Rentrée des classes oblige, on retourne sur les bancs de l’école, et plus précisément en 1933, avec Zéro de conduite de Jean Vigo, film censuré à l’époque et devenu culte depuis, qui suit une bande de petits internes ambitionnant de fonder une république pirate des enfants.
Mort à seulement 29 ans, auteur d’un court, d’un moyen et d’un long métrage, Jean Vigo aura marqué durablement l’histoire du cinéma en quelques mètres de pellicule seulement. La sortie en 1933 de Zéro de conduite fait événement presque malgré lui: à peine programmé, il fait l’objet d’une demande d’interdiction notamment de la ligue des «Pères de famille organisés», qui jugent le film antifrançais. Il faut dire que le réalisateur ose une chose improbable à l’époque: adopter le point de vue des enfants, et dénoncer en passant le pouvoir des adultes.
Zéro de conduite nous plonge au cœur d’un internat de garçons, au début du XXe siècle. Les élèves y sont de vifs garnements toujours enclins à blaguer, et joyeusement réfractaires à l’autorité. L’école est un lieu d’oppression, qui reproduit l’autoritarisme ambiant. «Monsieur le professeur, je vous dis merde», ose l’un de ses jeunes héros. L’œuvre de Vigo surprend par la modernité de sa révolte. Les adultes y sont veules, arbitraires, bêtes aussi, tournés en ridicule.
Mort avant d’avoir pu exprimer toute la richesse de son talent, Jean Vigo devient une figure éternelle du jeune cinéaste.
A l’époque déjà, Vigo dénonce les petits chefs, les suiveurs et même un professeur aux mains baladeuses, agresseur rabroué par les enfants eux-mêmes. Seul surnage Huguet, le nouveau surveillant, proche en âge et en esprit des élèves. Les blagues potaches sont parfois d’un autre âge, mais la folle énergie des pensionnaires est un moteur puissant d’insurrection et de mise à mal du système. Cette énergie se retrouve dans la mise en scène, qui semble délivrée des contraintes, osant les ellipses pour accélérer le récit et suivre le tempo des enfants, déplaçant le regard à leur hauteur, adoptant aussi leur vivacité. Ce petit précis d’enfance anarchiste s’achève sur une fête où sont bousculées toutes les figures de l’autorité, scolaire, politique, militaire ou cléricale. Quant au quatuor de jeunes héros, il prend la poudre d’escampette vers une liberté conquise avec autant de malice que d’opiniâtreté.
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Cette fugue finale rappelle celle d’un autre écolier, Antoine Doisnel, échappé sur la plage à la fin des 400 coups de François Truffaut. Vigo, défenseur d’un cinéma social aux accents poétiques, est l’une des incontestables influences de la Nouvelle Vague. Mort avant d’avoir pu exprimer toute la richesse de son talent, il devient une figure éternelle du jeune cinéaste, son nom étant d’ailleurs donné à un prix créé en 1951, qui salue des auteurs d’avenir (parmi les bénéficiaires, Jean-Luc Godard, Alain Resnais, Noémie Lvovsky et Alice Diop). Depuis les années 1930, le centre de gravité des «films d’école» a sensiblement changé. Ce n’est plus tant la soumission subie par les élèves qui est soulignée, que le sacerdoce que représente le métier d’enseignant, pour le meilleur (dans Etre et avoir de Nicolas Philibert par exemple, ressorti cet été), ou pour le pire (comme dans Un métier sérieux, radiographie du corps enseignant signée Thomas Lilti en 2023, Entre les murs, la Palme d’or de Laurent Cantet en 2008, ou en Belgique, Amal de Jawad Rhalib). Mais l’audace de Caussat, Bruel, Colin et Tabard semble s’être perpétuée au fil du temps, des lycéens de Breakfast Club à ceux de L’Esquive, en passant par les inoubliables camarades de Où est la maison de mon ami?
Zéro de conduite de Jean Vigo, 49 minutes à voir sur La Cinetek.