Carine Tardieu: « Je revendique que je suis une réalisatrice, et pas une femme réalisatrice »
Ayant hérité d’un projet de Sólveig Anspach, Carine Tardieu filme avec délicatesse la passion amoureuse entre une femme à l’automne de sa vie et un homme beaucoup plus jeune. Entretien.
Au coeur des Jeunes amants (lire notre critique), le quatrième long métrage de Carine Tardieu, réalisatrice entre autres de Otez-moi d’un doute, on trouve un motif guère abordé par le cinéma: une histoire d’amour entre une femme à l’automne de sa vie et un homme sensiblement plus jeune qu’elle -Fanny Ardant et Melvil Poupaud à l’écran. Ce sujet, dont elle s’empare avec sa délicatesse coutumière, la cinéaste l’a façonné à sa main après en avoir hérité de Sólveig Anspach, qui travaillait sur ce projet au moment de sa disparition en 2015. « Elle l’avait initié alors qu’elle se savait très malade, explique Carine Tardieu, par zoom interposé. Cette histoire était arrivée à sa mère, une grande architecte islandaise qui était tombée amoureuse sur le tard d’un homme beaucoup plus jeune qu’elle. Sólveig tenait énormément à ce film, et sur son lit de mort, elle a demandé à Agnès de Sacy, avec qui elle avait commencé à écrire, que le film se fasse malgré elle et qu’il soit, idéalement, réalisé par une femme. » La réalisatrice de L’Effet aquatique et celle de Du vent dans mes mollets étant amies, c’est assez naturellement que le scénario des Jeunes amants atterrit chez Carine Tardieu qui, dans un premier temps, ne peut toutefois esquiver un mouvement de recul. « Sólveig l’avait écrit alors qu’elle était mourante, et ça se sentait: il y avait quelque chose de crépusculaire et de très sombre dans cette histoire, où la mort était presque plus importante que l’amour. Si je devais me l’approprier, il fallait que ce soit l’inverse, et qu’il y ait plus de lumière dans le film. J’ai réécrit le scénario pendant un an avec Agnès de Sacy, et on a vraiment réinventé l’histoire tout en gardant l’essentiel de ce que voulait raconter Sólveig. »
Un tabou coriace
Et notamment la relation entre cette architecte et ce médecin, avec leur différence d’âge, au coeur d’un film résolument solaire par-delà les écueils s’amoncelant sur leur route, les préjugés et autres réactions de leur entourage n’étant pas les moindres. « Ce qui est étonnant, c’est qu’alors que, dans les pays occidentaux, de nombreux tabous sont tombés, celui-là… C’est peut-être parce qu’il a l’air moins extraordinaire, ou parce qu’il est tellement ancré dans la société depuis toujours, que ce n’est pas seulement qu’on ne montre pas des femmes âgées avec des hommes plus jeunes, mais qu’on montre toujours l’inverse. Que ce soit dans les films, dans la littérature ou même dans la société en général, il apparaît normal que des hommes plus vieux aient des histoires avec des femmes parfois radicalement plus jeunes. Je ne suis pas la première, mais je pense qu’il est important d’en parler pour libérer aussi bien les femmes, que les hommes qui, peut-être, ne se l’autorisent pas. »
Féministe, Les Jeunes Amants? De manière souterraine alors, Carine Tardieu préférant de toute évidence le romanesque au militantisme, pour laisser s’épanouir la passion qui affleure entre Shauna et Pierre -Ardant et Poupaud donc, dont l’alchimie est incontestable même si papillonnante. Ou alors par la bande, comme lorsque Fanny Ardant lâche, au détour d’une scène, « je ne suis pas une femme-architecte mais une architecte« , comme en écho aux débats sur la parité ayant récemment agité le milieu du cinéma. « On me demande souvent si je trouve que je fais des films de femme, relève la cinéaste. C’est vrai que j’ai finalement la chance d’être une femme réalisatrice en France dans cette époque, parce que les femmes, pour le moment, ont presque un tapis rouge, c’est une valeur ajoutée, c’est à la mode. J’ai souvent des discussions à ce propos avec un ami réalisateur, à qui je dis « laisse-nous un peu ce temps-là ». Peut-être qu’après, les choses vont se rééquilibrer, et puis, il y a encore du chemin. Au-delà, à titre personnel, c’est évident que quand je raconte une histoire, je ne me dis pas que je suis une femme. Ce n’est qu’une partie de mon identité: je suis une femme, avec des origines données, et toute la vie que je trimballe. » Quant au fait que Sólveig Anspach ait souhaité que le film soit réalisé par une femme? « Je pense qu’elle avait l’idée qu’une femme saurait peut-être mieux qu’un homme filmer la fragilité de cette femme de 70 ans. Fondamentalement, je n’en suis pas si sûre. Justement, dans mon film, il y a un extrait d’un film de Claude Lelouch (Un homme qui me plaît, NDLR) où on voit Annie Girardot bouleversée par l’attente d’un homme à l’aéroport -va-t-il venir ou pas? Qui aurait pu me dire qu’il s’agissait d’un regard féminin ou masculin? J’adore Claude Sautet, et il y a des réalisatrices qui sont parfois beaucoup plus dures dans leur regard. Est-ce que notre regard est plus juste sur les femmes? Je n’en suis pas certaine. À titre personnel, je revendique que je suis une réalisatrice, et pas une femme réalisatrice de ce point de vue…«
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