Critique | Cinéma

Clap 100e pour l’acteur Liam Neeson

3,5 / 5
© National
3,5 / 5

Titre - Marlowe

Genre - Film noir

Réalisateur-trice - Neil Jordan

Casting - Liam Neeson, Diane Kruger, Jessica Lange

Sortie - En salles

Durée - 1h49

Critique - Jean-François Pluijgers

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Pour son 100e film, l’acteur irlandais incarne le légendaire privé imaginé par Raymond Chandler, un Marlowe à la patine vintage aussi assumée qu’avantageuse.

On n’imaginait guère à vrai dire Liam Neeson incarnant Philip Marlowe, le mythique privé imaginé dans les années 30 par Raymond Chandler. D’abord, parce que depuis qu’il a été rattrapé par le succès de Taken, en 2008, l’acteur irlandais s’est, pour l’essentiel, reconverti dans le film d’action, multipliant à de rares expressions près –Silence, de Martin Scorsese, The Ballad of Buster Scruggs, des frères Coen…- les emplois musclés pas spécialement réputés pour leur finesse. Et peu en rapport, en tout état de cause, avec un Marlowe au parfum avantageux de film noir sorti d’une autre époque. Et ensuite, de manière plus prosaïque, parce que, affichant désormais la septantaine, le comédien semblait objectivement un peu âgé pour le rôle -à titre de comparaison, Humphrey Bogart avait 46 ans à l’époque du Grand sommeil, de Howard Hawks, et Robert Mitchum flirtait avec la soixantaine quand il joua dans l’adaptation du même roman que signa Michael Winner, pour s’en tenir aux deux interprètes les plus emblématiques du célèbre privé.

Marlowe est un mythe, c’est vrai.

Une image “philip marlowesque”

Réserve de principe dont Liam Neeson devait d’ailleurs être bien conscient, lui qui, dans l’une des rares scènes du film de Neil Jordan où il doit faire parler ses poings, laisse tomber un “I’m getting too old for this” laconique valant plus que de longs discours, et cela même si, assure-t-il, l’idée d’un pastiche n’a jamais été formulée. “C’est l’une des deux seules altercations auxquelles je suis mêlé dans le film, s’amuse-t-il, alors qu’on l’interroge sur la dimension physique du rôle à la faveur d’une conversation virtuelle. À tel point que lorsqu’elles surviennent, j’ai dû opérer une sorte de connexion mentale, me demandant si je les avais bien lues dans le scénario. D’où cette réplique qui m’est venue à l’esprit alors que ces deux types sont étalés au sol, que je dois attraper mon chapeau, et me diriger vers la porte, qui est à quelques mètres, pour sortir. Il fallait que je dise quelque chose pour meubler la distance, et c’est là que j’ai pensé à cette phrase, qui correspondait à mon sentiment profond. Neil a bien aimé, et il a décidé de la conserver.” La punchline fait mouche, c’est peu de le dire.

Comme, d’ailleurs, la composition de l’acteur qui en impose assurément sous la gabardine et le galurin de rigueur, tant par son charisme que par son sens du timing. Neeson s’avançait en terrain connu, il est vrai, lui qui confesse avoir généreusement biberonné au mythe Marlowe, dès son enfance: “Marlowe est un mythe, c’est vrai, et depuis des dizaines d’années. Pour moi, il évoque une présence dans un coin de notre salon, là où j’ai grandi en Irlande du Nord, les images en noir et blanc des films noirs à la télé, Bogart, bien sûr, mais aussi Alan Ladd ou John Garfield, tous ces types qui portaient invariablement un imper au col relevé et le chapeau rabattu sur les yeux. J’ai grandi avec cette image de ce que l’on pourrait appeler un personnage “philip marlowesque”. Par contre, alors que je suis ce qu’il est convenu d’appeler un lecteur compulsif, j’ai honte d’admettre que je n’avais jamais rien lu de Raymond Chandler avant d’être engagé pour ce film. Cette découverte tardive ne m’empêche pas de reconnaître à quel point c’était un écrivain remarquable, si bien que je peux très bien comprendre comment le mythe entourant l’extraordinaire personnage de Philip Marlowe a pris forme.”

“Ma découverte tardive de Chandler ne m’empêche pas de reconnaître à quel point c’était un écrivain.”
“Ma découverte tardive de Chandler ne m’empêche pas de reconnaître à quel point c’était un écrivain remarquable.” © National

Un film d’époque

Dans le rôle du détective de la cité des Anges, Neeson succède à une belle brochette d’acteurs, des icônes du film noir, comme Mitchum, dont il était un immense fan, et Bogart, mais encore Dick Powell, qui fut le premier à l’incarner à l’écran, dès 1944, dans Murder, My Sweet, d’Edward Dmytryk, ou, dans un registre tout différent, Elliott Gould, l’inoubliable Privé de Robert Altman, quelque 30 ans plus tard. Une composition dont il a su apprécier toute la saveur: “C’est un film magnifique, Sterling Hayden y est superbe, et Elliott Gould fantastique. Je pense qu’à chaque scène où apparaît le Marlowe d’Elliott Gould, on le voit soit la cigarette au bec, soit s’apprêtant à en allumer une. La première chose que je me suis dit, c’est que je n’allais pas fumer autant que lui, a fortiori en tant qu’ex- fumeur, accro au tabac. Même s’il fallait bien que je fume, tout le monde le faisait à l’époque…” De fait, le privé d’Elliott Gould semble évoluer derrière un écran de fumée alors qu’il trimballe sa dégaine nonchalante dans le Los Angeles des 70’s.

Celui de Liam Neeson, pour sa part, bat le pavé dans le Hollywood de la fin des années 30, comme un retour aux sources pour le personnage qui renoue là avec l’époque de Raymond Chandler. Du “vintage” Marlowe donc, même si le film est adapté d’un roman écrit en 2014 par l’écrivain irlandais John Banville, The Black-Eyed Blonde. “Le Raymond Chandler Estate lui avait demandé si cela l’intéresserait d’écrire un roman semblable à ceux qu’aurait pu imaginer ce dernier, explique l’acteur. Son roman a eu beaucoup de succès, Bill Monahan, l’un des meilleurs auteurs de Hollywood (oscarisé pour le scénario de The Departed, NDLR) en a tiré un script, et Neil Jordan a voulu y inclure le milieu du cinéma à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Le Hollywood de l’époque était tapissé de corruption et de mensonges, toutes choses qui s’intégraient parfaitement à l’univers de Philip Marlowe. En quoi on ne pourrait le contredire, le film en restituant parfaitement l’atmosphère, et jusqu’au caractère brumeux ponctuellement, au point que l’on se croirait par moments dans une bulle temporelle.

Marlowe aura aussi marqué un double cap dans le parcours du comédien américano-irlandais: celui de sa quatrième collaboration avec Neil Jordan -après High Spirits, en 1988, Michael Collins, en 1996, et Breakfast on Pluto, en 2005-, et celui, symbolique, des 100 apparitions au grand écran. “Je connais Neil depuis 1980, et le tournage d’Excalibur de John Boorman, dont il filmait le making of. On se connaît depuis lors, et sur le plateau, nous avons une sorte de langage abrégé: si nous tournons une scène et que je le vois s’approcher de derrière le moniteur en mâchonnant son chewing-gum, je sais que quelque chose le préoccupe et qu’il aura une demande précise pour moi ou mon partenaire. Cette relation continue de se développer: nous devrions faire un nouveau film ensemble à la fin de l’année…” Les cent films, c’est encore une autre histoire que Liam Neeson apprécie à sa juste valeur, lui qui observe qu’“il n’y avait pas d’industrie du cinéma, en Irlande du Nord, lorsque j’ai débuté”. Ce qui ne l’empêchera pas de joliment mener sa barque, des planches du Lyric Players’ Theater de Belfast dès 1976 au plateau de Pilgrim’s Progress, de Ken Anderson, deux ans plus tard, et puis d’Excalibur dans la foulée. Avant de bientôt valider son passeport pour Hollywood avec le succès que l’on sait, dûment consacré par la nomination à l’Oscar pour Schindler’s List, Marlowe lui valant aujourd’hui, cerise sur le gâteau, d’en renouer avec l’âge d’or…

Marlowe ***1/2

Voilà plus de quarante ans que Philip Marlowe avait déserté les plateaux de cinéma, son dernier interprète n’étant autre que Robert Mitchum dans The Big Sleep, de Michael Winner -c’était en 1978. C’est dire si le Marlowe de Neil Jordan (adapté non de Raymond Chandler mais du roman La Blonde aux yeux noirs de John Banville, qui ressuscitait le détective en 2014), ne va pas sans un petit côté suranné, certes pas déplaisant et totalement assumé d’ailleurs, le film projetant le spectateur dans une bulle spatio-temporelle, à Bay City, en Californie, en 1939, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. C’est là que l’on découvre Marlowe (Liam Neeson), ses affaires tournant au ralenti lorsqu’il est approché par Clare Cavendish (Diane Kruger), la fille fortunée d’une star de cinéma (Jessica Lange), pour retrouver son amant mystérieusement disparu. Tortueuse comme il se doit, l’enquête qui s’ensuit entraîne le privé d’un club fréquenté par une faune interlope aux méandres d’un Hollywood corrompu. Le théâtre d’un film vintage à l’humeur ouvertement nostalgique que Neil Jordan met en scène avec une élégance feutrée, les comédiens évoluant comme en apesanteur au gré d’une intrigue se dérobant au profit d’une atmosphère délicieusement anachronique…

De Neil Jordan. Avec Liam Neeson, Diane Kruger, Jessica Lange. 1 h 49. Sortie: 15/03.

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