
Dans Mexico 86, le réalisateur Cesar Díaz s’inspire de sa propre mère: «Quand on s’est rencontrés, j’avais 9 ans, nous étions comme deux étrangers»
Avec Mexico 86, Cesar Díaz s’aventure du côté du film d’espionnage pour continuer à explorer l’histoire récente de son pays, le Guatemala.
Il n’est pas exagéré de dire que rares sont les cinéastes guatémaltèques à avoir touché une audience internationale. Mais deux d’entre eux ont pu partager leur vision de leur pays il y a une poignée d’années. En 2019, quelques mois avant la présentation à Venise de La Llorona de Jayro Bustamante, était dévoilé au Festival de Cannes à la Semaine de la Critique Nuestras Madres, qui à travers la trajectoire de son héros Ernesto et de son entourage, dressait le portrait d’une résilience collective, celle des victimes de la dictature militaire guatémaltèque.
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Mexico 86, du docu à l’action
Œuvre profonde à la force documentaire mais parcourue par un puissant souffle de fiction, Nuestras Madres remportait la prestigieuse Caméra d’or, qui prime le meilleur premier long métrage, toutes sections confondues, remise cette année-là par un jury présidé par le cinéaste cambodgien Rithy Panh. Pour son réalisateur Cesar Díaz, pas question de se laisser enfermer dans un style par cette consécration hâtive. «Je n’avais pas envie de faire Nuestras Madres 2. L’industrie nous met dans des boîtes. Moi, j’avais une étiquette « films du monde un peu documentaires avec des comédiens non professionnels ». Je voulais faire éclater toutes ces attentes, essayer de nouvelles choses, notamment en travaillant avec des comédiens confirmés, trouver une direction nouvelle dans le jeu.»
Et de fait, si le cinéaste continue de questionner les tourments politiques de son pays, il investigue d’autres territoires de cinéma. Mexico 86 est un film d’action, peuplé d’agents secrets, de coups montés, de poursuites et de trahisons qui viennent animer le combat d’une femme pour concilier le bien de sa famille et la poursuite de ses idéaux. «Il fallait réussir à créer de la tension, avec des moyens qui étaient dans mon langage cinématographique, tout en sachant que nous n’avions pas non plus la possibilité de faire un James Bond. C’était un saut dans le vide, mais quel plaisir! Pendant la course-poursuite, j’étais comme un enfant, je n’avais jamais été sur un plateau de film d’action, c’était fou. J’ai énormément appris en faisant ce film.»
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«J’avais une étiquette “films du monde un peu documentaires”. Je voulais faire éclater ces attentes.»
Portrait d’une combattante
Cette tension induite par le danger permanent que court Maria, son héroïne, est aussi celle de son personnage. Pourchassée dans son pays, elle confie son enfant à sa propre mère pour poursuivre la lutte à distance de l’autre côté de la frontière. Ce faisant, elle rompt le lien fragile qui l’unit à son enfant. Une situation que le réalisateur connaît bien, et pour cause. «Si je reviens aux prémices du projet, ses origines sont assez limpides: c’est mon histoire. J’ai grandi avec ma grand-mère. Ma mère a dû quitter le Guatemala car elle y était recherchée. J’ai fait de nombreux aller-retours entre le Guatemala et le Mexique, jusqu’à ce que je fasse le choix d’aller vivre avec elle. N’empêche que quand on s’est rencontrés, j’avais 9 ans, nous étions comme deux étrangers. Je ne la connaissais pas, nous nous étions vus en pointillé pendant les vacances. Notre rapport s’est construit d’une façon étrange. On est plutôt amis en fait. Est-on censés s’aimer et se connaître juste parce qu’on a un lien biologique? Parfois ce n’est pas le cas, comment ça se passe alors?»
Le choix de Maria est particulièrement disruptif, surtout dans les années 1980. Son statut de femme lui est sans cesse rappelé, alors qu’elle s’engage corps et âme pour l’avenir de son pays. «On exige des femmes qu’elles soient mères avant tout. La plupart des hommes qui ont lutté là-bas et ailleurs avaient des enfants, mais ne se sont jamais posé la question. Ils ont confié les bébés à la mère, ou à des ruches (NDLR: des foyers, pour la plupart à La Havane, où étaient placés les enfants des guérilleros) sans se retourner, fiers d’avoir combattu. Les femmes, elles, n’ont pas d’autre choix que de se poser la question, on les renvoie sans cesse à ça. Autour de moi, plein de femmes ont arrêté la lutte pour que les hommes puissent la continuer.»
A travers ce personnage, c’est toute une réflexion sur le délicat équilibre entre l’engagement révolutionnaire et le poids de la maternité. «J’avais envie de poser la question du coût pour ces combattantes habitées par des convictions fortes. Maria laisse tout derrière elle, son fils, son pays, sa famille. Je suis convaincu que pour qu’advienne une véritable transformation sociale profonde, il faut des gens comme elle. Si on est tiède face à la dictature, face aux injustices, on ne peut rien changer. Maria connaît le prix à payer, et elle est prête à le faire. Et finalement, est-on une meilleure mère en restant auprès de son enfant, ou en lui construisant un monde différent, un monde meilleur? Il n’y a pas de réponse à cette question, je crois. Maria fait un pari sur l’avenir. Dans l’imaginaire collectif, un père qui part à la lutte est un héros, une mère qui fait la même chose est irresponsable. J’espère qu’à travers le personnage de Maria, Mexico 86 pourra montrer comment les femmes de tous temps et à travers le monde ont pu investir et faire vivre les mouvements révolutionnaires.»
Forte mais pas dure
Encore fallait-il réussir à créer l’empathie nécessaire avec Maria pour entendre ses raisons, comprendre sa radicalité, sa dureté parfois, et occasionnellement, ses moments de faiblesse. Bérénice Bejo, qui s’est emparée du rôle avec force, est de tous les plans ou presque. «J’avais dit à Bérénice: imagine que tu es un punching-ball qui ne bouge pas d’un cran alors qu’on le cogne sans cesse. Pour faire face à ce genre de situations, il n’y a pas d’autres solutions, je crois. Il n’y a pas de temps pour l’auto-apitoiement. Il fallait que le spectateur ou la spectatrice puisse se mettre dans sa peau. L’une de mes grandes craintes était que l’on ne comprenne pas ses choix, qu’on la juge, qu’on ne puisse passer outre le réflexe premier de penser qu’elle devrait avant tout s’occuper de son fils. Je voulais montrer par quoi elle était traversée, et pour cela, il fallait rester avec elle, sans cesse, pour créer cette connexion. Pour définir sa personnalité, je me suis inspiré des nombreux militants que j’ai eu l’occasion de rencontrer quand j’étais enfant, des gens qui ont une manière spécifique de parler, d’articuler leurs idées, des gens engagés qui ont une façon de vivre et d’être bien particulière. Je voulais que Maria soit une femme forte, sans être dure, qu’on puisse entrapercevoir des failles. Mais quand elle craque devant nous, spectateurs, ses compagnons ne le voient pas. Seule cette carapace lui permet de survivre, et notamment de faire le deuil de l’amour de sa vie, le père de son fils, assassiné sous ses yeux. Ces révolutionnaires étaient des êtres complexes, traversés de contradictions. Certains n’ont pas hésité à servir leurs propres intérêts. Je voulais éviter d’avoir un regard romantique sur ce mouvement. Si on veut être critique face au pouvoir, il faut aussi pouvoir l’être face à celles et ceux qui le combattent.»
Mexico 86
Thriller historique de Cesar Dìaz. Avec Bérénice Bejo, Matheo Labbe, Leonardo Ortizgris. 1h34.
La cote de Focus: 3,5/5
Maria vit dans une fuite perpétuelle. Militante révolutionnaire guatémaltèque, elle vit au Mexique, séparée de son fils, pour échapper à la dictature. Elle garde ponctuellement contact avec ce garçon qui grandit loin d’elle, comme un étranger, jusqu’au jour où sa grand-mère ne peut plus s’occuper de lui. Maria décide alors de renouer avec son rôle de mère, mais se trouve face à un choix qu’elle n’est pas prête à faire, entre ses idéaux et sa famille. Bérénice Bejo offre une présence dense et habitée à ce personnage complexe dont les intentions et les motivations s’éclaircissent au fil du récit et nous renvoient à nos propres préjugés. Ce film d’espionnage intime distille une tension latente parcourue de quelques déflagrations qui chahutent le délicat équilibre pour lequel lutte son personnage.
Bérénice Bejo, actrice tout-terrain
Les dernières fois que l’on avait vu Bérénice Bejo, elle chassait une femelle requin dans la Seine; rêvait de cinéma dans un village minier du désert d’Atacama au mitan des années 1970; encourageait la révolte féministe de sa fille adolescente en banlieue parisienne. Alors quand on la découvre en révolutionnaire guatémaltèque dans Mexico 86, on se dit que décidément, elle n’est jamais là où on l’attend.
«J’aime bien cette sensation de déséquilibre, cette opportunité qu’offre mon métier de sans cesse me renouveler, de ne pas piétiner, explique-t-elle. Mais ce qui m’importe avant tout, c’est le scénario, et les rencontres. Cette histoire était très personnelle pour Cesar. Elle faisait par ailleurs écho, d’une certaine façon, à ma propre trajectoire, celle d’une enfant qui a fui la dictature argentine au plus jeune âge. Cesar a réussi à trouver le juste équilibre entre l’exploration psychologique de ce personnage résolument engagé et une mise en scène sous haute tension qui parvient à rendre le film palpitant. On s’inquiète pour Maria, tout en comprenant au fur et à mesure la teneur et la valeur de son combat. Si elle se bat, ce n’est pas pour le plaisir, c’est pour offrir un monde meilleur à son enfant, mais aussi aux enfants des autres. Son abnégation prend un sens particulièrement urgent. Quand nous avons commencé à tourner, la guerre en Ukraine venait de débuter, et on ne pensait pas qu’il serait encore plus d’actualité aujourd’hui. Je pense qu’il faut plus que jamais raconter ces histoires dans notre monde en pleine mutation, où la vie « normale » pourrait très vite dépendre de gens comme Maria, qui ont le courage de faire passer leur vie intime et personnelle après l’engagement collectif.»
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