d’autres, pour collaborer sur un projet commun. Away, mon premier long métrage, était centré sur un personnage seul sur une île, en quête désespérée de connexion avec d’autres gens. J’ai compris après l’avoir réalisé que ce film parlait beaucoup de moi et de mon désir de sortir de ma coquille. En ce sens, si Flow n’est pas en soi une suite à Away, il en prolonge la thématique, en réalisant ce désir de connexion avec les autres.»
«J’aime l’idée de développer une touche de réalisme magique.»
Et le réalisateur de préciser: «J’ai pensé qu’un chat serait le protagoniste idéal pour cette histoire parce qu’il s’agit d’un animal très indépendant à la base, et c’est intéressant de montrer comment il peut apprendre à collaborer. Et d’utiliser l’eau comme une métaphore. C’est-à-dire que, quand le chat a peur des autres, l’eau se montre plus agressive voire effrayante. Et, quand le chat apprend à s’ouvrir aux autres, l’eau se fait plus accueillante et apaisée, elle noie en quelque sorte les peurs de l’animal. En écrivant ce deuxième long métrage, j’anticipais tous les débats, les conflits et l’angoisse qui accompagneraient assurément la réalisation collective de ce film. Mais, finalement, le processus de création collaboratif de Flow a fort heureusement été, pour moi, bien plus serein et cool que ce que le personnage expérimente au cœur du récit.»
«C’est toute la question de la place à trouver au sein d’un groupe que pose Flow.»
Le règne animal
Chez Gints Zilbalodis, les animaux se comportent vraiment comme des animaux. Ils ne parlent pas, et n’agissent pas comme des humains. Mais ce refus de l’anthropomorphisme ne débouche pas non plus sur un pur réalisme. «Disons qu’on essaie vraiment de rendre les animaux le plus réels possible. Le chat est un chat. Le chien est un chien. On a déjà vu tellement de films avec des animaux qui parlent… Je pense qu’on se soucie davantage des personnages s’ils se comportent vraiment comme des chats ou des chiens, avec leur innocence caractéristique. Nous reconnaissons en eux nos propres animaux domestiques et ça nous tient à cœur. Concrètement, nous avons vraiment étudié les mouvements spécifiques des animaux mais pour les redessiner ensuite à la main, sans motion capture par exemple. Donc ce n’est pas non plus un documentaire, et le style hyperréaliste ne m’intéresse pas beaucoup. C’est un film personnel, et j’aime l’idée que les personnages puissent prendre leurs propres décisions. On a un peu amplifié leurs capacités et leur intelligence, pour qu’ils puissent avoir un vrai impact sur le récit et s’adapter à l’univers au sein duquel ils évoluent. J’aime aussi l’idée de développer une touche de réalisme magique, qui est parfois plus adapté que le plus pur réalisme pour faire passer certaines émotions et vérités. Une certaine stylisation amène aussi, je crois, un plus grand attachement.»
A l’arrivée, ces personnages animaliers ne manquent pas, malgré tout, de nous confronter à quelques-unes de nos obsessions humaines. C’est le cas, par exemple, de ce lémurien gagné par la fièvre d’amasser des objets, qui renvoie immanquablement au matérialisme et au consumérisme caractéristiques de nos sociétés capitalistes.
«Oui, et chaque personnage évolue au fil du récit. Si le chat, par exemple, apprend à faire davantage confiance et à compter sur les autres, le chien, lui, développe plus d’indépendance. C’est toute la question de la place à trouver au sein d’un groupe que pose Flow, et chaque animal a été choisi en ce sens. Le film travaille aussi beaucoup sur les reflets, afin de questionner l’importance qu’on accorde à l’image qu’on renvoie aux autres. Tout cela relève, bien sûr, des dynamiques de groupe chez les humains.»
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Flow 4/5
Animation 1h24.
Coproduction entre la Lettonie, la France et la Belgique, Flow, le deuxième long métrage animé de Gints Zilbalodis (Away), nous embarque dans une sorte de nouvelle arche de Noé à la suite d’un chat et de ses divers compagnons animaliers. Plongés dans un univers de fin du monde, ils vont devoir apprendre à surmonter leurs différences pour survivre au fil de l’eau… Le silence est d’or dans cette fascinante odyssée immersive et sensorielle qui n’utilise aucun dialogue pour privilégier une narration purement visuelle rehaussée d’un design sonore au poil. Entre contemplation et action, une fable poétique sur l’entraide et le vivre-ensemble, à la dimension quasiment élégiaque et à la mise en scène toujours en mouvement, en prise sur la beauté du monde et la cruauté de l’existence. Splendide!
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