Dans « Rapito », Marco Bellocchio tisse le récit étonnant d’une enfance volée

Le jeune Enea Sala joue Edgardo Mortara enfant devant la caméra de Marco Bellocchio. © Anna Camerlingo
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Dans Rapito, Marco Bellocchio s’empare de l’histoire vraie d’Edgardo Mortara, jeune garçon juif enlevé de force par les autorités papales au XIXe siècle.

Je ne peux pas dire que je suis athée. J’ai été baptisé et j’ai reçu une éducation catholique. Mais disons que j’ai une approche très séculière des choses qui ont trait à la religion.Marco Bellocchio (Buongiorno, notte, Vincere, Il Traditore, la série Esterno notte), 84 ans depuis le 9 novembre, nous accueille en pleine forme sur une terrasse du Palais des festivals de Cannes en mai dernier au lendemain de la projection en Compétition de Rapito (L’Enlèvement). Le film raconte comment, en 1858, dans le quartier juif de Bologne, les soldats du Pape Pie IX ont fait irruption chez la famille Mortara. Sur ordre du cardinal, ils sont venus prendre Edgardo, leur fils de 7 ans. Ce dernier aurait en effet été baptisé en secret par sa nourrice quand il était bébé et la loi pontificale est indiscutable: il doit de ce fait recevoir une éducation catholique. Bouleversés, ses parents vont tout faire pour le récupérer. Soutenu par l’opinion publique de l’Italie libérale et par la communauté juive internationale, leur combat prend vite une tournure politique. Mais l’Église et le Pape refusent de rendre l’enfant, tentant ainsi d’asseoir un pouvoir de plus en plus vacillant…

Pendant longtemps, ces enlèvements étaient assez communs, et fréquents, à vrai dire, rappelle Marco Bellocchio. Les enfants qui étaient kidnappés étaient amenés à la Casa dei Catecumeni à Rome dans le but d’y recevoir une éducation catholique comme il faut. Cette pratique a commencé au début du XVIe siècle, pour se terminer avec l’affaire d’Edgardo Mortara. Cette dernière affaire a suscité un grand scandale partout dans le monde à l’époque. Toute la communauté juive s’est indignée de ces événements, en Amérique, en France, en Russie, en Allemagne… Ils ont tous protesté contre le Pape. Même Napoléon III, qui avait toujours été un grand protecteur du Vatican, a demandé au Pape de rendre l’enfant à sa famille. Mais le Pape s’est entêté à répondre: “Non possumus.” Il était tout simplement inconcevable pour l’Église catholique de renier ses propres sacrements. L’irréversibilité du baptême était un principe absolument fondamental. Aux yeux de l’Église, aucun lien familial ne pouvait prévaloir sur ses dogmes.” Et Bellocchio de rappeler que toute cette histoire n’a pas empêché Pie IX d’être béatifié par Jean-Paul II en septembre 2000. “Cette béatification ne relève pas seulement de l’insulte mais carrément du crime à l’encontre de la communauté juive.

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Un dernier spasme avant la mort

Pendant longtemps, Steven Spielberg a caressé le projet de porter à l’écran l’histoire tragique d’Edgardo Mortara. Un autre long métrage sur le même sujet, produit par Harvey Weinstein, avec Robert De Niro dans le rôle de Pie IX, avait même été à l’époque annoncé pour le concurrencer. Mais ces films n’ont jamais vu le jour, faute notamment de trouver l’enfant idéal pour incarner le jeune Edgardo. “Pour Rapito, je ne voulais pas d’un de ces enfants acteurs qu’on voit dans les pubs ou les séries, et qui ont quelque chose de très artificiel. Je cherchais un enfant très authentique, capable d’exprimer la douleur et un sentiment de solitude. Quand j’ai fini par trouver Enea Sala, le gamin qui joue Edgardo, j’ai été surpris d’apprendre qu’il n’avait jamais mis les pieds dans une église de toute sa vie. C’est un signe de notre temps, bien sûr. Parce qu’à mon époque, il aurait été inconcevable pour un jeune enfant de ne rien y entendre à la religion. Aujourd’hui, les églises sont vides ou seulement remplies de touristes. Et une histoire comme celle d’Edgardo Mortara nous semble tout à fait hallucinante. Or les faits ne se sont pas passés il y a si longtemps que ça…Pour Marco Bellocchio, l’histoire d’Edgardo Mortara est l’histoire d’un “crime commis au nom d’un principe absolu”. C’est aussi un crime commis à une époque où commence à souffler un vent de liberté en Europe. L’enlèvement de cet enfant symbolise donc la volonté violente et désespérée d’un pouvoir déclinant de résister à son propre effondrement. Comme un dernier spasme avant la mort.” Visuellement, le cinéaste dit avoir cherché à intégrer un maximum de symboles religieux à l’écran, “afin que l’on comprenne bien l’emprise qu’ils ont pu exercer sur le jeune Edgardo”. Très belle, la photographie du film digère un certain nombre d’influences picturales. “Pour la photographie du film, j’ai essentiellement été influencé par la peinture réaliste italienne. Même si j’avais aussi en tête l’expressionnisme français. Je recherchais vraiment la palette de couleurs idéale pour ce récit. Et la lumière, aussi. Il y a beaucoup de scènes nocturnes dans le film. Il était très important pour moi d’éviter toute forme de maniérisme, et de trouver vraiment l’écrin adéquat afin que chaque acteur puisse exprimer au mieux les émotions de son personnage.

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