Fernando León De Aranoa (El Buen Patron) : « Je voulais parler du pouvoir et de l’abus de pouvoir au travail »

Juan Blanco (Javier Bardem): un patron de poids. © National
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Vingt ans après Les Lundis au soleil, Fernando León de Aranoa replonge dans le monde du travail pour El buen patrón, une comédie grinçante où Javier Bardem campe un patron bien sous tous rapports. À moins que…

Vingt ans séparent Los lunes al sol, le film qui imposait le cinéaste espagnol Fernando León de Aranoa à l’international, de El buen patrón, une comédie mordante qui le voit renouer avec l’univers du travail, après avoir signé notamment A Perfect Day, avec son casting cosmopolite (Benicio Del Toro, Olga Kurylenko, Mélanie Thierry et Fedja Stukan parmi d’autres) et Loving Pablo, autour d’Escobar. “Mon intérêt pour le monde du travail et sa représentation au cinéma ne s’est pas démenti depuis Los lunes al sol , explique-t-il, à l’occasion d’une conversation par Zoom. Je voulais aborder ces problèmes à nouveau, mais dans une perspective différente: alors que les personnages des Lundis au soleil se retrouvaient sans emploi, j’ai choisi cette fois pour protagoniste central le patron d’une usine où les relations de travail sont trés différentes. Beaucoup de choses se sont passées entre les deux films, et je voulais parler du pouvoir et de l’abus de pouvoir sur le lieu de travail, mais aussi de l’évolution des relations au sein de l’entreprise. Alors que la notion de solidarité et le sentiment de confiance mutuelle étaient fort présents dans le premier film, c’est pour ainsi dire le contraire aujourd’hui. Il n’y a plus ce type de lien entre les travailleurs, ni cette conscience de classe qui pouvait se révéler bien utile. Si l’un d’eux est viré et décide de venir siéger en face de l’usine, il se retrouve isolé, personne ne va traverser la rue pour le soutenir, de crainte d’être le suivant sur la liste. Ce qui, à l’écran, peut paraître drôle, mais correspond aussi à une terrible réalité. Voilà pourquoi j’ai voulu revenir à ces questions, mais en adoptant un angle opposé.” Et d’adopter le point de vue d’un patron “à l’ancienne”, paternaliste et autoritaire en même temps, que sa quête d’un prix d’excellence va amener à franchir la ligne rouge, avec des répercussions en cascade.

Licencié par un algorithme

El buen patrón, le réalisateur madrilène raconte en avoir eu l’idée il y a douze ans déjà. La crise économique était passée par là, et avec elle son cortège de mesures censées redresser l’économie aux dépens notamment des droits des travailleurs. Une situation certes pas exclusive à l’Espagne, et qui n’a fait que s’aggraver depuis, comme il ne se fait faute de le souligner: “Je lisais, pas plus tard qu’hier, un article expliquant que ce sont désormais des algorithmes qui décident, dans les grandes entreprises, des personnes à licencier. Si l’on en est à utiliser des algorithmes pour prendre ce type de décision, où cela va-t-il s’arrêter? J’ai donc écrit un premier traitement du scénario sous le coup de la colère, puis je l’ai laissé dormir -je procède toujours comme ça, laissant les choses décanter, avant d’y revenir- et la situation n’a fait qu’empirer. Un élément intéressant, c’est que les réactions au film varient en fonction du background et de l’âge des spectateurs. Ceux qui ont moins de 30 ans ne voient pas en quoi la plupart des situations pourraient poser problème. Peut-être cela tient-il au fait qu’ils n’ont pas grandi avec les valeurs qui avaient cours il y a 20 ou 30 ans.

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Si le film traite de questions sérieuses, s’inscrivant dans une veine sociale que les dérives du libéralisme n’en finissent plus de nourrir, Aranoa a choisi de les envisager sous l’angle de la comédie, grinçante s’entend, El buen patrón n’étant pas sans rappeler la production italienne de la grande époque. “ Ce n’est pas une inspiration consciente, mais plutôt instinctive, observe-t-il. Un de mes cinéastes de chevet est Ettore Scola, chez qui l’on trouve un mélange de tendresse, d’humour, d’humanité, mais qui parle aussi de choses importantes, comme le fascisme par exemple. Que le drame soit infusé d’humour me semble correspondre à la vie. Dans mon expérience, même dans les situations les plus sombres, l’humour subsiste. Dans le cas présent, on est plus proche de la satire, parce que j’avais le sentiment que plus le drame allait être intense, plus l’humour devait être fort. Il fallait préserver cet équilibre qui était présent dès l’écriture. Les situations les plus drôles du film sont également les plus effroyables, c’est dans l’ADN du film.” Et du personnage de patron que Javier Bardem campe avec une jubilation non dissimulée. Entre l’acteur et le réalisateur, c’est donc la troisième collaboration, après Los lunes al sol et Loving Pablo, où il campait Pablo Escobar avec superbe. “Quand Javier s’engage dans un projet, il le fait sans réserve. Pour un réalisateur, c’est une aubaine, parce que quand vous consacrez trois ans de votre vie à un projet, vous espérez que ceux qui vous rejoignent pour quelques mois vont s’y dévouer autant que vous, et c’est le cas de Javier. Nous avons une grande confiance mutuelle, et nous pouvons nous permettre d’explorer des choses, d’aller plus loin dans le développement d’un personnage.” Démonstration avec Juan Blanco, ce patron à l’ambivalence réjouissante, immoral mais préservant une part de séduction…

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