Critique | Cinéma

Cow: dans la peau d’une vache

4 / 5
Luma, star de cinéma. © kate kirkwood
4 / 5

Titre - Cow

Genre - Documentaire

Réalisateur-trice - Andrea Arnold

Casting - La Vache Luma

Durée - 1h34

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Andrea Arnold accompagne la vie d’une vache laitière dans Cow, un documentaire immersif questionnant notamment notre rapport à la nature.

La filmographie d’Andrea Arnold a toujours entretenu un rapport étroit avec la nature, que cette dernière y trouve une portée métaphorique comme avec le cheval de Fish Tank, qu’elle épouse les sentiments des personnages de Wuthering Heights, ou qu’elle prête ses étendues désolées aux évolutions des protagonistes d’American Honey. À cet égard, Cow, le documentaire que consacre la cinéaste anglaise à une vache laitière répondant au nom de Luma, s’inscrit assurément dans la continuité de l’œuvre, tout en faisant écho au vécu de l’autrice: “Ce film vient d’un endroit profond, renvoyant à mon enfance, dans le Kent, raconte-t-elle. J’ai grandi dans une HLM autour de laquelle on trouvait des friches industrielles, des champs, des carrières de craie, la nature sauvage et des usines désaffectées, un espace entre zones urbaine et rurale. Ma mère était très jeune, mon père guère plus âgé, et j’étais beaucoup livrée à moi-même. Du coup, je passais le plus clair de mon temps à vagabonder, ce dont je suis encore reconnaissante, de cette errance étant né un profond amour de la nature, et une véritable connexion avec elle.

Un lien privilégié qui, comme pour la plupart d’entre nous, se distendra toutefois avec le temps, lorsque la réalisatrice quitte le logis familial pour s’installer à Londres, n’appréciant plus la nature qu’à travers la fenêtre d’une voiture ou celle d’un train lors de ses déplacements. “Je m’en sentais un peu séparée, et j’imagine que ce projet a constitué pour moi une manière de sauter dans le tableau afin de voir quelle était la réalité. En Angleterre en particulier, on trouve ces peintures, pastorales et romantiques, de vaches dans les champs -les toiles de John Constable, par exemple, qui véhiculent une image romantique. Et j’ai voulu aller y voir, parce que la romance est une chose, mais la réalité en est une autre. Et que j’ai la conviction qu’une partie de notre déconnexion de la nature tient au fait que nous ne voulons pas savoir certaines choses qui s’y passent. J’ai conçu ce film comme une invitation à entrer dans ce tableau et à s’engager dans le réel.

Un cycle immuable

À cet effet, Arnold a choisi une exploitation laitière de taille respectable -“Je ne pense pas qu’on nous aurait laissé filmer dans un élevage intensif, et ça aurait été une histoire différente-, cadre de vie de Luma, beau spécimen de vache laitière qu’elle regarde dans les yeux, et que l’on rencontre alors qu’elle est sur le point de vêler. Le début d’un cycle immuable: “Une des choses qui m’ont frappée, c’est qu’elles ne connaissent que cette existence maternelle toute leur vie: elles sont engrossées, tombent enceintes, donnent naissance, ont du lait, encore et encore, parfois jusqu’à quinze fois. Et à la ferme, on veille à ce que ça continue, puisque c’est le business” – vérité qu’elle énonce sans émettre la moindre forme de jugement. “Je n’ai pas voulu m’écarter de la réalité”, souligne-t-elle.

Ce qui n’interdit pas, bien sûr, d’avoir un point de vue, celui de Luma pour le coup, que le film restitue par la grâce d’une caméra immersive, avec notamment pour conséquence que les humains ne sont présents qu’à travers son regard, ombres traversant fugitivement l’écran. Une autre conséquence veut que le spectateur soit amené à deviner les sentiments de Luma et à apprécier ses traits de caractère, changeants au gré de la routine des jours et des nuits. Vache d’existence, dont la fin peut paraître brutale, mais dans laquelle la réalisatrice préfère voir une parabole sur la vie. “La mort fait partie de la vie, et nous voulons l’éviter. Je trouve la mort de Luma assez belle, elle se passe par une journée ensoleillée, elle est très rapide et elle ne s’en rend pas compte. Elle est malade, aussi, et quand ces vaches ne donnent plus de lait, elles sont inutiles et, en général, on les envoie à l’abattoir. Personne ne connaît le jour de sa mort, mais elle pourrait très bien survenir un jour de soleil, alors qu’on marche au bord d’une route, et bang! Éviter la mort est stupide, parce que c’est elle qui rend la vie si belle. C’est le fait qu’elle ne dure pas éternellement qui fait que nous pouvons apprécier la vie et l’aimer: chaque jour et chaque chose deviennent précieux. Imaginez que nous ayons une pilule qui nous permette de vivre pour l’éternité. Ce serait intolérable, qui voudrait de ça? La mort rend la vie aussi belle…” Une vérité que le film invite à méditer, comme il questionne notre rapport à la nature ou à la consommation. Non sans démontrer, après le First Cow de Kelly Reichardt, que la vache a un potentiel cinématographique insoupçonné…

Cow

Cinéaste aventureuse, Andrea Arnold (Fish Tank, American Honey) s’intéresse, dans le bien-nommé Cow, à la vie d’une vache laitière. Direction un vaste élevage, où l’on découvre Luma au moment de vêler, l’ouverture d’un documentaire insolite dénué de commentaires et dont les animaux tiennent les rôles principaux, les humains -fermiers, vétérinaires…- y étant réduits à faire de la figuration. S’appuyant sur une caméra immersive, la réalisatrice chronique amoureusement les faits qui rythment un quotidien partagé entre étable et champs, entre donner naissance et produire du lait, cadrant au plus près les réactions de Luma, tout en laissant au spectateur le soin d’imaginer le reste -à quoi peut penser une vache ruminant sous les étoiles? S’ensuit un film étonnant et émouvant, un pur bijou de cinéma questionnant, l’air de rien, notre rapport à la nature. Une méditation poétique sur la condition bovine qu’Andrea Arnold ponctue judicieusement au son du Milk de Garbage…

D’Andrea Arnold. Avec la vache Luma. 1 h 34. SortIe: 30/11. 8

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