Poor Things, de Yorgos Lanthimos, Lion d’or annoncé de la 80e Mostra de Venise

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Le jury présidé par Damien Chazelle a rendu un verdict conforme aux attentes, sacrant une variation brillante sur le mythe de Frankenstein, et n’oubliant pratiquement aucun des temps forts de la compétition.  

Par Jean-François Pluijgers, à Venise

Il est rare qu’un palmarès de festival fasse l’unanimité. C’est pourtant le cas de celui annoncé, samedi soir, par Damien Chazelle et le jury de la 80e Mostra de Venise qui, du Lion d’or accordé au cinéaste grec Yorgos Lanthimos pour Poor Things, donné grandissime favori, au Prix spécial octroyé à la vétérane Agnieszka Holland pour Green Border, n’a guère souffert de fausse note. Même si l’on regrettera que l’audace formelle et narrative de Bertrand Bonello dans La Bête n’ait pas trouvé grâce aux yeux des jurés.

Frankenstein au féminin

Le Lion d’or à Yorgos Lanthimos pour Poor Things (Pauvres créatures, en vf), c’est la chronique d’un triomphe annoncé, tant le film du réalisateur grec, auteur précédemment de The Lobster et de La Favorite, avait les faveurs des festivaliers depuis sa présentation en tout début de Mostra.

A mi-chemin du fantastique gothique et de la fable décalée, entre noir et blanc et déferlement de couleurs, le cinéaste y revisite le mythe de Frankenstein au féminin. Et retrace le destin de Bella Baxter (Emma Stone, phénoménale), jeune femme ramenée à la vie par un savant fou (Willem Dafoe) décidant de lui greffer le cerveau de l’enfant qu’elle portait au moment de son suicide. La suite verra Bella partir à la découverte du monde, poursuivant son éducation sentimentale et sexuelle au mépris des préjugés et des conventions morales de l’époque.

Une quête de liberté à laquelle Lanthimos confère une exubérance grinçante et sa bizarrerie coutumière, et que Emma Stone (également productrice) illumine d’une composition hors-normes, pour un film résonnant avec l’air du temps attendu sur les écrans belges début 2024.

La suite du palmarès n’est guère moins conforme aux attentes. Grand Prix du jury, Evil Does not Exist, de Ryusuke Hamaguchi, est un drame intime dont la beauté n’a d’égal que le mystère. Le cinéaste japonais y pose sa caméra dans un petit village, dont la quiétude est menacée par le projet d’implantation d’un « glamping » (contraction de glamour et camping) pour citadins désireux de se ressourcer.

L’occasion d’un récit tout en nuances feutrées, s’échappant avec bonheur dans des chemins de traverse. Et une nouvelle démonstration du talent hors-normes du réalisateur de Drive My Car.

Dans une compétition où abondaient les films « à thème », le jury a eu le bon goût d’en saluer les deux plus aboutis : Prix Spécial du jury, Green Border, d’Agnieszka Holland, aborde frontalement la tragédie des migrants, la réalisatrice polonaise signant, dans un noir et blanc oppressant, un drame suffocant sur le cauchemar kafkaïen vécu par les réfugiés à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne.

Quant à Io Capitano, de l’Italien Matteo Garrone, récompensé du prix de la mise en scène mais aussi du meilleur espoir pour Seydou Sarr, il marie avec bonheur film politique et conte pur retracer l’odyssée de deux jeunes Sénégalais traversant l’enfer afin de s’accrocher à leur rêve devant les mener aux rivages de l’Europe – une proposition tout sauf anodine dans l’Italie de Giorgia Meloni.

Enfin, si l’on ne mentionnera que pour la forme le prix du Scénario à l’anecdotique El Conde, de Pablo Larrain, les prix d’interprétation à Cailee Spaenypour Priscilla, de Sofia Coppola, à Peter Sarsgaard, pour Memory, de Michel Franco, complètent judicieusement le palmarès, saluant par comédien.ne.s interposés deux des incontestables réussites d’une Mostra en demi-teinte…

Palmarès complet

Lion d’or du meilleur film : Poor Things du réalisateur grec Yorgos Lanthimos

Lion d’argent – Grand Prix du Jury : Aku wa sonzai shinai (Evil does not exist) de Ryusuke Hamaguchi (Japon)

Lion d’argent de la meilleure réalisation : Matteo Garrone pour Moi, capitaine (Italie)

Prix de la meilleure actrice : Cailee Spaeny pour son rôle dans Priscilla de Sofia Coppola

Prix du meilleur acteur : Peter Sarsgaard pour son rôle dans Memory de Michel Franco

Prix du meilleur scénario: Guillermo Calderon et Pablo Larrain pour El Conde de Pablo Larrain

Prix spécial du jury : Zielona granica (Green Border) de la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland

Prix Marcello Mastroianni du jeune espoir : Seydou Sarr pour son rôle dans Moi, capitaine de Matteo Garrone

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