Serge Coosemans

Crash-Test S04E38: Peter Pan Tarantino : ses « once upon a time », ses titres spoilers et ses mectons funky

Serge Coosemans Chroniqueur

Le prochain film de Quentin Tarantino sera le dernier, si on en croit son plan de carrière. On devine déjà de quoi il en retournera : des mecs funky, du révisionnisme historique et un effet kiss-cool un petit peu forcé. Mais peut-être osera-t-il ce que Marvel et DC ont déjà osé avant lui : rendre cool ce qui ne l’est vraiment pas. Crash Test S04E38, une opinion qui ne va pas plaire à tout le monde…

« Si les Juifs avaient été armés, il n’y aurait pas eu la Shoah ». Cette très stupide réplique de Ben Carson, candidat aux présidentielles américaines un moment rival de Donald Trump aux primaires républicaines de 2016, avait en son temps fort choqué. Il y a de quoi. A un film de la retraite de Quentin Tarantino, puisque Once Upon A Time in Hollywood est sa neuvième sortie et que le réalisateur a toujours clamé qu’il arrêterait de tourner après la dixième, on peut toutefois se demander si on ne tient pas là une « super-cool » prémisse pour le bouquet final que serait son dernier scénario. Ce ne serait que logique. Tout ce que tourne Tarantino depuis dix ans est considérablement révisionniste, certes au sens plus pop que Faurisson du terme.

Inglorious Basterds ? Il n’aurait suffi que d’une bande de mectons rock and roll aussi détendus du gland que déterminés pour passer les nazis et Adolf Hitler fissa au barbecue. Django Unchained ? Si les esclaves afro-américains avaient été un poil plus funky, déterminés et armés, l’esclavage n’aurait pas été grand-chose de plus que quelques années de plomb sur le CV des Etats-Unis d’Amérique, ainsi qu’un choix un peu pervers sur Pornhub. Once Upon a Time in Hollywood ? Ne spoilez surtout pas un film dont le putain de titre est un putain de spoiler, exigea Tarantino la semaine dernière à Cannes, oubliant visiblement qu’il existe des centaines, peut-être des milliers, d’articles publiés depuis 1969 où Sharon Tate est présentée comme une véritable « princesse » et Charles Manson le « diable ». Ne pas spoiler un film au titre de conte de fées vaguement basé sur un drame réel impliquant une princesse, un diable et une bande de mectons funky et déterminés ? Vraiment ?

Imaginez-vous que l’on vous demande de ne pas spoiler Titanic. Ou Les Hommes du Président. Ou Mesrine – L’Ennemi Public Numéro Un. Cela ne pourrait signifier que deux choses. Soit vous êtes un cinéaste au melon descendu jusque dans les chevilles, qui n’entrent forcément plus dans les chaussettes. Vous vous prenez pour un auteur de première bourre, alors que bon… Vous imaginez que le plaisir essentiel à tirer de vos oeuvres dépend uniquement d’un effet surprise de magicien de foire, même quand celui-ci n’est pas censé exister, vu la réalité historique de laquelle s’inspire votre projet et que tout le monde devrait connaître. En l’occurrence : Sharon Tate meurt atrocement, Charles Manson passe le restant de sa vie en prison tout en générant un culte malsain et l’utopie peace/love sixties vire totalement dark et parano mais pas seulement à cause de ce traumatisme hollywoodien, loin de là.

Soit c’est que vous réservez justement à votre public une surprise de taille par rapport à la réalité historique : le Titanic est équipé de torpilles qui dégomment l’iceberg et David Guetta Senior est parachuté sur le pont pour reprendre après l’orchestre, très fatigué de jouer. Richard Nixon balance sur la version bêta de Twitter des photos montrant Bob Woodward et Carl Bernstein en train de manger des spaghettis avec les plombiers du Watergate. Toutes les polices de France au fion, Jacques Mesrine s’injecte une dose de sérum gamma et devient Mesrhulk (le champignon), détruisant la moitié de Paris avant de disparaître dans l’espace à la moustache de la BRI. Ou encore, si j’en crois mes sources : Bruce Lee et ses amis aussi funky que déterminés sauvent Sharon Tate d’une fin atroce en dégommant la bande à Charles Manson dans une explosion de violence aussi problématique que cathartique mais, pour tout dire, franchement cool.

« Un spoiler ne ruinera jamais un film avec John Wayne », dit-on depuis des lustres à Hollywood. Un spoiler ne ruine que le plaisir simplet, ai-je envie d’ajouter, ce que j’ai d’ailleurs déjà fait dans le cadre de cette rubrique. Un autre exemple : lorsque j’ai vu pour la première fois 12 Monkeys, au BIFFF, quelqu’un a gueulé « Bruce Willis meurt à la fin ! », avant de disparaître de la salle. Plus ou moins vingt minutes avant la fin du film, quand il devient manifeste que Bruce Willis ne va pas s’en sortir, j’ai commencé à en vouloir à mort à ce type. Mais depuis, j’ai revu 12 Monkeys une douzaine de fois et le sort de Bruce Willis n’y est vraiment pas le plus important. 12 Monkeys est un scénario riche, à tiroirs, un plaisir renouvelé à chaque vision, une histoire qui a l’air un peu décousue alors que c’est une implacable machinerie. Ce n’est pas le cas du Sixième Sens, revu récemment, et qui n’est, lui, qu’une ligne droite assez bébête vers son twist final. Bref, dans le cas de 12 Monkeys, savoir que Bruce Willis meurt à la fin n’est pas capital, parce qu’il y a beaucoup plus que ça à ronger. Dans le cas du Sixième Sens, savoir que Bruce Willis est mort dès le début, enlève par contre tout intérêt à un film qui accumule les poncifs et les indices patachons.

Tarantino est OK mais c’est juste un vieux geek obsu0026#xE9;du0026#xE9; par Star Trek plutu0026#xF4;t que par les X-Men et par Foxy Brown plutu0026#xF4;t que par Leu0026#xEF;a Organa. Il n’u0026#xE9;crit pas (ou plus) de grands films, il scu0026#xE9;narise de la fan fiction de westerns spaghetti et de polars hard boiled.

Si on en revient à Tarantino, je pense que tout le monde sait aujourd’hui que le flic infiltré dans Reservoir Dogs est Mr. Orange, interprété par Tim Roth. Est-ce que cela rend le film moins intéressant, moins prenant ? Est-ce que cela rend la scène du monologue préparatoire à la mission de Tim Roth moins funky et son agonie moins pénible ? Est-ce que l’intérêt de Reservoir Dogs n’est basé que sur la révélation de l’identité de la balance ? Est-ce que Reservoir Dogs n’est justement pas un véritable OVNI parce que mélangeant l’arty et le putassier, le brillant et le pompé, le déviant et l’hommage, le pop et le glauque ? En fait, Reservoir Dogs est un bon film, pas une attraction de foire et personne n’irait donc jamais demander de ne pas le spoiler, vu que la révélation de l’identité de la taupe n’est pas primordiale. Tout comme le panard et le fun retirés de Breaking Bad peuvent être énormes alors que l’on se doute quand même dès le premier épisode que Walter White sortira les pieds devant de cette aventure. Ou qu’en se lançant dans Apocalypse Now, on sait très bien que ce n’est pas vraiment l’apocalypse et que 45 ans plus tard, le Vietnam sera même devenu une destination touristique très sympathique, bien que toujours communiste.

On considère aujourd’hui généralement Quentin Tarantino comme une antidote à Marvel et à Star Wars, un « véritable auteur » héritier des plus grands – les Scorsese, Kubrick, etc… Je ne suis pas d’accord avec ça. Tarantino est OK mais c’est juste un vieux geek obsédé par Star Trek plutôt que par les X-Men et par Foxy Brown plutôt que par Leïa Organa. Il n’écrit pas (ou plus) de grands films, il scénarise de la fan fiction de westerns spaghetti et de polars hard boiled. D’un film à l’autre, des marques inventées reviennent, il y a des liens familiaux entre certains personnages, un fétichisme érotique pour les pieds de femmes est partagé… Le Tarantino Universe, où Adolf Hitler est mort dans un cinéma parisien et la question de l’esclavage réglée au tromblon, existe. C’est celui d’un enfant-roi du cool, qui réécrit l’histoire à sa façon, et peu importe que sa vision soit idiote et insensée, puisque dès que bien filmée et bien mise en musique, les gens s’enthousiasmeront quoi qu’il en soit de son effet kiss-cool.

Je trouve ça assez triste, à vrai dire. Je me souviens qu’à l’époque de Reservoir Dogs et surtout de Pulp Fiction, films par essence générationnels, tout le monde avait les BO et les posters de ces films aux murs des cuisines. On s’attendait à ce que ce cinéaste devienne vraiment immense, de l’ordre de Kurosawa ou du Polanski des sixties. Parce que c’était une époque où les gens n’avaient pas peur de vieillir, on attendait de Tarantino qu’il grandisse, qu’il mûrisse, certainement pas qu’il reste tout pisseux au milieu de sa collection d’obsessions pop. Aujourd’hui, j’aimerais que Quentin Tarantino ait réalisé Detroit à la place de Kathryn Bigelow. Ou Le Dalhia Noir, adapté de James Ellroy, à la place de Brian de Palma. Ou qu’il nous ait pondu une version vraiment brillante de Nightcrawler. Mais non. Peter Pan Tarantino continue de préférer les scénarios morveux et la recette du cool qui nettoie tout : des westerns gore, un remake de la Septième Compagnie au Clair de Lune avec Brad Pitt dans le rôle de Pierre Mondy et un conte de fées hollywoodien aussi pimpant que visiblement concon. Dès lors, je ne vois vraiment pas ce qui le retiendrait de s’attaquer de façon funky et déterminée, après l’esclavage, Adolf Hitler et Charles Manson à l’épisode vraiment pas cool du tout de l’histoire du siècle dernier, au traumatisme numéro un : la Shoah. En bédé, Marvel et DC, autres prétendants au Trône de Fer du Cool l’ont déjà fait, et plus d’une fois encore bien. Dès lors, qu’est-ce qui nous sépare encore vraiment d’un Once Upon a Time During The Final Solution ? Ok, ça a l’air de tenir de la simple provocation de ma part… Mais vous savez comme moi qu’il en est bien capable. On prend les paris ?

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