Des films au musée, la belle alliance

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Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

À Bruxelles, la Cinematek s’installe en force au Kanal-Centre Pompidou. Une invitation qui ne fait que confirmer la place grandissante du 7e art dans l’univers muséal.

À gauche, un long banc. Au milieu, de gros coussins sur le sol. Sur le mur de droite, les images du Je, tu, il, elle de Chantal Akerman s’animent dans l’obscurité à peu près totale. Nous sommes au niveau supérieur de Kanal, l’ancien et iconique garage Citroën appelé à devenir un lieu majeur de l’art à Bruxelles. Associé au Centre Pompidou pour une série d’expositions et d’animations dans ses vastes espaces industriels restés bruts (1), le futur musée d’art contemporain accueille donc la Cinematek pour un programme de projections où Akerman l’emblématique ne pouvait que tenir la vedette.

Dans une autre salle, un projecteur 16mm Bell & Howell des années 30 attend que prennent vie les films d’un alléchant programme Sweet 16, événement mensuel pour lequel des artistes (dont le metteur en scène Romeo Castellucci en novembre) puiseront dans la fabuleuse collection de 23.000 films en 16mm de notre Cinémathèque royale de Belgique. Nicola Mazzanti, son conservateur, ne masque pas son enthousiasme à l’idée d’investir Kanal-Centre Pompidou. « C’est un projet aussi beau qu’ambitieux, déjà! Quand ils nous ont invités à proposer quelque chose pour deux espaces où organiser des activités cinéma, la réponse fut oui, sans hésitation. La Cinémathèque a un problème chronique d’espace, de très larges collections (l’équivalent de deux fois Paris et deux fois Amsterdam) dont nous ne sommes pas à même de montrer l’ampleur de manière satisfaisante. Sans parler des expositions auxquelles nous donnons du matériel et que nous ne pouvons, faute d’espace, faire venir à Bruxelles, comme la première expo Chris Marker de la Whitechapel Gallery à Londres, l’expo Pasolini, celle sur les costumes du cinéma italien ou celle du dernier Festival de Venise où la Cinematek est en tête des remerciements à l’entrée… Nous avons soif d’espace, et l’offre de Kanal y répond! »

Retour à l’expérimentation

Jennifer Bauloye, Production Manager à la Fondation Kanal, explique que dans « la volonté de multiplier les partenariats, avec les acteurs de la scène culturelle à Bruxelles, inviter la Cinematek était une évidence! » Il fut d’abord question d’exposer « le cinéma comme machine« , en présentant les projecteurs conservés mais pas réduits au statut d’objet inanimé, en leur faisant projeter des films, en les faisant revivre. Mais c’eût été un cauchemar organisationnel dans l’état actuel des choses, et ce sont donc un programme allant de Chantal Akerman à Wang Bing et le fameux Sweet 16 que Mazzanti et sa programmatrice Céline Brouwez ont concocté. Sweet 16 fait renaître un certain esprit militant, un esprit d’expérimentation prolongeant celui de Knokke, où la Cinémathèque organisa le Festival EXPRMNTL entre 1949 et 1974.

« Projeter Chris Marker ou Andy Warhol dans une salle de cinéma, ça ne va pas, il y a quelque chose qui cloche!« , s’exclame un Mazzanti qui veut entre autres « montrer les films underground dans les conditions où ils étaient montrés à l’origine: projetés sur un mur blanc et pas sur un écran. Il s’agira de voir des films comme on en projetait chez soi et pour les amis, en copie 16mm, le vendredi soir, comme des films noirs américains« . « De plus en plus d’artistes plastiques font des films et nous voulons les montrer, au croisement du musée et de la salle« , commente de son côté Céline Brouwez. Et Nicola Mazzanti de conclure: « Durant les 30 premières années de son histoire, le cinéma a ignoré la salle, et depuis longtemps déjà il s’emploie à casser ses limites. » La Cinémathèque avait déjà collaboré avec Pompidou sur plusieurs rétrospectives dont celle du cinéma iranien. Il travaille aujourd’hui avec un autre musée parisien, celui du Jeu de Paume, sur un projet autour du réalisateur engagé Hailé Gerima. L’alliance avec Kanal lui ouvre, à Bruxelles, d’immenses perspectives. En espérant que cette complicité puisse se pérenniser dans le musée achevé, d’ici quelques années…

(1) Kanal Brut fermera ses portes en juin 2019 pour trois ans de travaux.

Le cinéma au musée

Des films au musée, la belle alliance

Alfred Barr, le premier directeur du MoMA (Museum of Modern Art) à New York, aura montré la voie dès les années 30 et 40, en accueillant des films dans les collections de son prestigieux musée. Depuis les années 70, de plus en plus nombreuses sont les institutions muséales à faire place au 7e art et à la vidéo dans leur programmation. Soit dans une salle dédiée, soit en intégrant la projection d’images dans leurs expositions temporaires, lorsque celles-ci concernent des plasticiens ajoutant la création audiovisuelle à leur palette, souvent sous forme d’installations comme le firent Chantal Akerman et avant elle les dadaïstes, Andy Warhol ou Marcel Broodthaers.

Combien de chocs cette nouvelle alliance n’a-t-elle pas créés? Comme par exemple la projection en boucle du fascinant 24 Hour Psycho de Douglas Gordon (le film d’Hitchcock ralenti à 2 images par seconde) à la Tate Modern de Londres, ou la formidable installation Manifesto de Julian Rosefeldt (treize films avec Cate Blanchett projetés en parallèle) au musée de la Hamburger Bahnhof à Berlin. Le mouvement ne s’arrêtera pas de sitôt. Tsai Ming-liang, le grand cinéaste taïwanais, auteur de plusieurs installations marquantes, nous disait même récemment que l’avenir du 7e art se ferait dans les musées, où peuvent être ignorées des limites restrictives comme celles de la promotion commerciale d’une durée standard à respecter, des séances à horaire fixe, des déprogrammations en l’absence de succès immédiat…

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