Christian Petzold «déteste les réalisateurs qui en font trop». Il le prouve avec Miroirs n°3, à voir absolument


Photo by Christian Schulz/ Schrammfilm


Lumineux et déroutant, Miroirs n°3 est le onzième long métrage de Christian Petzold. Une variation sur l’absence et son acceptation, en toute sobriété: «Je déteste les réalisateurs qui en font trop.»

Miroirs n° 3

Drame de Christian Petzold. Avec Paula Beer, Barbara Auer, Matthias Brandt.

La cote de Focus: 3,5/5

Lorsque Betty (Barbara Auer), bourgeoise de province, recueille Laura (Paula Beer), jeune pianiste berlinoise rescapée d’un violent accident, on croit voir les prémices d’un thriller. Pourquoi Betty est-elle si prévenante et attentionnée envers Laura, une parfaite inconnue? Et pourquoi Laura s’obstine-t-elle à rester chez Betty, alors même qu’elle pourrait sans tarder rejoindre la capitale et retrouver sa vie d’avant? Entre les deux femmes se noue une sorte d’affection réciproque, de tendresse ineffable. Alors que le récit lève peu à peu le voile sur le mystère de cette étonnante relation, Miroirs n°3 déjoue les attendus du genre et construit un suspens qui débouche sur l’empathie et la bienveillance. Une nouvelle preuve que Christian Petzold demeure l’un des cinéastes les plus singuliers de ces dernières années.

J.D.P.

Christian Petzold est très probablement le meilleur réalisateur allemand contemporain. Après les lumineux Barbara, Transit ou Roter Himmel, il le prouve une fois de plus avec son mystérieux Miroirs n°3, dans lequel Paula Beer incarne une étudiante en piano qui après un tragique accident de voiture, se rétablit dans la maison de campagne d’une inconnue, elle-même marquée par une lourde perte.

«Le Covid a changé mon regard sur le cinéma, fait remarquer le cinéaste. Avant la pandémie, je réalisais des portraits de personnes, ou je m’intéressais à des histoires d’amour, ce genre de choses. Désormais, je m’attache davantage aux communautés.» Christian Petzold était à Paris en compagnie de Paula Beer et Franz Rogowski pour la promotion d’Ondine lorsque le président Emmanuel Macron a confiné la France. «Les cinémas, les restaurants, les frontières… tout devait fermer. Une communauté ne peut pas survivre ainsi.» En réaction, le chef de file de l’Ecole de Berlin a donc privilégié des films sur des entités qui tentent de survivre. «Miroirs n°3 évoque la lutte pour la survie d’une famille, la tentative de rétablissement après un effondrement, après un traumatisme», précise le réalisateur.

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Tout en subtilité

Laura, étudiante en piano, a perdu sa joie de vivre; elle semble ne plus savoir quelle direction donner à son existence. Dont on ne sait rien. «Ma fille, qui étudie la philosophie et les sciences sociales, trouve que c’est une bonne chose de n’avoir pas donner à voir l’histoire antérieure de Laura.» Christian Petzold plaide en effet pour la subtilité, et loue Paula Beer de n’avoir jamais cherché à lui soutirer le passé de son personnage. «C’est Alice au pays des merveilles. On ne sait rien d’elle, mais on apprend tout ce qu’il faut savoir. Je déteste les cinéastes qui en font trop. Briser le miroir, vomir dans les toilettes, entrer dans l’eau nu en criant à tue‑tête, lever les bras en hurlant dans une voiture décapotable pour illustrer la haine de soir, ça a fonctionné autrefois –dans Profession: reporter de Michelangelo Antonioni, par exemple. Mais répéter encore et encore la même chose après 100 mauvaises imitations? Inventez donc autre chose!»

«Le monde est un endroit laid; pour le rendre supportable, nous devons légèrement l’enchanter.»

L’Allemand a pour habitude de situer ses récits dans un monde toujours un peu hors du temps. Les lieux sont cinégéniques: une station‑service abandonnée, un paysage d’été presque intact, une demeure sans voisins immédiats. «Edward Hopper! Je n’en ai pas honte, sourit Christian Petzold. Le cinéma doit montrer la réalité, mais d’une manière enchanteresse. Le monde est un endroit laid; pour le rendre un peu supportable, nous devons légèrement l’enchanter. Les stations‑service et les maisons de campagne qu’Hopper a peintes n’existent pas vraiment. Il les baigne d’une lumière, d’une beauté bouleversante qui vous donne le sentiment que ce monde est bel et bien riche. C’est une promesse. Le cinéma peut le faire aussi.»

Réinventer l’été

Miroirs n°3 flirte, comme son prédécesseur Roter Himmel, avec l’idylle estivale, et ce n’est pas un hasard. «Les Français adorent leurs étés. Les classes sociales se mêlent, des histoires d’amour naissent, des divorces menacent: on vit intensément. L’Allemagne ne connaît pas de tels étés. Certes, nous avons du soleil, la mer et la plage, mais pas des étés qui soient un récit. Pourtant, autrefois, nous les connaissions. Les Hommes le dimanche, de Robert Siodmak, Edgar Ulmer et Billy Wilder, un film de 1930 avec des jeunes qui nagent, dansent, s’embrassent… Mais les fascistes ont détruit ces étés allemands. A nous de les réinventer. A cet égard, Miroirs n°3 est antifasciste.»

Dans Roter Himmel et Miroirs n°3, Petzold filme la jeunesse d’aujourd’hui avec beaucoup d’empathie. «Voilà la tragédie de la jeune génération: le camp fasciste s’oppose frontalement au camp de la sobriété. Tant de jeunes offrent d’ »aller aider des gens » un an, disons en Colombie ou en Ouganda, alors que personne n’y a vraiment besoin d’eux. (il rit) Ils veulent aider, contribuer à la reconstruction du monde. Je le comprends parfaitement. Le monde part tellement à vau‑l’eau. Ces jeunes font de leur mieux pour vivre sobrement et ont, à tout le moins, l’intention de s’engager. Mais en face, il y a les fascistes qui, sans rougir, prônent de ne penser qu’à soi et de ne se soucier en rien de l’environnement.»

Paula Beer et la fille de Christian Petzold appartiennent toutes deux au camp de la sobriété. «Je pense que les films doivent montrer que ces jeunes sont sexy, et non les fascistes. Ce sont eux les losers. Et ils sont ennuyeux. L’histoire ne connaît pas de régimes fascistes qui aient apporté quoi que ce soit. Cela mène toujours à la guerre, à l’oppression et à la destruction totale. Et le monde doit à chaque fois être entièrement reconstruit. Dans Miroirs n°3, une famille travaille à sa guérison après un lourd traumatisme, et une jeune femme trouve son indépendance, sa voie dans la vie. Ce sont là des personnes qui valent la peine qu’on les regarde ou qu’on raconte leur histoire.»


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