Le portrait de César Díaz, réalisateur de Nuestras Madres

César Díaz: "Quand tu te retrouves face à un village qui a connu un massacre sans nom, ce que tu ressens te dicte en quelque sorte tes choix esthétiques." © LL FIFF
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

À 41 ans, ce cinéaste d’origine guatémaltèque formé à Bruxelles signe avec Nuestras Madres un premier film tout en subtiles résonances intimes, réminiscent des exactions de la dictature militaire dans son pays.

« À la base, j’avais envie de raconter des histoires. Une partie de ma famille était installée en Belgique, c’est comme ça que je suis arrivé ici. » César Díaz vit à Bruxelles, où il a étudié le scénario à l’ULB et où il envisage de tourner son prochain film en français. Depuis mai dernier et sa Caméra d’or à Cannes, il fait la grande tournée des festivals avec Nuestras Madres (lire la critique), premier long métrage qui porte la marque de ses racines guatémaltèques. Produit par la boîte uccloise Need Productions et candidat belge pour les prochains Oscars, le film suit la quête de vérité d’Ernesto, jeune anthropologue à la Fondation médico-légale qui travaille à l’identification des disparus dans un pays laissé exsangue par près de 40 ans de guerre civile. Un jour, à travers le récit d’une vieille femme, il croit déceler une piste qui lui permettra de retrouver la trace de son père, guérillero évaporé durant le conflit armé. Contre l’avis de sa mère, qui cherche à le protéger, il se lance alors à corps perdu dans une enquête où les blessures intimes résonnent avec la souffrance de tout un peuple.

Ce film qui sort aujourd’hui en Belgique déjà bardé de récompenses glanées aux quatre coins du globe, César Díaz l’a imaginé et inscrit au confluent de diverses préoccupations personnelles, entre réminiscences autobiographiques et obsessions d’auteur, désir de témoigner du réel et appel irrépressible de la fiction. « Ma génération a été très touchée par la guerre, confesse-t-il. Ce n’est pas pour rien que j’ai dû partir pour le Mexique, avant de venir en Europe. Le film est né de la rencontre entre ma volonté de dire quelque chose des rapports qui unissent les mères à leurs fils et la découverte du travail mené par cette Fondation d’anthropologie médico-légale, la FAFG, qui oeuvre à exhumer et identifier des corps afin de permettre aux familles de pouvoir tourner la page, d’entamer le difficile processus de deuil. La disparition d’une personne laisse un vide, bien sûr, mais aussi un espoir tenace de la voir un jour réapparaître. Il est primordial que la science puisse déterminer clairement quand il y a lieu de fermer un chapitre et d’aller de l’avant. »

La bonne distance

La dimension la plus politique du film, Díaz l’a pensée non pas comme un très magistral cours d’Histoire mais bien comme un déclencheur de débat, ouvert et protéiforme, nourri par des témoignages de natures diverses et porteurs de singularités. Une démarche modeste, empreinte de sincérité, qui puise dans les expériences passées en matière de documentaires du réalisateur et culmine dans une scène hors du temps et touchée par la grâce, petit climax émotionnel où il ose une rupture assez radicale de langage pour faire le portrait de femmes meurtries en plans fixes, face caméra. « Ce sont de vraies victimes qui vivent dans le village où on a tourné et continuent à chercher leurs maris. Elles m’ont raconté leur histoire. C’est un moment particulier du film où je laisse le spectateur dans un dialogue très libre avec les images, où je n’impose rien. »

Ne rien imposer, c’est un peu le motto d’un film portant en quelque sorte la pudeur en étendard, et dont le principal garde-fou serait de ne jamais verser dans l’émotion facile. « Je pense qu’on fait aussi les films qu’on a envie de voir, en un sens. Quand un film me prend en otage et me dit ce que je dois ressentir, ce que je dois penser, je me sens mal à l’aise, j’ai le sentiment qu’on me prend pour un con. Moi j’ai envie de partir du principe que les spectateurs sont des gens intelligents, sensibles, qui peuvent créer leur propre histoire. Parfois, sur le tournage, on partait sur l’idée de faire un gros plan et puis on ne le faisait pas. On comprenait qu’il fallait reculer, faire deux pas en arrière, se positionner plus loin. Pour donner de la place aux gens, justement. Et puis aux comédiens. Parce que si on est constamment sur eux, on les prive également de leur liberté.  »

Des choix de mise en scène qui recherchent le sens, la bonne distance, plutôt que l’épate, et qui sont également marqués par un recours minimal à la musique, très pure, très simple, au piano, n’apparaissant qu’à deux moments-clés du film, mais aussi par des cadres très sobres qui évitent le piège de l’esthétisation gratuite. « Quand on a essayé des objectifs anamorphiques, on a tout de suite senti qu’il y avait un truc qui n’était pas juste. Donc on est revenus à quelque chose de plus terre à terre. C’est presque le lieu où tu tournes qui impose ça. Quand tu te retrouves face à un village qui a connu un massacre sans nom, ce que tu ressens te dicte en quelque sorte tes choix esthétiques. Tu vas aller vers quelque chose de très réaliste, de très honnête, de très respectueux. Tu ne peux pas te permettre de faire n’importe quoi. On avait vraiment cette idée de ne pas faire du beau pour du beau, de ne jamais verser dans la grandiloquence. Au village, par exemple, il y avait des choses qui étaient magnifiques, des couchers de soleil de dingue, mais ça, vraiment, on se l’interdisait. »

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