Fils de plouc et la misère sociale qui ronge Bruxelles: rencontre avec Lenny et Harpo Guit
Fils de plouc, galvanisant premier long de Lenny et Harpo Guit, est bien plus qu’un buddy movie foutraque au coeur du Bruxelles des exclus. Leur vision de la ville est aussi sombre que leur humour est tendre et mordant.
« Notre papa m’a appelé Harpo en hommage au troisième fils des Marx Brothers. Et si mon grand frère c’est Lenny, c’est pour Lenny Bruce » , explique Harpo Guit à la terrasse d’un bar PMU à deux pas de la Place de la République, base parisienne des frangins où ils sont nés et ont grandi, même s’ils vivent la moitié du temps à Bruxelles depuis une petite dizaine d’années. Graham Guit, le daron, a réalisé quatre films entre 1997 et 2008: Le ciel est à nous (1997), Les Kidnappeurs (1998), Le Pacte du silence (2003) et Hello Goodbye (2008), où l’on retrouve à l’affiche rien de moins que Fanny Ardant et Gérard Depardieu. C’est peu de dire que Harpo (25 ans aujourd’hui) et Lenny (28 printemps) sont tombés dans la marmite du 7e art quand ils n’étaient pas plus hauts que trois pommes.
« Notre enfance, elle était cool, se souvient Lenny. On s’amusait bien. On faisait déjà des petits films. J’ai passé de longues heures à regarder Les Simpson, South Park et des séries comme Seinfeld jusqu’à mes 18 ans. » « Quand j’étais petit, rebondit Harpo, je me souviens que lorsqu’on me demandait mon film préféré, je répondais sans hésiter La Grande Évasion. » South Park pour l’humour vachard mis à part, on retrouve peu de traces des précités dans ce Fils de plouc qui lorgne plutôt du côté du Polyester de John Waters ou de Dumb & Dumber des frères Farrelly, voire vers un croisement improbable entre After Hours de Martin Scorsese et Les Barons de Nabil Ben Yadir.
Quelques mots, d’abord, sur le pitch, avant de rétrocéder la parole à Harpo et Lenny. Issachar et Zabulon, deux frères (incarnés par Harpo Guit et Maxi Delmelle), vivent dans la dèche, avec leur mère Cachemire. Les deux zozos bien pieds nickelés comme il faut ont une dalle internationale. Cette question de survie se complique lorsque Jacques-Janvier, le chien de la maman, disparaît. Au duo de retrouver le clébard en question sous peine d’être expulsé et de se retrouver à la rue.
> Lire à ce sujet notre critique de Fils de plouc
Misère sociale
« On connaissait la légende autour de Dumb & Dumber, à savoir que les Farrelly avaient leur scénario pendant des années et tout ce qu’ils faisaient, c’était le lire à leurs potes et les faire poiler, précise Lenny. Tout ça nous a bien fait fantasmer. » « De manière générale, enchaîne Harpo un micro sourire aux lèvres, on aime les réalisateurs frères. On adore le cinéma des frères Coen, des Safdie, Lumière, Larrieu, Dardenne… » Reste que cette poursuite effrénée à la recherche de Jacques-Janvier nous montre un Bruxelles urbain, violent et sale où le duo va rencontrer une galerie de personnages truculents, certes, mais marginaux et bizarroïdes. Fils de plouc en dit bien plus long qu’il n’en a l’air sur la misère sociale qui ronge notre capitale, la solitude à travers une ville de Bruxelles qu’on a rarement vue aussi joliment filmée, à part peut-être dans Les Barons ou Black.
« Le cinéma italien un peu tragique nous parle, raconte Lenny. Les comédies italiennes des années 60 et 70 évoquent des choses plus tristes, mais d’une façon légère et un peu folle. Comme chez Robert Altman où, de manière générale, c’est très intense jusqu’à ce que la fantaisie s’invite. C’est pareil dans le film de Hal Ashby Harold et Maude , qui parle de la mort tout le temps et ça n’empêche pas de rigoler. » Harpo, qui ne perd pas une miette des propos de son fratello, convoque Pasolini à la discussion. « Je pense à cette scène de Accattone où deux personnages cherchent un endroit pour faire cuire leur paquet de spaghettis. Ils se retrouvent chez un mec et Franco Citti demande de dégager les invités pour avoir plus à manger. Bien sûr que nous avons connu des galères de bouffe, de tunes mais on n’est pas les seuls et on n’a pas envie de verbaliser un message. Ces personnages nous touchent. Je ne sais pas d’où ça vient mais c’est vers ça qu’on va en tout cas. Pour Bruxelles, c’est pareil, c’est la ville qu’on connaît. »
Pur moment de cinéma
Fils de plouc ne doit faire aucun effort pour dépeindre avec une infinie tendresse les marginaux et les exclus tout en gardant le curseur du bon goût du bon côté de la console. D’ailleurs, au regard de la profession de Cachemire, Fils de plouc aurait très bien pu et logiquement s’appeler Fils de pute. Lenny: « On ne voulait pas faire de la provoc’ juste pour faire de la provoc’. On voulait rester drôles et légers, même si les deux frères devaient traverser des choses horribles. »
Bouclé avec un budget de 170 000 euros grâce à l’aide du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Fils de plouc peut aussi compter sur un casting qui a fière allure. On retrouve les potes et habitués des courts métrages des Guit – Nathalie vous nique tous ou La Brigade du kiff- disponibles sur leur chaîne YouTube Clubb Guitos, mais aussi Mathieu Amalric, Claire Bodson et sa moitié, Yannick Renier. « Mathieu nous a reçus chez lui et il est venu un jour à Bruxelles. Claire, on l’a vue au théâtre. Elle lisait le scénario chez elle, était super emballée et nous a suggéré Yannick. » Avant de prendre congé, Lenny insiste sur le fait que Fils de plouc est bien plus qu’un film de potes: « C’est un pur moment de cinéma où on a essayé de mettre les sensations qu’on aime vivre lorsqu’on va dans une salle, comme le dégoût, la peur et le rire aussi. » Des sensations fortes, en somme.
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